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L'Hôtel de Rambouillet.

La première moitié du XVII° siècle n'a produit aucune femme dont les écrits méritent de vivre, et pourtant, jamais les femmes n'ont exercé sur la littérature une influence plus décisive qu'à cette époque. Les rudes batailleurs qui avaient vécu dans les camps, pendant les guerres de religion, gardaient, à la cour de Henri IV, les mœurs libres, le sans-gêne et le langage du soldat. La politesse qui précède les beaux-arts et qui les accompagne n'était encore nulle part. Les plaisirs de l'esprit, si vifs autrefois à la cour de François Ier et de Marguerite de Navarre, n'étaient plus goûtés. Quelques femmes intelligentes essayèrent de polir ces mœurs trop grossières; elles se réunirent pour causer, elles appelèrent à elles des gentilshommes et des écrivains, elles mirent à la mode l'esprit et les belles manières, et elles prépaèrent ainsi peu à peu, et comme à leur insu, la génération pour laquelle Molière, La Fontaine, Racine et Boileau écrivirent leurs chefsd'œuvre. Quand les grands hommes parurent, le public qui les comprit et qui les soutint était déjà prêt. Ils arrivèrent à point, et lorsque l'affectation commençait à tout gâter. L'œuvre

des Précieuses était accomplie quand Molière << les diffama »; la réforme des mœurs et celle du langage étaient faites; le temps était venu où la littérature pouvait vivre librement; elle n'avait plus besoin des salons et des ruelles. Ce qui d'abord avait été utile aux lettres leur devenait nuisible. Il est donc de toute équité de faire, quand on parle des Précieuses, la part du bien et celle du mal. Un peu de ridicule s'est attaché à leur nom, mais leur œuvre n'a pas été vaine.

Catherine de Vivonne Pisani, marquise de Rambouillet, avait été élevée en Italie. Elle y avait pris, dès son enfance, le goût des mœurs élégantes et de la conversation. Elle fut choquée du langage et des mœurs qui étaient à la mode autour de Henri IV, et elle essaya de réunir chez elle une société plus choisie. Elle fit construire l'hôtel de Rambouillet, rue Saint-Thomasdu-Louvre, et bientôt tout ce qu'il y avait à Paris d'esprits distingués et d'écrivains brigua la faveur d'y être admis. La marquise, aimable, spirituelle et bonne, sut, pendant quarante ans, régner sur cette petite cour, et elle la renouvela sans cesse. Malherbe y vint des premiers, et dans tout l'éclat de sa gloire naissante de réformateur; il y amena Racan, son disciple et son ami. Balzac en fut « le héros sérieux >>; il

y fit admirer son style châtié et sonore, et il dédia à la marquise deux dissertations sur le Romain. Voiture y fut surtout goûté; il avait plus que personne cet esprit léger et galant qu'on aime dans les réunions mondaines. Il était fin, spirituel, précieux, et il s'entendait à merveille à écrire des madrigaux et des lettres. Il savait préparer et ordonner une fête; il fut, en toute circonstance, l'ami dévoué et comme le factotum de la marquise. C'est « le héros galant et badin » de l'Hôtel.

Le grammairien Vaugelas n'y fut guère moins estimé que Voiture, s'il y tint moins de place. Il aimait à consulter la marquise sur les cas douteux de la langue, et il brillait dans les doctes dissertations; esprit avisé, d'ailleurs, et toujours en garde contre les innovations trop hardies, il sut se préserver des excès. Segrais y parut aussi, et des hommes de goûts et d'esprits très divers s'y donnèrent rendez-vous. Il suffit de citer Patru, Mairet, Sarrazin, Conrart, Huet, Ménage, Rotrou, Arnauld, Scarron, Pierre Corneille, l'abbé Godeau, qui fut plus tard évêque de Vence; Chapelain, Benserade et La Rochefoucauld.

Mme de Rambouillet, plus intelligente ou moins entichée de bel esprit que certaines femmes du xvII° siècle, dont les salons ne s'ouvraient

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Facunda nullus ora Gallica Pythus
Potis est referre pictor, et color nullus;
Imago vt extet vera, quem vides, ipse
Sibi sit Apelles vnus, vnica Suada.

N. BORA.

qu'à des hommes, réunissait autour d'elle l'élite même de son sexe. C'est sur les femmes qu'elle comptait surtout pour répandre le goût des mœurs élégantes; elle avait auprès d'elle, sans parler de Julie, sa fille, tout un essaim de jeunes personnes de qualité. Plus tard, mariées pour la plupart en province, elles y portèrent les habitudes de l'hôtel de Rambouillet, et elles propagèrent l'amour des lettres et des belles conversations. La duchesse de Longueville, la marquise de Sablé et Me de Scudéry étaient des plus assidues aux réunions; Mme de la Fayette et Me de Sévigné y vinrent un peu plus tard.

Cette société d'élite mit ses soins à s'exprimer noblement et délicatement. On fit assaut de tournures élégantes, on s'ingénia à trouver d'ingénieuses alliances de mots. La langue s'épura et se façonna. On apprit à distinguer la plaisanterie fine de la bouffonnerie; le badinage léger devint à la mode. Mais toute perfection dure peu; en toute chose, on y arrive un moment, on y touche et l'on s'en éloigne; on s'écarte du bien en courant toujours après le mieux. La simplicité parut bientôt trop nue, et l'on alla de la recherche à l'affectation et à la préciosité.

C'était déjà s'écarter de la bonne voie que

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