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tion commença quand parurent les premières satires de Boileau, vers 1665. On prit dès lors l'habitude d'écrire plus simplement et mieux, et l'on pensa avec plus de raison. Zenaïde et la Princesse de Clèves firent bien comprendre tout ce qui manquait à Artamène et à Clélie. Mlle de Scudéry, outre ses trois grands romans, a écrit onze volumes de Nouvelles et dix volumes de Conversations ou Entretiens. Un discours sur la Gloire obtint, en 1671, le prix d'éloquence à l'Académie; c'était la première fois qu'on le décernait. Elle mourut en 1701, à l'âge de quatre-vingt-quatorze ans. Elle avait gardé jusqu'à la fin un certain nombre d'amis et d'admirateurs, et le Journal des Savants, qui annonçait sa mort, parlait d'elle « comme de la première fille du monde et de la merveille du siècle de Louis le Grand ». Elle s'est peinte elle-même sous le nom de Sapho, et le portrait est peut-être un peu flatté. Ses contemporains s'accordent à dire qu'elle n'était pas belle.

PORTRAIT DE SAPHO

(MADEMOISELLE DE SCUDERY)

Sapho a eu l'avantage que son père et sa mère avaient tous deux beaucoup d'esprit et

beaucoup de vertu; mais elle eut le malheur de les perdre de si bonne heure, qu'elle ne put recevoir d'eux que les premières inclinations au bien, car elle n'avait que six ans lorsqu'ils moururent. Il est vrai qu'ils la laissèrent sous la conduite d'une parente... Je ne pense pas que toute la Grèce ait jamais une personne qu'on puisse comparer à Sapho. Je ne m'arrêterai pourtant point à dire quelle fut son enfance, car elle fut si peu enfant, qu'à douze ans on commença de parler d'elle comme d'une personne dont la beauté, l'esprit et le jugement étaient déjà formés et donnaient de l'admiration à tout le monde; mais je vous dirai seulement qu'on n'a jamais remarqué en qui que ce soit des inclinations plus nobles, ni une facilité plus grande à apprendre tout ce qu'elle a voulu savoir. Encore que vous m'entendiez parler de Sapho comme de la plus merveilleuse et de la plus charmante personne de toute la Grèce, il ne faut pourtant pas vous imaginer que sa beauté soit une de ces grandes beautés en qui l'envie même ne saurait trouver aucun défaut... Elle est pourtant capable d'inspirer de plus grandes passions que les plus grandes beautés de la terre... Pour le teint, elle ne l'a pas de la dernière blancheur; il a toutefois un si bel éclat, qu'on peut dire qu'elle l'a beau; mais

ce que Sapho a de souverainement agréable, c'est qu'elle a les yeux si beaux, si vifs, si amoureux et si pleins d'esprit, qu'on ne peut ni en soutenir l'éclat, ni en détacher ses regards... Ce qui fait leur plus grand éclat, c'est que jamais il n'y a eu une opposition plus grande que celle du blanc et du noir de ses yeux. Cependant cette grande opposition n'y cause nulle rudesse...

Les charmes de son esprit surpassent de beaucoup ceux de sa beauté. En effet, elle l'a d'une si vaste étendue, qu'on peut dire que ce qu'elle ne comprend pas ne peut être compris de personne, et elle a une telle disposition à apprendre facilement tout ce qu'elle veut savoir, que, sans que l'on ait presque jamais ouï dire que Sapho ait rien appris, elle sait pourtant toutes choses.

Elle exprime si délicatement les sentiments les plus difficiles à exprimer, et elle sait si bien faire l'anatomie d'un cœur amoureux, s'il est permis de parler ainsi, qu'elle en sait décrire exactement toutes les jalousies, toutes les inquiétudes, toutes les impatiences, toutes les joies, tous les dégoûts, tous les murmures, tous les désespoirs, toutes les espérances, toutes les révoltes, et tous ces sentiments tumultueux qui ne sont jamais bien connus que de ceux qui les sentent ou qui les ont sentis.

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Sa conversation est si naturelle, si aisée et si galante, qu'on ne lui entend jamais dire en une conversation générale que des choses qu'on peut croire, qu'une personne de grand esprit pourrait dire sans avoir appris tout ce qu'elle sait. Ce n'est pas que les gens qui savent les choses ne connaissent bien que la nature toute seule ne pourrait lui avoir ouvert l'esprit au point qu'elle l'a, mais c'est qu'elle songe tellement à demeurer dans la bienséance de son sexe, qu'elle ne parle presque jamais que de ce que les dames doivent parler.

PORTRAIT DE LYRIANE

MADAME DE MAINTENON)

Lyriane était d'une naissance fort noble; ses parents, persécutés par la fortune, l'avaient, dès l'enfance, emmenée au fond de la Libye, d'où elle était revenue si belle et si charmante qu'on ne pouvait presque rien lui comparer sans injustice. Elle était grande et de belle taille, mais de cette grandeur qui n'épouvante point et qui sert seulement à la bonne mine. Elle avait le teint fort uni et fort beau, les cheveux d'un châtain clair et très agréable, le nez très bien fait, la bouche bien taillée, l'air noble,

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