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laire, on ne peut lui comparer que Cicéron, dans l'antiquité, et Voltaire, parmi les modernes. Sa correspondance n'est pas seulement un livre plein d'intérêt, par les idées et par le tour qu'elle leur donne, c'est aussi un monument précieux du siècle dont elle fait revivre pour nous les grandeurs, les petitesses, la haute raison et les préjugés. L'historien n'y trouve pas moins son compte que l'homme de goût.

Les premières lettres de Mme de Sévigné sont adressées à Ménage, son précepteur, à la date de 1652. Vers le même temps elle écrivait aussi au comte de Bussy-Rabutin, son parent. Son talent se révèle déjà presque tout entier dans sa correspondance avec M. de Pomponne, au sujet du procès de Fouquet. A partir de 1671 elle écrit régulièrement à Mme de Grignan. On commença de bonne heure à apprécier scs lettres. Les premières qui parurent furent publiées dans les Mémoires et Correspondances de Bussy-Rabutin, en 1697. On fit un premier recueil en 1726. Mme de Simianc, petite-fille de Mme de Sévigné, publia trois recueils de 1734 à 1754. Elle supprima certaines lettres et en altéra d'autres, par des principes de convenance respectables. Depuis, le texte original a été restitué, de nouvelles lettres sont venucs s'ajouter aux premières, et il en a été fait, en 14 volumes,

une édition qui paraît définitive, dans la Collection des Grands écrivains de la France.

A MÉNAGE

Je vous dis encore une fois que nous ne nous entendons point, et vous êtes bien heureux d'être éloquent, car sans cela tout ce que vous m'avez mandé ne vaudrait guère. Quoique cela soit merveilleusement bien arrangé, je n'en suis pourtant pas effrayée, et je sens ma conscience si nette de ce que vous me dites, que je ne perds pas espérance de vous faire connaître sa pureté. C'est pourtant une chose impossible, si vous ne m'accordez une visite d'une demiheure; et je ne comprends pas par quel motif vous me la refusez si opiniâtrement. Je vous conjure encore une fois de venir ici, et puisque vous ne voulez pas que ce soit aujourd'hui, je vous supplie que ce soit demain. Si vous n'y venez pas, peut-être ne me fermerez-vous pas votre porte, et je vous poursuivrai de si près que vous serez contraint d'avouer que vous avez un peu de tort. Vous me voulez cependant faire passer pour ridicule, en me disant que vous n'êtes brouillé avec moi qu'à cause que vous êtes fâché de mon départ. Si cela était

ainsi, je mériterais les Petites-Maisons et non pas votre haine; mais il y a toute différence, et j'ai seulement peine à comprendre que, quand on aime une personne et qu'on la regrette, il faille, à cause de cela, lui faire froid au dernier point, les dernières fois que l'on la voit. Cela est une façon d'agir tout extraordinaire, et comme je n'y étais pas accoutumée, vous devez excuser ma surprise. Cependant je vous conjure de croire qu'il n'y a pas un de ces anciens et nouveaux amis dont vous me parlez, que j'estime ni que j'aime tant que vous. C'est pourquoi, devant que de vous perdre, donnez-moi la consolation de vous mettre dans votre tort, et de dire que c'est vous qui ne m'aimez plus.

A MÉNAGE

Vendredi, 23 Juin 1656.

Votre souvenir m'a donné une joie sensible, et m'a réveillé tout l'agrément de notre ancienne amitié. Vos vers m'ont fait souvenir de ma jeunesse, et je voudrais bien savoir pourquoi le souvenir de la perte d'un bien aussi irréparable ne donne point de tristesse. Au lieu du plaisir que j'ai senti, il me semble qu'on devrait pleurer; mais sans examiner d'où peut venir ce senti

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AGIDIVS MENAGIVS

GVILLELMI FIL.

Rob Nantuel ad viuum Faciebat. Cum priul Regis 1652.

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ment, je veux m'attacher à celui que me donne la reconnaissance que j'ai de votre présent. Vous ne pouvez douter qu'il ne me soit agréable, puisque mon amour-propre y trouve si bien son compte, et que j'y suis célébrée par le plus bel esprit de mon temps. Il faudrait pour l'honneur de vos vers que j'eusse mieux mérité tout celui que vous me faites. Telle que j'ai été, et telle que je suis, je n'oublierai jamais votre véritable et solide amitié, et je serai toute ma vie la plus reconnaissante comme la plus ancienne de vos très humbles servantes.

A M. DE POMPONNE

Aujourd'hui, lundi 17 novembre 1664, M. Fouquet a été, pour la seconde fois, sur la sellette; il s'est assis sans façon, comme l'autre fois. M. le chancelier a recommencé à lui dire de lever la main : il a répondu qu'il avait déjà dit les raisons qui l'empêchaient de prêter le serment. Là-dessus M. le chancelier s'est jeté dans de grands discours, pour faire voir le pouvoir légitime de la chambre; que le roi l'avait établie, et que les commissions avaient été vérifiées par les compagnies souveraines.

M. Fouquet a répondu que souvent on faisait

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