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Elle rentra en France en 1802, après avoir successivement séjourné à Londres, en Allemagne, en Suisse et à Hambourg. C'est dans cette ville qu'elle épousa en secondes noces M. de Souza. Elle mourut à Paris en 1836.

La critique a été moins sévère pour Mme de Souza que pour la plupart des femmes écrivains de la même époque. Adèle de Senange, son premier roman, a des personnages bien dessinés et ne manque ni de charme ni de grâce. Émilie et Alphonse, Charles et Marie, Eugénie et Mathilde, la Duchesse de Guise sont aussi des œuvres intéressantes. Eugène de Rothelin est peut-être le meilleur des romans de Mme de Souza, celui où elle a mis le plus de ses qualités de cœur et d'esprit. L'observation y est parfois profonde. Pris dans leur ensemble, ces jolis romans, dit un critique, n'offrent pas, il est vrai, le développement des grandes passions, on n'y doit pas chercher non plus l'étude approfondie des travers de l'espèce humaine; on est sûr au moins d'y trouver partout des aperçus très fins sur la société, des tableaux vrais et bien terminés, un style orné avec mesure, la correction d'un bon livre et l'aisance d'une conversation fleurie, l'usage du monde, mais cet usage exquis et rare qui observe et ne s'exagère point les convenances;

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des sentiments délicats, des tours ingénieux, des expressions choisies, l'esprit qui ne dit rien de vulgaire, et le goùt qui ne dit rien de trop. » C'est surtout grâce à ces qualités d'esprit et de goût que les romans de Mme de Souza ont moins vieilli que beaucoup d'autres.

LETTRE DU COMTE DE ROTHELIN A SON FILS

« J'avais résolu, mon fils, de ne jamais vous parler de mes peines; mais je vois que même nos enfants interprètent défavorablement notre conduite, dès qu'elle sort des routes communes, et que le motif leur en est inconnu.

«< Je veux

veux bien aujourd'hui vous rendre compte des raisons qui m'ont déterminé ; ensuite je vous permets d'opter entre vos nouveaux amis et moi.

« J'ai été élevé par un père qui avait toute la sévérité des anciennes mœurs. Le respect qu'il nous inspirait était tel, qu'un de ses regards suffisait pour tout mouvoir ou tout suspendre dans sa maison. Sa volonté suprême, immuable, me paraissait le droit naturel du chef de la famille.

<< Mon père, ayant éprouvé une injustice, avait quitté la cour encore jeune, et s'était

retiré dans ses terres. Là, sans rien regretter, sans rien vouloir, sans daigner se défendre, il avait acquis l'importance et l'autorité dont jouissaient autrefois les seigneurs suzerains. Juste, loyal, bienfaisant, vraiment noble, son château était le rendez-vous de toute la province. Appui du pauvre, conseil du riche, son estime était un bien nécessaire à tous.

« Il m'avait fait entrer dans l'état militaire. à seize ans; grièvement blessé dès ma première campagne, ma santé affaiblie me força de quitter le service je me fixai près de lui. Ses vertus, ses préceptes me donnèrent cette austérité de caractère, qui m'inspire pour la faiblesse presque autant de mépris que les autres hommes en ont pour les fautes.

« Je venais d'avoir vingt-cinq ans lorsque mon père mourut. Il me recommanda de me marier, mais il me conseilla de ne point épouser une femme riche, parce que les biens considérables que je tiendrais de lui ne me laissaient rien à désirer, et que peut-être les avantages qu'elle me devrait lui inspireraient de la reconnaissance.

Il m'ordonna de la choisir dans ces familles dont le nom historique réveille d'illustres souvenirs. << Car, me disait-il, si ses « parents n'ont point conservé les nobles vertus

<< de leurs ancêtres, au moins par orgueil elle << entretiendra ses enfants de leurs hauts faits << d'armes, de leurs sentiments généreux; et la << grandeur qui vient des belles actions élèvera <«<leur jeune courage. Puissent-ils apprendre <«< ainsi, dès le berceau, que les vertus ordi<«< naires ne sont pas le but, mais le commen«< cement de leur carrière. >>

<<< La succession de mon père me força de venir à Paris. J'allai voir Mme d'Estouteville. Sa maison était alors, comme elle l'est aujourd'hui, une sorte de tribunal où tout ce qui prétendait à quelque distinction se croyait obligé de comparaître. Je m'aperçus trop tard que les sentiments vrais et simples n'existaient plus chez Mme d'Estouteville, et que tout ce qui est convention était devenu pour elle. une seconde nature.

que sa

« Le maréchal d'Estouteville, presque aussi ambitieux que sa femme, avait encore plus d'orgueil. Parlant à peine, saluant à demi, tenant tout à distance, on disait de lui lunette ne regardait les hommes que par le côté qui éloigne ses enfants, sa femme même ne l'ont jamais approché sans crainte. Malgré cette fierté révoltante, M. d'Estouteville était cependant fort considéré; une réserve impénétrable le rendait d'une société sûre.

« Le fils aîné de M. d'Estouteville devait hériter de toute sa fortune; le second, déjà chevalier de Malte, avait prononcé ses vœux et possédait une riche commanderie.

« Mile d'Estouteville était chanoinesse. Son père prétendait la faire nommer abbesse de Remiremont, non qu'il désirât sacrifier sa fille, non qu'il n'eût pu choisir pour elle entre les partis les plus considérables; mais parce qu'il voulait qu'elle eût cette place, la première de tous les chapitres nobles.

« La sœur de M. d'Estouteville avait épousé le comte d'Estaing; elle était morte jeune en donnant le jour à une fille avant de mourir, elle avait confié cette enfant à Mme d'Estouteville. Des circonstances malheureuses ayant dérangé la fortune de M. d'Estaing, il s'était remarié pour la rétablir, avait eu un fils; et en mourant, peu d'années après, il n'avait pensé à Me d'Estaing que pour la recommander aux bontés du maréchal.

« Lorsque je fus présenté à Mme d'Estouteville, sa fille était avec elle: Sophie, grande, belle, avait cet air digne et noble qui semble annoncer toutes les vertus; mais à dix-huit ans, elle avait à peine jeté un regard sur le monde, et elle se croyait le droit de comparer, de juger, d'avoir une opinion.

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