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Ne bouge ou retourne en arrière,
Tant j'ai de m'avancer désir!
O! qu'elle est longue la carrière
Où à la fin gist mon plaisir!

Je regarde de tous costés
Pour voyr s'il n'arrive personne;
Priant sans cesser, n'en doutez,
Dieu, que santé à mon Roy donne;
Quand nul ne voi, l'œil j'abandonne
A pleurer, puis sur le papier
Un peu de ma douleur j'ordonne.
Voilà mon douloureux mestier.

O! qu'il sera le bienvenu,
Celui qui, frappant à ma porte,
Dira : « Le Roy est revenu

En sa santé très bonne et forte! »>
Alors sa sœur, plus mal que morte,
Courra bayser le messager

Qui telles nouvelles apporte,

Que son frère est hors de danger.

Louise Labé.

Louise Charlin ou Charlieu, dite Labé, naquit à Lyon en 1525. Son père était marchand cordier et elle épousa un homme du même métier, Aymond ou Ennemond Perrin. Son éducation fut très soignée; elle parlait également bien

l'espagnol et l'italien et elle apprit le latin de bonne heure. Elle a raconté, elle-même, qu'à l'âge de seize ans, elle assista au siège de Perpignan, et qu'elle s'y conduisit en vraie guer

rière :

Qui m'eût vu lors, en armes, fière, aller,
Porter la lance, et bois faire voler,

Le devoir faire en l'estour furieux,
Piquer, volter le cheval glorieux,

Pour Bradamante ou la haute Marphise
Sœur de Roger, il m'eût, possible, prise.

De retour à Lyon, elle s'adonna ardemment aux lettres, et sa maison devint le rendez-vous de tout ce qu'il y avait de distingué dans une ville où la littérature, les sciences et les arts étaient alors cultivés avec passion.

L'œuvre de Louise Labé, la Belle Cordière, n'est pas considérable; on a d'elle trois élégies et vingt-quatre sonnets et un curieux dialogue en prose, le Débat de Folie et Amour. Son style est inégal, mais elle a trouvé parfois des accents passionnés et de beaux vers. Sainte-Beuve fait cas surtout de sa prose. Il reproche à ses vers des duretés et des rudesses et l'on ne peut nier qu'on n'y rencontre de l'obscurité. Elle n'est pas toujours maîtresse du rythme et elle fait pour s'y accommoder des efforts trop visibles. Sa prose est plus naturelle et plus coulante.

On a beaucoup discuté sur la vie et sur les écrits de Louise Labé. Ses derniers biographes lui sont favorables et ils s'attachent à la disculper de certaines accusations peu fondées. « Un historien digne de foi, dit M. Jules Favre, le doyen de Beaujeu, Paradin, dans ses Memoires de l'histoire de Lyon, publiés en 1573, sept ans après la mort de Louise Labé, à un moment où l'auteur pouvait encore rappeler des faits dont il avait été témoin, et qu'il lui avait été permis de contrôler, écrit ces lignes très flatteuses pour la mémoire de Louise: « En ce siècle et règne, florissoient à Lyon deux Dames, comme deux astres radieux, et deux nobles et vertueux esprits... L'une se nommoit Loïse Labbé. Ceste avoit la la face plus angélique qu'humaine, mais ce n'estoit rien à la comparaison de son esprit tant chaste, tant vertueux, tant poétique, tant rare en sçavoir, qu'il sembloit qu'il eust été créé de Dieu pour estre admiré comme un grand prodige entre les humains. >> L'autre dame dont parle Paradin est Clémence de Bourges, l'amie de Louise Labé, à qui celle-ci a dédié le Débat de Folie et Amour.

Louise Labé mourut en 1566, à peine âgée de quarante ans. Le premier recueil de ses œuvres avait paru en 1555.

A M. C. D. B. L.

A MADEMOISELLE CLEMENCE DE BOURGES, LYONNOISE

Estant le temps venu, Mademoiselle, que les sévères lois des hommes n'empeschent plus les femmes de s'appliquer aux sciences et disci

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plines, il me semble que celles qui en ont la commodité doivent employer cette honneste liberté, que nostre sexe a autrefois tant désirée, à icelles apprendre, et montrer aux hommes le tort qu'ils nous faisoient en nous privant du bien et de l'honneur qui nous en pouvoit venir; et si quelcune parvient en tel degré que de pouvoir mettre ses concepcions par escrit, le faire songneusement, et non dédaigner la gloire, et s'en parer plustôt que de chaisnes, anneaux

et somptueux habits, lesquels ne pouvons vrayment estimer nostres que par l'usage. Mais l'honneur que la science nous procurera sera entièrement nostre, et ne nous pourra estre osté, ne par finesse de larron, ne force d'ennemis, ne longueur de temps. Si j'eusse esté tant favorisée des cieux que d'avoir l'esprit grand assez pour comprendre ce dont il ha eu envic, je servirois en cet endroit plus d'exemple que d'admonicion. Mais ayant passé partie de ma jeunesse à l'exercice de la musique, et ce qui m'a resté de temps, l'ayant trouvé trop court pour la rudesse de mon entendement, et ne pouvant de moy mesme satisfaire au bon vouloir que je porte à nostre sexe, de le voir non en beauté seulement, mais en science et en vertų passer ou égaler les hommes, je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses dames d'eslever un peu leurs esprits par dessus leurs quenoilles et fuseaux, et s'employer à faire entendre au monde que, si nous ne sommes faites pour commander, si ne devons nous estre desdaignées pour compagnes, tant ès affaires domestiques que publiques, de ceux qui gouvernent et se font obéir. Et outre la réputacion que notre sexe en recevra, nous aurons valu au public que les hommes mettront plus de peine et d'estude aux sciences vertueuses, de peur

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