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lui, il se fàche aisément, étant difficile que la vie que je viens de dire qu'il mène, ne lui échauffe le sang; ainsi voilà sur quoi il s'emporte et se fâche, et c'est le plus grand défaut qu'il ait. J'ai ouï dire que jamais homme ne fut si calme dans les combats, ni si intrépide; rien ne l'étonne; le péril le rassure et le modère : il donne ses ordres avec la dernière tranquillité. Il reçoit les louanges avec embarras, et ne veut jamais ouïr parler de ses belles actions.

Madame de Sévigné.

Marie de Rabutin-Chantal naquit à Paris le 5 février 1626. Son père, Celse-Benigne de Rabutin, fut tué en 1627 dans un combat contre les Anglais, et sa mère mourut en 1633. Elle fut recueillie par son aïeul maternel, puis par son oncle, l'abbé de Coulanges, qu'elle appelait « le bien bon >> et aux soins duquel elle dut beaucoup. Elle eut pour professeurs Ménage et Chapelain. Ménage valait mieux que la réputation qui lui a été faite par Molière; Chapelain passait justement pour un homme fort versé en toutes sortes de matières d'érudition. Ils lui apprirent l'italien et l'espagnol, qui étaient alors

les langues à la mode, et aussi le latin qu'elle entendait très bien et de manière à lire couramment les grands auteurs. Elle reçut donc une éducation littéraire au moins égale à celle des hommes.

Elle parut à la cour d'Anne d'Autriche, à l'âge de seize ans. Elle épousa en 1644 le marquis Henri de Sévigné, d'une illustre famille de Bretagne. Homme d'esprit, mais prodigue et fantasque, il dissipa une partie de ses biens et de ceux de sa femme; il fut tué en duel en 1651. La marquise, veuve à vingt-cinq ans, avec deux enfants, se consacra, d'abord tout entière à leur éducation. Elle ne reparut à la cour qu'en 1654, et elle s'y fit remarquer par la justesse et par l'agrément de son esprit. Elle fut aussi une des habituées de l'hôtel de Rambouillet, où elle se lia avec Madeleine de Scudéry, la marquise de Sablé et Mme de La Fayette. Son jugement droit et son bon sens la préservèrent toujours des excès où tombaient les Précieuses.

L'accueil flatteur que lui faisaient les meilleures sociétés ne l'empêcha pas de donner toute sa sollicitude à l'éducation de ses enfants. Elle fit enseigner à sa fille tout ce qu'elle avait étudié elle-même, et elle l'initia à la philosophie de Descartes. Quand Me de Sévigné parut

dans le monde, vers l'àge de seize ans, elle s'y montra digne de sa mère. Elle n'avait pas son esprit vif et primesautier, mais elle avait sa raison forte et son bon sens avisé. Elle épousa, en janvier 1669, François-Adhémar de Monteil, comte de Grignan, et elle quitta sa mère le 5 février 1671 pour s'établir définitivement en Provence.

On sait que l'éloignement de Mme de Grignan fut l'occasion de la correspondance célèbre qui a fait la réputation de Mme de Sévigné. Elle ne fit en Provence que quelques rares séjours, et elle vécut le plus souvent à Paris, et, de temps en temps, à son château des Rochers, en Bretagne. Elle administrait habilement sa fortune qu'il lui fallait souvent défendre contre les prodigalités de son fils Charles de Sévigné. Celui-ci avait surtout hérité des qualités brillantes de sa mère; il avait quelque chose de son esprit, mais il manquait de raison.

Mme de Sévigné a raconté elle-même sa vie, et presque jour par jour, depuis le départ de sa fille. Cette vie n'est pas remplie de grands événements. Elle allait à la cour de temps en temps, et elle assista à l'une des représentations d'Esther à Saint-Cyr, où le roi lui fit l'honneur de lui demander son avis sur cette pièce. Elle aimait à s'entretenir avec le cardinal

de Retz, le duc de La Rochefoucauld, et Mme de La Fayette. Sa santé, un peu altérée dans les dernières années, la força à diverses reprises d'aller à Vichy et à Bourbon-l'Archambault. Elle mourut de la petite vérole à Grignan, chez sa fille, le 17 avril 1696, à l'âge de soixantedix ans.

Les contemporains de Mme de Sévigné ont loué à l'envi son caractère et ses vertus. Elle avait toutes les qualités du cœur, et elle en donna la preuve en plus d'une circonstance. Elle n'abandonna pas Fouquet dans son infortune, et elle resta fidèle à plus d'un frondeur disgracié. Elle savait oublier même les injures. Elle était chrétienne, sans ostentation, et elle aimait à faire régner autour d'elle une gaieté douce et de bon goût.

Il serait superflu de faire ici l'éloge du style de Mm de Sévigné. Personne peut-être, sauf La Fontaine, n'a parlé une langue plus vive, plus naturelle et plus française. Elle a le mouvement, la couleur, la vie, la variété, tout ce qui attire et retient l'attention. Nulle part plus que dans ses lettres on ne rencontre de ces expressions heureuses et vraiment trouvées, auxquelles on reconnaît les écrivains originaux. Ce style, qui mérite si fort d'être admiré, ne peut pas être proposé comme un modèle à

imiter. Il tient aux qualités d'esprit de Mm de Sévigné, il lui est propre, et personne ne sau

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rait se l'approprier sans forcer son naturel, c'està-dire, sans se gåter. Comme écrivain épisto

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