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et les sens, manquent de sincérité et nous abusent. Les sens surprennent la raison, et la raison se trompe à son tour: voilà nos deux guides, qui tous deux nous égarent. Ces réflexions dégoûtent des sciences abstraites: employons donc le temps en connaissances utiles.

Il faut qu'une jeune personne ait de la docilité, peu de confiance en soi-même; mais aussi ne faut-il pas pousser cette docilité trop loin. En fait de religion, il faut céder aux autorités; mais sur tout autre sujet, il ne faut recevoir que celle de la raison et de l'évidence. En donnant trop d'étendue à la docilité, vous prenez sur les droits de la raison; vous ne faites plus d'usage de vos propres lumières qui s'affaiblissent. C'est donner des bornes trop étroites à vos idées, que de les renfermer dans celles d'autrui. Le témoignage des hommes ne peut avoir créance qu'à proportion du degré de certitude qu'ils se sont acquis en s'instruisant des faits. Il n'y a point de prescription contre la vérité elle est pour toutes les personnes, et de tous les temps. Enfin, comme dit un grand homme, pour être chrétien, il faut croire aveuglément; et pour être sage, il faut croire

évidemment.

Accoutumez-vous à exercer votre esprit, et à en faire usage plus que de votre mémoire.

Nous nous remplissons la tête d'idées étrangères, et nous ne tirons rien de notre propre fonds. Nous croyons avoir beaucoup avancé, quand nous nous chargeons la mémoire d'histoires et de faits cela ne contribue guère à la perfection de l'esprit. Il faut s'accoutumer à penser; l'esprit s'étend et s'augmente par l'exercice; peu de personnes en font usage; c'est chez nous un talent qui se repose, que de

savoir penser.

Les faits historiques, ni les opinions des philosophes ne vous défendront pas contre un malheur pressant; vous ne vous en trouverez pas plus forte. Vous arrive-t-il une affliction, recours à Sénèque et à Épictète.

Vous avez

Est-ce à leur raison à vous consoler? N'est-ce pas à la vôtre à faire sa charge? Servez-vous de votre propre bien faites des provisions dans le temps calme pour le temps de l'affliction qui vous attend. Vous serez bien plus soutenue par votre propre raison

des autres.

que par celle

Si vous pouvez régler votre imagination, et la rendre soumise à la vérité et à la raison, ce sera une grande avance pour votre perfection et pour votre bonheur. Les femmes sont ordinairement gouvernées par leur imagination : comme on ne les occupe à rien de solide, et

qu'elles ne sont dans la suite de leur vie chargées ni du soin de leur fortune, ni de la conduite de leurs affaires, elles ne sont livrées qu'à leurs plaisirs. Spectacles, habits, romans et sentiments, tout cela est de l'empire de l'imagination. Je sais qu'en la réglant, vous prenez sur les plaisirs : c'est elle qui en est la source, et qui met dans les choses qui plaisent le charme et l'illusion qui en font tout l'agrément; mais, pour un plaisir de sa façon, quels maux ne vous fait-elle point? Elle est toujours entre la vérité et vous: la raison n'ose se montrer où règne l'imagination. Nous ne voyons que comme il lui plaît les gens qu'elle gouverne savent ce ce qu'elle fait souffrir. Ce serait un heureux traité à faire avec elle, que de lui rendre ses plaisirs, à condition qu'elle ne vous ferait point sentir ses peines; enfin, rien n'est plus opposé au bonheur qu'une imagination délicate, vive et trop allumée.

Madame Dacier.

Les femmes ne se sont guère appliquées à des travaux d'érudition, et Mme Dacier est la seule en France qui y ait excellé. Sa réputa

tion serait, sans doute, peu. étendue si elle se fût contentée d'éditer quelques auteurs anciens, mais elle a voulu mettre les modernes à même de lire Homère, et elle a fait de l'Iliade une traduction qu'on n'a pas dépassée. Elle a défendu le poète qu'elle aimait contre La MotteHoudard, et elle a sa place dans l'histoire de la querelle des anciens et des modernes.

Anne Le Fèvre naquit à Saumur, en 1654. Son père, Tanneguy Le Fèvre, était un savant et un érudit. Elle prit, dès son enfance, le goût de l'étude, et elle apprit le grec et le latin. Ses progrès furent tels, qu'à son arrivée à Paris, après la mort de son père, qui avait été son seul maître, à peine âgée de dix-neuf ans, elle fut choisie par Huet, pour travailler aux éditions d'auteurs anciens qu'on préparait alors pour le Dauphin, fils de Louis XIV. Bayle affirme qu'elle surpassa tous les autres en diligence et gagna le pas à il ne sait combien d'hommes qui tendaient au même but. » Elle édita plusieurs ouvrages latins et grecs, et elle se fit une grande réputation parmi les érudits. En 1683, elle épousa M. Dacier qui avait été le meilleur des élèves de Tanneguy Le Fèvre. L'année suivante, elle se retira à Castres avec son mari, et tous deux s'y convertirent au catholicisme.

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Paris chez Odieuvre Md'Estampes rue d'Anjoue entrant var le rue d'Auphine la derniere porte Cocke

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