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Les Levantins en leur légende
Disent qu'un certain rat, las des soins d'ici-bas,
Dans un fromage de Hollande

Se retira loin du tracas.
La solitude était profonde,
S'étendant partout à la ronde.

Notre ermite nouveau subsistait là dedans.
Il fit tant, de pieds et de dents,

Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage?
Il devint gros et gras: Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font vou d'être siens.

Un jour, au dévot personnage
Des députés du peuple rat

S'en vinrent demander quelque aumône légère:
Ils allaient en terre étrangère

Chercher quelque secours contre le peuple chat;

Ratopolis était bloquée :

On les avait contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent

De la république attaquée.

Ils demandaient fort peu, certains que le secours
Serait prêt dans quatre ou cinq jours.
Mes amis, dit le solitaire,

Les choses d'ici-bas ne me regardent plus :
En quoi peut un pauvre reclus

Vous assister? Que peut-il faire,

Que de prier le ciel qu'il vous aide en ceci?
J'espère qu'il aura de vous quelque souci.
Ayant parlé de cette sorte,

Le nouveau saint ferma sa porte.

Qui désigné-je, à votre avis,
Par ce rat si peu secourable?

Un moine? Non, mais un dervis :
Je suppose qu'un moine est toujours charitable.

LES VAUTOURS ET LES PIGEONS.

Mars autrefois mit tout l'air en émute.
Certain sujet fit naître la dispute

Chez les oiseaux, non ceux que le Printemps
Mène à sa cour, et qui sous la feuillée,
Par leur exemple et leurs sons éclatants,
Font que Vénus est en nous réveillée;
Ni ceux encor que la mère d'Amour
Met à son char; mais le peuple vautour,
Au bec retors, à la tranchante serre.
Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre.

Il plut du sang je n'exagère point.
Si je voulais compter de point en point
Tout le détail, je manquerais d'haleine.
Maint chef périt, maint héros expira;
Et sur son roc Prométhée espéra
De voir bientôt une fin à sa peine.
C'était plaisir d'observer leurs efforts;
C'était pitié de voir tomber les morts.
Valeur, adresse, et ruses, et surprises,
Tout s'employa. Les deux troupes, éprises
D'ardent courroux, n'épargnaient nuls moyens
De peupler l'air que respirent les ombres :
Tout élément remplit de citoyens

Le vaste enclos qu'ont les royaumes sombres.
Cette fureur mit la compassion

Dans les esprits d'une autre nation

Au cou changeant, au cœur tendre et fidèle.
Elle employa sa médiation

Pour accorder une telle querelle :
Ambassadeurs par le peuple pigeon
Furent choisis, et si bien travaillèrent,
Que les vautours plus ne se chamaillèrent.
Ils firent trêve, et la paix s'ensuivit.
Hélas! ce fut aux dépens de la race
A qui la leur aurait dû rendre grâce.
La gent maudite aussitôt poursuivit
Tous les pigeons, en fit ample carnage,
En dépeupla les bourgades, les champs.
Peu de prudence eurent les pauvres gens
D'accommoder un peuple aussi sauvage.

Tenez toujours divisés les méchants :
La sûreté du reste de la terre

Dépend de là. Semez entre eux la guerre

Ou vous n'aurez avec eux nulle paix.
Ceci soit dit en passant. Je me tais.

LE COCHE ET LA MOUCHE.

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.
Femmes, moine, vieillards, tout était descendu :
L'attelage suait, soufflait, était rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Piaue l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine;

C'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine

Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire,
Va, vient, fait l'empressée : il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin,
Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disait son bréviaire :

Il prenait bien son temps! Une femme chantait :
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait!
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut.
Respirons maintenant! dit la mouche aussitôt

J'ai tant fait, que nos gens sont enfin dans la plaine. Çà, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine.

Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :

Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.

LE CURE ET LE MORT.

Un mort s'en allait tristement
S'emparer de son dernier gîte;
Un curé s'en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,

Et vêtu d'une robe, hélas! qu'on nomme bière,
Robe d'hiver, robe d'été,

Que les morts ne dépouillent guère.
Le pasteur était à côté,

Et récitait, à l'ordinaire,
Maintes dévotes oraisons,

Et des psaumes et des leçons,

Et des versets et des répons

Monsieur le mort, laissez-nous faire,

On vous en donnera de toutes les façons;
Il ne s'agit que du salaire.

Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,
Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor,

Et, des regards, semblait lui dire :
Monsieur le mort, j'aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire,

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