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verture. Que n'ai-je ici un piano pour vous la faire entendre! Mes amis, c'est un article bien essentiel qu'un piano, et ce sera la première chose qu'il faudra acheter.

Scipion. Oui, sans doute; ça, et une voiture, c'est de première écessité; nous les aurons.

Auguste. Nous aurons tout, maintenant que nous voilà riches.

Scipion. Ah! j'ai aussi un papier que le portier m'a remis en bas; je crois que c'est notre terme.

Tous. Le terme !!

Auguste. Ah! mon Dieu! déjà! (Ils se lèvent.)

Camille. Écoutez donc, c'est aujourd'hui le huit, pour nous comme pour tout le monde.

Auguste. Non pas, il me semble que pour les artistes cela revient plus souvent.

Victor. Enfin, il n'y a point de mal: on paiera celui-là comme on a payé l'autre.

Auguste. Oui; mais c'est que l'autre, on le doit; j'a vais obtenu un délai, et nous devions payer les deux ensemble.

Victor. Raison de plus pour se hâter. Camille, toi qui es notre ministre des finances, donne-nous de l'argent.

Camille. Il n'y a plus rien, tout est dépensé.

Victor. Comment! ces deux cents francs que nous avions mis de côté pour les grandes occasions!...

Camille. Ces messieurs savent bien que tout y a passé pour les frais de votre maladie.

Scipion, (qui lui faisait signe de se taire.) Voyez-vous la bavarde; qu'est-ce qu'elle avait besoin de parler?

Victor. Comment! c'était pour moi ?

Auguste. Eh non! ce n'est pas ta faute, mais celle de Scipion; le quinquina est cher en diable, et il en ordonnait tous les jours.

Scipion. Trouve-moi donc une autre manière de couper la fièvre.

Victor. Encore un nouveau service que je vous dois ! Et c'est moi qui suis cause de l'embarras où vous vous trouvez, moi qui ne fais rien pour vous, qui vous suis à charge.

Camille, (qui s'est approchée de lui.) Victor! Victor que dites-vous? et quelles sont ces idées-la! (Aux deux autres.) Apprenez qu'hier encore je l'écoutais, et qu'il ne parlait que de se tuer.

'Le terme, pour le paiement du loyer, est ordinairement de trois mois.

Victor. Moi!

Camille. Oui, monsieur; je vous ai entendu.

Scipion. Qu'est-ce que c'est que cela, monsieur? Est-ce que cela vous regarde? Chacun son état! Quand on a un ami qui est reçu docteur, on ne s'occupe plus de ces choseslà? D'ailleurs, je ne vois pas qu'il y ait de quoi se désoler; s'il faut partir d'ici, eh bien! nous partirons; mais tous les trois, et sans nous quitter.

Air de Julie.

Rappelons-nous le serment qui nous lie,
Le même toit toujours nous recevra ;
Et de notre joyeuse vie,

Quand le dernier terme échoira,

Il faudra bien déloger, il me semble;

Mais, Dieu clément que nous implorons tous,

Ensemble.

Pour dernier bienfait permets-nous bis.
De déménager tous ensemble.

Camille. Mais, un instant; ne pourrait-on pas obtenir encore du temps de M. Ducros, notre propriétaire? il a l'air si bon avec mol.

Victor. Du tout! il ne faut pas y songer. (A voix basse aux deux autres.) Apprenez qu'hier j'ai eu une scène' avec lui; je l'ai surpris faisant l'aimable avec Camille, et j'ai manqué le jeter du haut en bas de l'escalier.

Auguste, (vivement.) Eh bien, par exemple! si je l'avais vu!

Scipion, (de même.) Et moi, donc il ne serait mort que de ma main. (On entend sonner.)

Camille, (allant à la porte, et regardant par le petit guichet.) C'est M. Ducros !

Victor. C'est lu! quand j'y pense, je ne sais ce qui me tient...

Scipion. C'est ça, il va tout gâter. Aie la bonté d'entrer ici à côté; et laisse-nous arranger cette affaire-là, parce qu'à nous deux Auguste, nous prendrons des moyens conciliatoires. Auguste. Oui, s'il refuse, je le jeterai par la fenêtre. Scipion. Et moi, comme Sganarelle, je lui donnerai la fièvre. (On sonne encore; Victor entre dans la chambre a droite, et Camille va ouvrir à M. Ducros.)

1 J'ai eu une querelle.

SCÈNE IV.

Scipion, Auguste, Ducros, Camille.

Ducros, (en entrant, à Camille.) Bonjour, ma jolie petite mère; bonjour, mes chers locataires. (A part, regardant Scipion et Auguste.) Ah diable! à cette heure-ci, j'espérais les trouver sortis. Ouf! je n'en puis plus; il y a loin de na boutique jusqu'ici, six étages à monter. (Regardant Camille.) Aussi le cœur bat toujours quand on arrive.

Auguste, (bas à Scipion.) L'entends-tu déjà ?

Ducros. Mais c'est trop juste, messieurs, c'est trop juste: les arts, le génie, c'est toujours dans le haut. (Il passe entre eux deux; Camille s'assied à droite près de la cheminée, et travaille; son panier est par terre à côté d'elle; il est recouvert par une serviette.)

Scipion. Ce n'est pas comme le commerce, toujours au rezde-chaussée.

