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ne loue. D'habiles critiques ont mis en relief le mérite pédagogique de cette correspondance, et ils ne l'ont pas exagéré. Il y a là toute la matière d'un traité d'éducation. On ne voit pas les travers et les défauts avec plus de netteté, et l'on n'en indique pas les remèdes avec plus de prudence. Cette science du cœur, qui fut celle de tous les grands hommes du xvIIe siècle, se retrouve tout entière dans les lettres de Mme de Maintenon.

Françoise d'Aubigné, petite-fille du célèbre Agrippa d'Aubigné, l'auteur des Tragiques, naquit dans la prison de Niort, le 27 novembre 1635. Son père l'emmena en Amérique en 1643, et elle revint en France en 1647. Elle fut recueillie par sa tante, Mme de Villette, et elle passa quelques années au château de Mursay, en Poitou. Mme de Villette l'éleva dans la religion protestante, bien qu'elle eût été baptisée catholique. Confiée plus tard à une autre de ses tantes, Mme de Neuillant, Françoise d'Aubigné redevint catholique. Vers l'âge de quinze ans, elle fut conduite à Paris, et elle vécut, chez sa mère, dans une grande pauvreté. Son esprit vif la fit vite distinguer, et le chevalier de Méré la présenta chez Scarron, qui l'épousa. Elle fut pendant huit années (1652-1660) la compagne de ce poète infirme, et sa maison

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fut recherchée par la meilleure compagnie. A la mort de Scarron, elle retomba dans la misère; mais elle obtint bientôt d'Anne d'Autriche une pension de 2,000 livres. Elle était bien accueillie, grâce à son esprit, dans les maisons des plus grands seigneurs, et elle fut recommandée à Mme de Montespan, qui la prit pour gouvernante de ses enfants.

En 1675, Louis XIV la fit venir à Versailles et il lui donna de quoi acheter la terre de Maintenon, à laquelle était attaché le titre de marquise. Elle resta pendant onze ans à la cour. Le roi, qui goûtait fort son esprit, l'épousa en 1684, mais elle ne porta jamais le titre de reine. En 1686, elle fonda la maison de SaintCyr, et elle ne cessa plus de s'appliquer à la bien gouverner. On a dit qu'elle avait été mêlée à tous les événements de la seconde moitié du règne de Louis XIV, mais il est difficile de savoir quelle part elle y prit exactement. SaintSimon est très dur pour elle; il la rend responsable de toutes les erreurs et toutes les fautes, mais il ne prouve rien. De nos jours, elle a trouvé des juges plus cléments. Tout porte à croire que Mme de Maintenon mit tous ses soins à bien diriger la famille royale et s'occupa fort peu du royaume. Après la mort de Louis XIV, elle se retira à Saint-Cyr; elle

y mourut le 15 avril 1719, à l'âge de quatrevingt-quatre ans.

AU COMTE D'AUBIGNÉ

On n'est malheureux que par sa faute. Ce sera toujours mon texte, et ma réponse à vos lamentations. Songez, mon cher frère, au voyage d'Amérique, aux malheurs de notre enfance, à ceux de notre jeunesse, et vous bénirez la Providence, au lieu de murmurer contre la fortune. Il y a dix ans que nous étions bien éloignés l'un et l'autre du point où nous sommes aujourd'hui. Nos espérances étaient si peu de chose, que nous bornions nos vues à trois mille livres de rente. Nous en avons à présent quatre fois plus, et nos souhaits ne seraient pas encore remplis! Nous jouissons de cette heureuse médiocrité que vous vantiez si fort. Soyons tents. Si les biens nous viennent, recevons-les de la main de Dieu; mais n'ayons pas des vues trop vastes. Nous avons le nécessaire et le commode; tout le reste n'est que cupidité. Tous ces désirs de grandeur partent du vide d'un cœur cœur inquiet. Toutes vos dettes sont payées; vous pouvez vivre délicieusement, sans en faire de nouvelles. Que désirez-vous de plus?

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Faut-il que des projets de richesse et d'ambition vous coûtent la perte de votre repos et de votre santé? Lisez la vie de saint Louis, vous verrez combien les grandeurs de ce monde sont au-dessous des désirs du cœur de l'homme. Il n'y a que Dieu qui puisse le rassasier. Je vous le répète, vous n'êtes malheureux que par votre faute. Vos inquiétudes détruisent votre santé, que vous devriez conserver, quand ce ne serait que parce que je vous aime. Travaillez sur votre humeur si vous pouvez la rendre moins bilieuse et moins sombre, ce sera un grand point de gagné. Ce n'est point l'ouvrage des réflexions seules il y faut de l'exercice, de la dissipation, une vie unie et réglée. Vous ne penserez pas bien, tant que vous vous porterez mal; dès que le corps est dans l'abattement, l'âme est sans vigueur. Adieu, écrivez-moi plus souvent et sur un ton moins lugubre.

AU COMTE D'AUBIGNÉ

1er octobre 1684.

On m'a porté sur votre compte des plaintes qui ne vous font pas honneur vous maltraitez les Huguenots, vous en cherchez les moyens, vous en faites naître les occasions; cela n'est

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