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LES

FEMMES ÉCRIVAINS

Marguerite d'Angoulême, reine de Navarre.

Les Femmes écrivains ne sont pas rares au XVIe siècle, il n'en est pourtant aucune qui ait mérité d'être mise au premier rang. Si l'on peut nommer Madame de Sévigné à côté de La Bruyère, on ne saurait égaler Louise Labé à Ronsard, ni même comparer Marguerite d'Angoulême et Mademoiselle de Gournay à Rabelais et à Montaigne. Le naturel et la facilité qui sont les qualités propres aux œuvres des femmes se rencontrent guère aux époques où les langues essayent de se former. Les Poètes et les Prosateurs du xvIe siècle sont des érudits; ce que le français est impuissant à leur fournir ils le demandent au latin et surtout au grec. Leur langue est vive, animée, d'un tour hardi et poétique, mais il lui arrive encore de balbutier. Ces défaillances qui sont le fait de l'instrument

ne

plus que de l'ouvrier sont plus communes chez les écrivains secondaires; elles se rencontrent à tout moment dans les ouvrages des femmes. Nous ne pouvons donc en citer ici que de courts

extraits.

Marguerite d'Angoulême naquit le 14 avril 1492. Elle était plus àgée de quelques années que son frère le roi François Ier. Elle fut mariée, en 1509, à Charles III, duc d'Alençon, qui mourut en 1525. Elle se rendit, cette même année, en Espagne afin d'y hâter la conclusion d'un traité de paix qui rendrait la liberté à François Ier, alors prisonnier de Charles-Quint. En 1527 elle épousa le roi de Navarre, Henri d'Albret, et elle vécut dès lors le plus souvent à Nérac. Elle mourut en 1549.

Le rôle politique de Marguerite d'Angoulême a été diversement jugé. Elle avait la plus grande affection pour son frère et elle lui donna d'utiles conseils; elle s'efforça toujours de prévenir ou de ralentir les persécutions religieuses et elle intervint plus d'une fois en faveur des per

sonnes.

Amie des lettres et fort lettrée elle-même, elle s'entoura de poètes, de savants et d'artistes. Elle protégea Marot et elle obtint même qu'il put revenir d'Italie où il s'était retiré prudemment, après avoir publié sa traduction des

Psaumes. Elle contribua à la fondation, puis au développement du Collège de France, où elle fit créer huit chaires. Marguerite savait le latin et le grec et entendait assez bien l'hébreu. Elle doit sa réputation littéraire à l'Heptameron, recueil de contes et nouvelles, parfois assez libres et où se révèle bien le mélange de raffinement, de grossièreté et de licence qui était particulier aux mœurs du xvIe siècle.

Les vers de la Reine de Navarre ne valent point ses contes, bien que ceux-ci soient souvent longs et diffus; on n'y trouve guère que de la facilité. La lettre et les vers que nous reproduisons ici attestent surtout ses sentiments envers son frère.

LETTRE A FRANÇOIS Ier

APRÈS LA BATAILLE DE PAVIE

Lyon, mai 1525.

Moindre ne m'a esté la peine, Monseigneur,

de ne vous pouvoir asseurer de la doubte et sentement que vous avez eu de mon ennuy, que de seule le porter, comme à moy seule appartient. Mais puisque nostre Seigneur me donne l'occasion de vous escripre, ce m'est si grande

consolacion, que je vous ose bien promettre que maintenant, ayant reçeu deux lettres de vous, suis remise et revenue en l'estat que vous me commandez. Car vostre parole a tel pouvoir et effet sur mon opinion obstinée, qu'elle convertit le regret du passé en désir extresme de voir l'advenir, espérant que Celui qui m'a laissée aller jusques dans l'abisme, me donnera la corde pour m'en retirer, qui ne peult estre que vostre désirée délivrance car je ne puis plus recevoir consolacion qui me seust toucher jusques au parfond du cœur, que cete-là seule, en l'espoir de laquelle vous soustenez la vie de la mère et de la sœur; vous suppliant croire, Monseigneur, que ce qu'il vous a pleu luy mander par le mareschal de vostre bonne santé et honnête continuel traitement, luy causera la sienne, qui, sans vous, est ce que vous pouvez penser; et se porte très bien. Et ne doubtez, Monseigneur, que, passé les deux premiers jours, que la contrainte me faisoit oublier toute raison, jamais depuis elle ne m'a veu larme à l'euil ny visaige triste; car je me tiendrois trop plus que malheureuse, vu que en rien ne vous fois service, que je fusse occasion d'empescher l'esperit de celle qui tant en fait à vous et à tout ce qui est de vous. Mais tout ce que je puis penser pour luy donner récréation, croyez, Monsei

gneur, que je le foy; car je désire tant de vous voir tous deux ensemble contans, que, espérant en Dieu avoir bientost ce bien, ne veult et ne peult à aultre chose penser votre très humble et très obéissante subjecte et sœur.

CHANSON SPIRITUELLE

PENSÉES DE La Reine de NAVARRE, ÉTANT DANS SA LItière, DURANT LA MALADIE DU ROI (1547)

O Dieu, qui les vostres aimez,

J'adresse à vous seul ma complainte ;

Vous, qui les amis estimez,
Voyez l'amour que j'ay sans feinte,
Où par votre loi suys contrainte,
Et par nature, et par raison.
J'appelle chaque sainct et saincte
Pour se joindre à mon oraison.

Las! celui que vous aimez tant
Est détenu par maladie,
Qui rend son peuple malcontent
Et moi envers vous si hardie
Que j'obtiendray, quoi que l'on die,

Pour lui très parfaite santé.

De vous seul ce bien je mendie
Pour rendre chacun contenté.

Le désir du bien que j'attends
Me donne de travail matière.
Une heure me dure cent ans,
Et me semble que ma litière

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