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des choses par autorité, que quelquefois on ne trouvait pas justes, quand on y avait fait réflexion.

M. le chancelier a interrompu: « Comment! vous dites donc que le roi abuse de sa puissance?» M. Fouquet a répondu : « C'est vous qui le dites, monsieur, et non pas moi : moi ce n'est point ma pensée, et j'admire qu'en l'état où je suis, vous me vouliez faire une affaire avec le roi. Mais, monsieur, vous savez bien vous-même qu'on peut être surpris. Quand vous signez un arrêt, vous le croyez juste; le lendemain vous. le cassez vous voyez qu'on peut changer d'avis et d'opinion. »

« Mais cependant, a dit M. le chancelier, quoique vous ne reconnaissiez pas la chambre, vous lui répondez, vous lui présentez des requêtes, et vous voilà sur la sellette. Il est vrai, monsieur, mais je n'y suis pas

a-t-il répondu, j'y suis;

par ma volonté, on m'y mène; il y a une puissance à laquelle il faut obéir, et c'est une mortification que Dieu me fait souffrir, et que je reçois de sa main peut-être pouvait-on bien me l'épargner, après les services que j'ai rendus et les charges que j'ai eu l'honneur d'exercer. »

Après cela, M. le chancelier a continué l'interrogatoire de la pension des gabelles, où M. Fouquet a très bien répondu. Les interro

gations continueront, et je continuerai de vous les mander fidèlement; je voudrais seulement savoir si mes lettres vous sont rendues sûrement.

A M. DE POMPONNE

Lundi 1er décembre 1664.

Il y a deux jours que tout le monde croyait que l'on voulait tirer l'affaire de M. Fouquet en longueur; présentement ce n'est plus la même chose, c'est tout le contraire; on presse extraor dinairement les interrogations. Ce matin, M. le chancelier a pris son papier, et a lu, comme une liste, dix chefs d'accusation, sur quoi il ne donnait pas le temps de répondre. M. Fouquet a dit : « Monsieur, je ne prétends pas tirer les choses en longueur; mais je vous supplie de me donner le loisir de vous répondre vous m'interrogez, et il semble que vous ne vouliez pas écouter ma réponse; il m'est important que je parle. Il y a plusieurs articles qu'il faut que j'éclaircisse, et il est juste que je réponde sur tous ceux qui sont dans mon procès.

donc fallu l'entendre, contre le gré des malintentionnés; car il est certain qu'ils ne sauraient souffrir qu'il se défende si bien. Il a fort bien

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répondu sur tous les chefs on continuera de suite; et la chose ira si vite, que je compte que les interrogations finiront cette semaine. Je viens de souper à l'hôtel de Nevers; nous avons bien causé, la maîtresse du logis et moi, sur ce chapitre. Nous sommes dans des inquiétudes qu'il n'y a que vous qui puissiez comprendre, car je viens de recevoir votre lettre; elle vaut mieux que tout ce que je puis écrire. Vous mettez ma modestie à une trop grande épreuve, en me mandant de quelle manière je suis avec vous et avec votre cher solitaire. Il me semble que je le vois et que je l'entends dire ce que vous me mandez; je suis au désespoir que ce ne soit pas moi qui aie dit: La metamorphose de Pierrot en Tartuffe. Cela est si naturellement dit, que si j'avais autant d'esprit que vous m'en croyez, je l'aurais trouvé au bout de ma plume.

Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très vraie, et qui vous divertira. Le roi se mêle depuis peu de faire des vers. MM. de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comment il faut s'y prendre. Il fit l'autre jour un petit madrigal, que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin il dit au maréchal de Gramont : << Monsieur le maréchal, lisez, je vous pric, ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent parce qu'on sait

que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons. » Le maréchal, après avoir lu, dit au roi : « Sire, Votre Majesté juge divinement bien de toutes choses; il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'ai jamais lu. » Le roi se mit à rire, et lui dit: « N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat? Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom. Oh bien! dit le roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé si bonnement; c'est moi qui l'ai fait. Ah! Sire, quelle trahison! que Votre Majesté me le rende; je l'ai lu brusquement. Non, monsieur le maréchal les premiers sentiments sont toujours les plus naturels. » Le roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrais que le roi en fît là-dessus, et qu'il jugeât par là combien il est loin de connaître jamais la vérité.

A M. DE POMPONNE

Janvier 1665.

Ce matin à dix heures on a amené M. Fouquet à la chapelle de la Bastille. Foucault tenait

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