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dinaire, et même dangereux, à cause de la nouveauté ; cependant il le prit et m'épousa.

A. SOREL J'avoue qu'il est beau d'assujettir ceux qui se précautionnent tant contre notre pouvoir.

ROXELANE. Les hommes ont beau faire, quand on les prend par les passions, on les mène où l'on veut. Qu'on me fasse revivre et qu'on me donne l'homme du monde le plus impérieux, je ferai de lui tout ce qu'il me plaira, pourvu que j'aie beaucoup d'esprit, assez de beauté et peu d'amour.

DIALOGUE IX.

HÉLÈNE, FULVIE.

HÉLÈNE. Il faut que je sache de vous, Fulvie, une chose qu'Auguste m'a dite depuis peu. Est-il vrai que vous conçûtes pour lui quelque inclination, mais que, comme il n'y répondit pas, vous excitâtes votre mari Marc-Antoine à lui faire la guerre?

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FULVIE. Rien n'est plus vrai, ma chère Hélène; car, parmi nous autres mortes, cet aveu ne tire pas à conséquence. Marc-Antoine était fou de la comédienne Cithéride, et j'eusse bien voulu me venger de lui en me faisant aimer d'Auguste; mais Auguste était difficile en maîtresses il ne me trouva ni assez jeune, ni assez belle; et, quoique je lui fisse entendre qu'il s'embarquait dans la guerre civile, faute d'avoir quelques soins pour moi, il me fut impossible d'en tirer aucune complaisance. Je vous dirai même, si vous voulez, des vers qu'il fit sur ce sujet, et qui ne sont pas trop en mon honneur. Les voici :

Parce qu'Antoine est charmé de Glaphire,

(c'est ainsi qu'il appelle Cithéride)

Fulvie à ses beaux yeux me veut assujettir.

Antoine est infidèle. Eh bien ! donc, est-ce à dire
Que des fautes d'Antoine on me fera pâtir?

Qui, moi, que je serve Fulvie!

Suffit-il qu'elle en ait envie?

A ce compte, on verrait se retirer vers moi
Mille épouses mal satisfaites.

Aime-moi, me dit-elle, ou combattons. Mais, quoi!
Elle est bien laide! Allons, sonnez, trompettes.

HÉLÈNE. Nous avons donc causé, vous et moi, les deux plus grandes guerres qui aient peut-être jamais été : vous celle d'Antoine et d'Auguste, et moi celle de Troie ?

FULVIE. Mais il y a cette différence que vous avez causé la guerre de Troie par votre beauté, et moi celle d'Auguste et d'Antoine par ma laideur.

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HÉLÈNE. En récompense, vous ayez un autre avantage sur moi c'est que votre guerre est beaucoup plus plaisante que la mienne. Mon mari se venge de l'affront qu'on lui a fait en m'aimant, ce qui est assez naturel; et le vôtre vous venge de l'affront qu'on vous a fait en ne vous aimant pas, ce qui n'est pas trop ordinaire aux maris.

FULVIE. Oui, mais Antoine ne savait pas qu'il faisait la guerre pour moi, et Ménélas savait bien que c'était pour vous qu'il la faisait. C'est là un point qu'on ne saurait lui pardonner, car, au lieu que Ménélas, suivi de toute la Grèce, assiégea Troie, pendant dix ans, pour vous retirer d'entre les bras de Pâris, n'est-il pas vrai que, si Pàris eût voulu absolument vous rendre, Ménélas eût dù soutenir dans Sparte un siége de dix ans pour ne vous pas recevoir? De bonne foi, je trouve qu'ils avaient tous perdu l'esprit, tant Grecs que Troyens. Les uns étaient fous de vous redemander, et les autres l'étaient encore plus de vous retenir. D'où vient que tant d'honnêtes gens se sa

crifiaient aux plaisirs d'un jeune homme qui ne savait ce qu'il faisait? Je ne pouvais m'empêcher de rire en lisant cet endroit d'Homère où, après neuf ans de guerre et un combat dans lequel on vient tout fraichement de perdre beaucoup de monde, il s'assemble un conseil devant le palais de Priam. Là, Auténor est d'avis que l'on vous rende, et il n'y avait pas, ce me semble, à balancer: on devait seulement se repentir de s'être avisé un peu tard de cet expédient. Cependant Pàris témoigne que la proposition lui déplaît, et Priam, qui, à ce que dit Homère, est égal aux dieux en sagesse, embarrassé de voir son conseil qui se partage sur une affaire si difficile, et ne sachant quel parti prendre, ordonne que tout le monde aille souper.

