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en aimerai beaucoup davantage. Je vous conjure, par toute l'amitié que vous avez pour moi, de travailler sur vous et de prier tous les jours pour obtenir les grâces dont vous avez besoin.

A MADAME LA DUCHESSE DE SAVOIE

Fontainebleau, 5 novembre 1696.

Je voudrais qu'il me fût permis d'envoyer à Votre Altesse la lettre que je viens de recevoir du roi; il n'a pu attendre jusqu'à ce soir à me dire comment il a trouvé la princesse; il en est charmé, et conclut, par ce qu'il voit en elle, que son éducation n'a pas été négligée; il se récrie sur son air, sa grâce, sa politesse, sa retenue, sa modestie. Madame s'est chargée de faire savoir à Votre Altesse Royale tout ce que je lui en ai dit, ainsi je ne le répéterai point. Je ne saurais comprendre comment Votre Altesse a pu si bien tromper sur une princesse qui a été vue de tout le monde; mais il est certain qu'on l'a trouvée bien différente des portraits que Votre Altesse Royale a faits d'elle et de ceux qu'elle a envoyés.

La princesse est arrivée, et je n'ai cessé de désirer que Vos Altesses Royales pussent voir comment on l'a reçue, et à quel point le roi et

Monseigneur en sont contents. Il n'est pas possible de se tirer de cette entrevue comme elle a fait; elle est parfaite en tout, ce qui surprend bien agréablement dans une personne de onze ans. Je n'ose mêler mon admiration à celles qui seules doivent être comptées, mais je ne puis pourtant m'empêcher de dire à Votre Altesse Royale que cette enfant est un prodige, et que, selon toutes les apparences, elle sera la gloire de son temps. Vos Altesses Royales me font trop d'honneur d'approuver que j'y donne mes soins; je crois qu'il les faut borner à empêcher qu'on ne la gâte, et à prier Dieu de bénir cet aimable mariage. Monsieur et Madame instruiront Votre Altesse Royale de tout le détail, et il ne me reste plus qu'à l'assurer de mon profond respect.

A MADAME DE CLAPION

Ce 9 novembre 1702.

Il ne vous est pas mauvais de vous trouver dans le trouble et l'inquiétude d'esprit où vous êtes vous en serez plus humble, et vous sentirez par votre expérience que nous ne trouvons nulle ressource en nous-mêmes. Non, vous ne serez jamais contente, ma chère fille, qu'au jour

où vous aimerez Dieu de tout votre cœur; je ne vous parle pas ainsi à cause de la profession où vous êtes engagée; Salomon nous a dit, il y a longtemps, qu'après avoir cherché, trouvé et goûté de tous les plaisirs, il confessait que tout n'est que vanité et affliction d'esprit, hors aimer Dieu et le servir. Que ne puis-je vous faire voir l'ennui qui dévore les grands, et la peine qu'ils ont à remplir leur journée! Ne voyezvous pas que je meure de tristesse dans une fortune qu'on aurait peine à imaginer, et qu'il n'y a que le secours de Dieu qui m'empêche d'y succomber? J'ai été jeune et jolie j'ai goûté des plaisirs; j'ai été aimée partout. Dans un âge peu avancé, j'ai passé des années dans le commerce de l'esprit ; je suis venue à la faveur, et je vous proteste, ma chère fille, que ces états laissent un vide affreux, une inquiétude, une lassitude, une envie de connaître autre chose, parce qu'en tout cela rien ne satisfait entièrement; on n'est en repos que lorsqu'on s'est donné à Dieu, mais avec cette volonté déterminée dont je vous parle quelquefois ; alors on sent qu'il n'y a plus rien à chercher, qu'on est arrivé à ce qui seul est bon sur la terre; on a des chagrins, mais on goûte une solide consolation et une paix profonde au milieu des plus grandes peines.

Ne me dites pas : « Se peut-on faire dévote quand on veut ? » Oui, ma chère fille, on le peut et il ne nous est pas permis de croire que Dieu nous manque. « Cherchez et vous trouverez ; heurtez à la porte, et on vous l'ouvrira. » Ce sont ses paroles, mais il faut chercher avec humilité et simplicité. Or vous avez un reste

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d'orgueil que vous vous déguisez à vous-même sous le goût de l'esprit ; vous n'en devez plus avoir, et encore moins le satisfaire avec un confesseur; le plus le plus simple est le meilleur pour vous, il faut vous y soumettre en enfant. Comment porterez-vous votre croix, si un accent normand ou picard vous arrête, et si vous vous dégoûtez de ce qui n'est pas aussi sublime que Racine?

Il vous aurait édifiée, le pauvre homme, si vous aviez vu son humilité dans sa maladie et son repentir sur cette recherche de l'esprit ; il ne s'adressa point alors à un directeur à la mode, mais à un bon prêtre de sa paroisse. J'ai vu mourir un autre bel esprit qui avait fait les plus rares ouvrages que l'on puisse imaginer et qui n'avait pas voulu les faire imprimer, ne voulant pas être sur le pied d'auteur; il brûla tout, et il n'en est resté que quelques fragments dans ma mémoire. Ne nous occupons de ce qu'il faudra, tôt ou tard, abjurer. Vous n'avez encore guère vécu, et vous avez pourtant à renoncer à la tendresse de votre cœur et à la délicatesse de votre esprit; allez à Dieu, ma chère fille, et tout vous sera donné. Adressez-vous à moi tant que vous voudrez; je désirerais bien vous mener à Dieu je contribuerais à sa gloire; je ferais le bonheur d'une personne que j'ai toujours aimée particulièrement, et je rendrais un grand service à un institut qui ne m'est pas indifférent.

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SUR L'INDISCRETION (1716).

Mme de Maintenon ayant demandé aux demoiselles de la classe jaune sur quoi elles désiraient

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