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sœurs qui était morte il n'y avait que quinze jours; elle me pria de demeurer, ce que je fis. Ce ballet fut fort joli.

Je m'amusai assez à causer avec les gens qui étaient autour de moi. Il s'y rencontra Comminges, que je fus fort aise de voir et d'entretenir, M. Šervien, le maréchal d'Albret. Elle me demanda combien j'avais de sœurs, des nouvelles de mon père, où il était; elle me dit : « Il est le seul en France qui ne m'a pas fait l'honneur de m'envoyer visiter. » Elle me demanda de quelle maison était ma belle-mère; elle me fit plusieurs questions et des cajoleries. infinies, me louant sur toutes choses. Puis sur le ballet, à quoi elle voyait que je n'avais pas grande attention, elle me disait : « Quoi! après avoir été si longtemps sans en voir, vous vous en souciez si peu ! Cela m'étonne bien. »

Après le ballet nous fûmes à la comédie; là elle me surprit; car, en louant les endroits qui lui plaisaient, elle jurait Dieu; elle se couchait dans sa chaise, jetait ses jambes d'un côté, d'un autre, les passait sur les bras; enfin elle faisait des postures que je n'avais vu faire qu'à Trivelet et à Dodelet, qui sont deux bouffons, l'un Italien, l'autre Français. Elle reprenait les vers qui lui plaisaient; elle parla sur beaucoup de choses. Ce qu'elle dit, elle le dit

assez agréablement. Il lui prend des rêveries profondes, fait de grands soupirs; puis tout d'un coup elle revient comme une personne qui s'éveille en sursaut; elle est tout à fait extraordinaire.

Après la comédie, on apporta une collation. de fruits et de confitures; et on alla ensuite voir un feu d'artifice sur l'eau. Elle me tenait par la main à ce feu, où il y eut des fusées qui vinrent fort près de nous; j'en eus peur ; elle se moqua de moi et me dit : « Comment! Une demoiselle qui a été aux occasions, et qui a fait de si belles et grandes choses, a-t-elle peur? » Je lui répondis que je n'étais brave qu'aux occasions, et que c'était assez pour moi.

Elle parla tout bas à M. de Guise, qui lui dit « Il le faut dire à Mademoiselle. >> Elle disait que la plus grande envie qu'elle aurait au monde serait de se trouver à une bataille, et qu'elle ne serait point contente que cela ne lui fût arrivé, et qu'elle portait furieusement envie au prince de Condé de tout ce qu'il avait fait. Elle me dit : « C'est votre bon ami? Oui, Madame, lui répondis-je, et mon parent très proche. C'est le plus grand homme du monde, dit-elle; on ne lui saurait ôter cela. » Je lui répliquai qu'il était bien heureux d'être si avantageusement dans son esprit.

PORTRAIT DU GRAND CONDÉ

Je le peindrai comme je l'ai vu, au retour d'un combat. Sa taille n'est ni grande ni petite, mais des mieux faites et des plus agréables, fort menue, étant maigre. Sa mine est haute et relevée; ses yeux fiers et vifs; un grand nez; la bouche et les dents pas belles, et particulièrement quand il rit; mais à tout prendre, il n'est pas laid, et cet air relevé qu'il a sied bien mieux à un homme que la délicatesse des traits. Après avoir dit le jour que je me représente pour le peindre, vous croirez bien qu'il était armé, mais que dans son portrait l'on mettra sa cuirasse plus droite qu'elle n'était, puisque les courroies étaient coupées de toutes sortes de coups; il aura aussi l'épée à la main ; et assurément l'on peut dire qu'il la porte d'aussi bonne grâce qu'il s'en aide bien. Voilà à peu près son portrait dessiné. Il ne suffit pas de l'avoir habillé, il faut le décorer nous mettrons les batailles de Rocroy, de Nordlingue, de Fribourg, de Lens, et toutes les villes qu'il a prises et secourues; l'on verra une bataille prête à donner, l'autre se donnera, car les feux et la fumée des canons font de beaux rembrunissements à la peinture, aussi bien que le sang

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et le carnage... Venons à l'intérieur ce prince a de l'esprit infiniment, est universel en toutes sciences, possède toutes les langues, et sait tout ce qu'il y a de plus beau en chacune, ayant beaucoup étudié et étudiant tous les jours, quoiqu'il s'occupe assez d'autres choses. La guerre est sa passion dominante. Jamais homme ne fut si brave, et l'on a souvent dit de lui qu'il était :

Plus capitaine que César

Et aussi soldat qu'Alexandre.

Il a l'esprit enjoué, familier, civil, d'agréable conversation, raille agréablement et quelquefois trop; on l'en a même blâmé, quoique cela n'ait pas été jusques à l'excès, comme ont voulu le dire ses ennemis. Il est quelquefois chagrin, colère et même emporté, et sur cela il n'y a personne qui puisse dire qu'il ne le soit pas trop. Il connaît bien les gens, les discerne et fait grand cas des personnes de mérite. Il est agissant au dernier point fut plus vigilant, ni plus fatigue comme un simple cavalier, ayant une santé et une vigueur qui lui permet d'être jour et nuit à cheval, sans prendre aucun repos. Quand il trouve des gens qui aiment le leur, et qui n'ont pas le service aussi à cœur que

jamais homme ne actif à la guerre; il

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