HELENE. Du moins, la guerre de Troie avait cela de bon. qu'on en découvrait aisément tout le ridicule; mais la guerre civile d'Auguste et d'Antoine ne paraissait pas ce qu'elle était. Lorsqu'on voyait tant d'aigles romaines en campagne, on n'avait garde de s'imaginer que ce qui les animait si cruellement les unes contre les autres, c'était le refus qu'Auguste vous avait fait de ses bonnes grâces.

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FULVIE. Ainsi vont les choses parmi les hommes on y voit de grands mouvements, mais les ressorts en sont d'ordinaire assez ridicules. Il est important, pour l'honneur des événements les plus considérables, que les causes en soient cachées.

DIALOGUE X.

BRUTUS, FAUSTINE.

BRUTUS. Quoi se peut-il que vous ayez pris plaisir à faire mille infidélités à l'empereur Marc-Aurèle, à un mari qui avait toutes les complaisances imaginables pour vous, et qui était sans contredit le meilleur homme de tout l'empire romain?

FAUSTINE. Et se peut-il que vous ayez assassiné Jules César, qui était un empereur si doux et si modéré?

BRUTUS. Je voulais épouvanter tous les usurpateurs par l'exemple de César, que sa douceur et sa modération n'avaient pu mettre en sûreté.

FAUSTINE. Et si je vous disais que je voulais effrayer tellement tous les maris, que personne n'osât songer à l'être après l'exemple de Marc-Aurèle, dont la bonté avait été si mal payée ?

BRUTUS. C'était là un beau dessein! Il faut qu'il y ait des maris, car qui gouvernerait les femmes ? Mais Rome n'avait point besoin d'être gouvernée par César.

FAUSTINE. Qui vous l'a dit? Rome commençait à avoir des fantaisies aussi déréglées et des humeurs aussi étranges que celles qu'on attribue à la plupart des femmes; elle ne pouvait plus se passer de maître, mais elle ne se plaisait pourtant pas à en avoir un. Les femmes sont justement du même caractère on doit convenir aussi que les hommes sont trop jaloux de leur dominanation; ils l'exercent dans le mariage, c'est déjà un grand article; mais ils voudraient même l'exercer en amour. Quand ils demandent qu'une maîtresse leur soit fidèle, fidèle veut dire soumise. L'empire devrait être

également partagé entre l'amant et la maîtresse; cependant il passe toujours de l'un ou de l'autre côté, et presque toujours du côté de l'amant.

BRUTUS. Vous voilà étrangement révoltée contre tous les hommes !

FAUSTINE. Je suis Romaine, et j'ai des sentiments romains sur la liberté.

BRUTUS. Je vous assure qu'à ce compte-là tout l'univers est plein de Romaines; mais avouez que les Romains tels que moi sont un peu plus rares.

FAUSTINE. Tant mieux qu'ils soient si rares. Je ne crois pas qu'un honnête homme voulût faire ce que vous avez fait, et assassiner son bienfaiteur.

BRUTUS. Je ne crois pas non plus qu'il y eût d'honnêtes femmes qui voulussent imiter votre conduite; pour la mienne, vous ne sauriez disconvenir qu'elle n'ait été assez ferme. Il a fallu bien du courage pour n'être pas touché par l'amitié que César avait pour moi.

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FAUSTINE. Croyez-vous qu'il ait fallu moins de courage. pour tenir bon contre la douceur et la patience de MarcAurèle? Il regardait avec indifférence toutes les infidélités que je lui faisais il ne me voulait pas faire l'honneur d'être jaloux; il m'ôtait le plaisir de le tromper. J'en étais en si grande colère, qu'il me prenait quelquefois envie d'être femme de bien. Cependant je me sauvai toujours de cette faiblesse, et, après ma mort même, Marc-Aurèle ne m'a-t-il pas fait le déplaisir de me bâtir des temples, de me donner des prêtres, d'instituer en mon honneur des fètes Faustiniennes ? Cela n'est-il pas capable de faire enrager? M'avoir fait une apothéose magnifique! m'avoir érigée en déesse!

BRUTUS. J'avoue que je ne counais plus les femmes voilà les plaintes du monde les plus bizarres.

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