Ducros. Eh! eh! le jeune docteur a le mot pour rire. Vous savez, du reste, ce qui m'amène. Je suis enchanté que l'occasion du terme me procure l'avantage de vous voir.

Scipion. Nous sommes bien sensibles à votre visite.

Ducros, (riant, et tirant sa quittance de sa poche.) Eh! eh! c'est une visite de deux cents francs.

Scipion. Diable! je ne fais pas encore payer les miennes aussi cher; et c'est pour cela, mon cher propriétaire, que si vous pouvez nous accorder quelques jours...

Auguste. Nous attendons des rentrées certaines.'

Ducros. J'en suis désolé; mais il faudra que je me mette en règle.

Scipion. Allons donc ; vous, monsieur Ducros, un riche propriétaire, un gros marchand bonnetier, vous ne voudriez pas pour deux cents francs vous facher avec nous.

Ducros, (gaiement.) Du tout, mes amis, du tout, je ne me fâche pas, moi; d'abord, je suis bon enfant; je suis connu pour cela dans le quartier. Je vous ferai saisir;' mais d'amitié.

Auguste. Comment, morbleu!

Scipion. Daignez nous écouter! si, sans vous donner d'al. gent, on s'entendait avec vous. Par exemple, en cas de ma.

Rentrée, arrivée de fonds, de sommes dues. Allons donc, terme d'impatience, d'étonnement. 'Je vous ferai saisir, je ferai vendre vos meubles.

ladie, je vous promets de vous faire deux visites par jour, et gratis.

Ducros. Je ne donne pas là-dedans; moi d'abord, je ne suis jamais malade, par économie.

Auguste. Notre ami Victor vous fera le portrait de votre femme.

Ducros. Madame Ducros! on la voit déjà à son comptoir, c'est bien assez! Ah, bien oui! faire le portrait d'une mar chande de bas!

Auguste. On vous la peindra en pied.'

Ducros. Je n'en veux pas.

Scipion. Ce sera parlant.

Ducros. Raison de plus; de l'argent, de l'argent. Auguste, (le menaçant.) Eh bien! puisqu'il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison...

Camille, (le retenant et passant entre lui et Ducros.) Auguste, y pensez-vous? (A Ducros.) Eh quoi! monsieur, vous qui aviez l'air si bon et si humain, vous ne voulez point nous accorder le moindre délai, vous voulez nous renvoyer?

Ducros. Vous renvoyer! non pas.

Camille. Vous voulez que nous vous quittions?

Ducros. Me quitter! (A part.) Au fait, ce n'est pas là ce que je veux, et j'allais prendre un mauvais moyen. (Haut.) Écoutez-moi, mon enfant, car je ne peux rien refuser à une jolie femme ces messieurs parlaient tout à l'heure de tableau; et dans un moment où tous mes confrères les bonnetiers donnent dans le luxe des enseignes, je ne serais pas fâché de m'élever à la hauteur du siècle, et si je trouvais pour mon magasin de bonneterie...

Scipion. Quoi! vraiment? vous voudriez une enseigne? parlez, commandez.

Ducros. Oui, mais toutes celles que j'ai marchandées sont hors de prix, surtout depuis que les grands maîtres s'en mêlent. Je voudrais, voyez-vous, un petit chef-d'œuvre à bon compte ; qu'il y eût de la fraîcheur, de l'éclat, de la grâce, un peu de génie; et quarante-deux pouces de large, sur cinquante de hauteur; c'est l'emplacement.

Scipion. Je comprends. Eh bien, tenez, tenez! ce tableau qui est là sur le chevalet.

Camille. Quoi vous voudriez...?

Scipion. Laisse donc. (A Ducros.) Hein! qu'en dites.

vous ?

'Peindre en pied. En anglais: to paint in full length.

Ducros, (passant à la droite de Scipion.) Juuste ma dimension. (Le regardant.) Ça n'est pas mal, pas mal du tout.

Camille. Je crois bien, un tableau d'histoire, une scène de Walter-Scott: Élisabeth offrant à Leicester l'ordre de la jar

retière.

Auguste. De la jarretiere! justement, c'est de votre état. Scipion. Et voyez-vous l'effet que ça produira rue Saint Denis, quand on lira en grosses lettres: "Ducros, bonnetier, à la Jarretière." Et les bas de coton en sautoir.'

Ducros. C'est vrai, c'est vrai; eh bien, je le prendrai en payement de vos loyers.

Scipion. Non pas, non pas; cela vaut un peu plus.

Camille. Je crois bien, un tableau comme celui-là.

Scipion. Tenez, pour ne pas marchander, six cents francs et notre amitié.

Ducros. J'aimerais mieux cinq cents francs tout court; c'est plus rond, c'est portatif.

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Et Leicester par-dessus le marché. (Bis.)

Ducros. Allons, puisque c'est conclu, dans une heure je viendrai le chercher en vous apportant l'argent. (Il salue les Jeunes gens. A part.) Puisqu'il est impossible (désignant Camille) de lui parler. (Il glisse une petite lettre dans le panier de Camille, qui est assise et occupée à travailler.) Eh bien, ma charmante, êtes-vous contente de moi? C'est pour vous ce que j'en fais.

'En sautoir, croisés.

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