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Madame de Detmond. Pour nous, mon fils, qui ne sommes coupables d'aucun crime.

Le Page. D'ailleurs il m'a promis qu'il garderait le se cret, que le colonel n'en saurait rien.

Madame de Detmond, (effrayée.) Quoi! il te l'a promis? Le Page. Assurément. Ainsi il ne faut pas vous alarmer. Madame de Detmond. Je suis consternée. Tu as donc dit?...

Le Page. Ah! presque rien. Ce que je savais? Et puis il m'a interrogé sur la conduite de mon frère, et je ne pou vais pas mentir. Vous me l'avez défendu vous-même.

Madame de Detmond. Mais, mon ami, mon cher fils...
Le Page. Comment! vous êtes inquiète ?

Madame de Detmond. Si je suis inquiète? Hélas! si je le suis! Et si le prince en demande davantage! S'il apprend!... Tu peux perdre ta mère, ton frère. Tu peux nous plonger tous dans un abîme de malheurs.

Le Page, (prêt à pleurer.) Dans un abîme de malheurs ?... Madame de Detmond. On vient... (Elle l'embrasse et l'en courage.) Ne dis rien. Sèche tes larmes; elles ne servira ient qu'à rendre peut-être le mal plus grave. Sois tranquille

SCÈNE XIII.

Madame de Detmond, le Page, le Prince; derrière lui, Don nonville et l'Enseigne.

Le Prince. Entrez, messieurs, suivez-moi. (A l'enseigne. C'est donc vous qui êtes Detmond, le fils de ce brave major?

L'Enseigne, (s'inclinant profondément.) Oui, monseigneur Le Prince. C'est une bonne recommandation auprès de moi. Vous aviez pour père un homme plein d'honneur, un brave guerrier. Sans doute que son exemple excite votre émulation, et que vous cherchez à vous rendre digne de lui! L'Enseigne. Monseigneur, je ne fais en cela que mon de

voir.

Le Prince. C'est tout faire. Le plus brave homme n'er fait pas davantage. Tenez, monsieur, voilà votre mère: ser vertus, et les espérances que donne cet aimable enfant, m'on: fait concevoir de la famille l'idée la plus avantageuse. C'est pour cela que j'ai voulu vous voir tous rassemblés ici.

L'Enseigne, (s'inclinant toujours.) Monseigneur, vous me fai es beaucoup de grâce.

Le Prince. Je ne vous en fais pas plus sans doute que vous n'en méritez.

L'Enseigne. Votre Altesse juge bien favorablement.

Le Prince. En effet, monsieur, il ne me manque que la conviction dans le jugement que je suis tenté de porter de vous, pour faire votre fortune. Cependant cet air libre et assuré qui vous sied si bien...

L'Enseigne. Ah! monseigneur...

Le Prince. Annonce (souffrez que je le dise) une âme noble ou très-corrompue. On ne saurait soupçonner un fils né de tels parens. Non sans doute. Ainsi, monsieur, que pourrait-on faire pour vous? Un grade de plus ne vous avancerait pas beaucoup. Qu'en pensez-vous ?

L'Enseigne, (se frottant les mains.) Non assurément, monseigneur...

Le Prince. Mais si nous sautions ce grade? Le rang de capitaine, une compagnie : c'est là le premier but de tous ces messieurs. Mais auparavant... (Il se tourne rapidement vers le capitaine.) Monsieur, que pensez-vous de votre neveu? Dornonville, (un peu embarrassé.) Moi, monseigneur? Ce que j'en pense?...

Le Prince. On dirait, beaucoup de mal.

Dornonville. Non, monseigneur, plutôt du bien. Je crois qu'il a du cœur, qu'il sera brave...

Le Prince, (regardant l'enseigne avec un air de satisfaction.) Oui? Cela est-il vrai ?

Dornonville. D'ailleurs il est d'une taille avantageuse.

Le Prince. C'est un bel homme, j'en conviens. Mais sa conduite, ses mœurs! Je rougis de vous questionner sur de pareilles bagatelles. Enfin, quel est son caractère ?

Dornonville, (souriant.) Ah! un peu trop de gaieté, de pétulance quelquefois. Au reste, monseigneur, comme vous savez, cela ne messied pas à un soldat.

Le Prince. Comme je sais? C'est en vérité quelque chose de nouveau pour moi. Il ne me manque plus que votre témoignage, madame. Que me direz-vous de votre fils? (Après une pause.) Rien ?

Madame de Detmond. Que pourrais-je en dire?

Le Prince. Ce que vous en pensez, la vérité.

Madame de Detmond. Et le puis-je, monseigneur? Si j'a. vais à le louer, voudriez-vous que je le fisse en sa présence? Ou si j'avais à le blâmer, serait-ce devant celui qui tient son sort entre ses mains?

Le Prince, (souriant.) Fort bien, madame. Au bon cœur

d'une mère vous joignez toute la finesse d'une femme

Ja

ne puis m'empêcher de vous admirer. (Reprenant un ton sérieux.) Monsieur, chacun a ses principes. J'ai les miens. Quand je veux avancer un officier, je commence par l'envoyer aux arrêts. Que vous en sembie?

L'Enseigne, (effrayé.) Monseigneur...

