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Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise!
Et puis, prenez de tels fripons le soin!
Que les parents sont malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille!

Qu'ils ont de maux! et que je plains leur sort!
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant.
Se peut connaître au discours que j'avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand :
Le Créateur en a béni l'engeance.
En toute affaire ils ne font que songer
Au moyen d'exercer leur langue.
Hé, mon ami! tire-moi de danger;
Tu feras après ta harangue.

LA MORT ET LE MALHEUREUX.

Un malheureux appelait tous les jours
La Mort à son secours.

O Mort! lui disait-il, que tu me sembles belle!
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle!
La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je! cria-t-il ôtez-moi cet objet!
Qu'il est hideux! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi!
N'approche pas, ô Mort! ô Mort, retire-toi!

Mécénas fut un galant homme :

Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme

Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort! on t'en dit tout autant.

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Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour toute besogne,

Avait un brouet clair; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n'en put attraper miette
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.
A l'heure dite, il courut au logis

De la cigogne son hôtesse,
Loua très-fort sa politesse,

Trouva le dîner cuit à point:

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point.

Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris ;
Attendez-vous à la pareille.

LES FRELONS ET LES MOUCHES A MIEL.

A l'œuvre on connaît l'artisan.

Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent: Des frelons les réclamèrent;

Des abeilles s'opposant,

Devant certaine guêpe on traduisit la cause.
Il était malaisé de décider la chose :

Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que des abeilles,
Avaient longtemps paru. Mais quoi! dans les frelons
Ces enseignes étaient pareilles.

La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière.

Le point n'en put être éclairci.

De grâce, à quoi bon tout ceci?

Dit une abeille fort prudente.

Depuis tantôt six mois que l'affaire est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.

Il est temps désormais que le juge se hâte :
N'a-t-il point assez léché l'ours?

Sans tant de contredits, et d'interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les frelons et nous :

On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties.

Le refus des frelons fit voir

Que cet art passait leur savoir;

Et la guêpe adjugea le miel à leurs partics.

Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès!
Que des Turcs en cela l'on suivit la méthode!
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code.
Il ne faudrait point tant de frais.

Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs :

On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.

LE CHIÊNE ET LE ROSEAU.

Le chêne un jour dit au roseau :

Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête :

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphir.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage.
Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci;

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables:
Je plic, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans couber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furic

Le plus terrible des enfants

Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon, le roseau plic.

Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

FIN DU PREMIER LIVRE.

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