Le Prince. Oui, c'est ma manière. Reinettez votre épés au capitaine. Un air plus modeste aurait tout excusé. Mais ce ton assuré, cette hardiesse !... Avec une conscience comme la vôtre, qu'attendre d'un homme aussi effronté? qui devrait sentir qu'il a mérité ma disgrâce; qui sait avec quelle indignité il en a agi avec la meilleure des mères; et qui cependant... Monsieur, qu'il soit aux arrêts pour un mois. Je ne veux point d'éclaircissemens sur ce qui s'est passé. C'est à votre considération, madame, et à cause de la manière dont je m'en suis instruit ; et surtout parce que les circonstances me font présumer que sa faute est très-grave... (D'un ton ferme et sévère.) Monsieur le capitaine, si dans la suite il se passait quelque chose, je veux en être informé sur-lechamp; vous m'entendez, sur-le-champ. J'ai dessein d'avancer ce jeune homme: et ni vous, (au capitaine,) ni (d'un ton plus doux) vous, madame, ne dérangerez mon plan... (s'adressant particulièrement à elle.) Ne lui donnez jamais rien; jamais, ne fût-ce qu'une bagatelle, à titre de présent. Ses appointemens peuvent lui suffire. Qu'il apprenne à borner sa dépense. (Il lui fait signe avec la main.) Allez, monsieur, rendez-vous aux arrêts. (Les deux officiers sortent.)

SCÈNE XIV.

Le Prince, Madame de Detmond, et le Page.

Le Prince, (la regardant.) Eh bien! madame, vous êtes triste ?

Madame de Detmond, (respectueusement.) Monseigneur, je suis mère.

Le Prince. Mais vous n'êtes pas une de ces mères faibles qui, pour épargner à leurs enfans quelques mortifications, aiment mieux ne les pas corriger ?

Madame de Detmond. Ce serait une tendresse mal entendue. Non: je crains seulement qu'il n'ait perdu à jamais les bonnes grâces de son prince.

Le Prince. Rassurez-vous. Mon intention n'a été que de le rendre digne des grâces que je veux répandre sur lui. Indul

gent pour la jeunesse, je lui pardonne volontiers son incon séquence et ses étourderies; mais je ne le puis pas toujours. Ce qui dans l'un ramène, avec le repentir, l'amour de la vertu, fortifie dans l'autre son penchant pour le vice. Au demeurant,' soyez sans inquiétude. Ce jeune homme deviendra raisonnable; et je mesurerai mes bontés sur son changement. (Se tournant vers le page.) Quant à cet enfant, savez-vous quelles sont mes vues?

Ô mon

Madame de Detmond. Non, monseigneur. Quelles qu'elles soient, elles ne tendront qu'à assurer son bonheur. prince! je n'ai jamais laissé passer un jour sans payer à vos vertus le tribut de mon hommage; mais je sens bien aujourd'hui combien il était peu digne de vous.

Le Prince. Que voulez-vous dire, madame? Vous ne me connaissez point. Mon but est de donner un brave homme à l'état, à moi-même un serviteur fidèle, et d'élever pour mon fils un ami qui soit disposé à sacrifier sa vie pour lui comme son père l'a fait pour moi.

SCÈNE XV.

Le Prince, Madame de Detmond, le Page, un Valet-dechambre.

Le Valet-de-chambre. Monseigneur ! monsieur le Directeur. Le Prince. Qu'il entre! J'espère, madame, qu'il suffira que vous soyez instruite de mes intentions pour les approv

ver.

SCÈNE XVI.

Le Prince, Madame de Detmond, le Page, le Directeur.

Le Directeur, (s'inclinant.) Je me rends à vos ordres, monseigneur.

Le Prince. Bonjour, monsieur. Je suis charmé de vous voir. De combien est la pension des enfans de la première qualité ?

Le Directeur. De douze cents livres, monseigneur.

Le Prince. Bon. J'ai ici un enfant que je veux vous envoyer. Je prétends, en lui servant de père, faire autant pour lui que les meilleurs gentilshommes pour leurs fils. Mais, dites-moi, qui est chargé de veiller sur ces jeunes gens? car c'est le point essentiel.

Le Directeur. Monseigneur, ce sont des maîtres.

1 Du reste.

Le Prince. Dignes, sans doute, de ne? Mais je ne les connais pas. sieur, que je veux m'en rapporter. confiance.

l'emploi qu'on leur don C'est à vous seul, mon Vous avez gagné ma

Voudriez-vous bien vous charger vous-même du

soin particulier d'élever cet enfant ?

Le Directeur. C'est mon devoir, monseigneur.

Le Prince. Je ne prétends pas vous en faire un devoir Y consentirez-vous avec plaisir ?

Le Directeur. Je trouve mon plaisir dans mon devoir.

Le Prince. Fort bien! Vous pouvez compter sur ma reconnaissance. (Au page, en le prenant par la main.) Viens, mon ami: tu vois bien monsieur; il est bon et doux. Voudrais-tu aller vivre avec lui?

Le Page, (après avoir regardé un moment le directeur.) Oui, monseigneur.

Le Prince. Mais aussi, apprends comment il faut regarder monsieur: comme ton maître, comme ton bienfaiteur. Tu auras pour lui la plus grande obéissance, le respect le plus tendre. Et si jamais il avait à se plaindre de toi... Le Page. Ah! monseigneur, jamais!

Le Prince. Tu as vu que je sais être aussi sévère que je suis bon. Ainsi, à la moindre plainte...

Le Page, (au directeur, en lui baisant respectueusement la main.) Non, monsieur, non, jamais vous n'aurez à vous plaindre de moi.

Le Prince. Comment trouvez-vous cet enfant ?

Le Directeur. Il suffit, monseigneur, que je le reçoive de vos mains, pour qu'il me soit déjà cher comme mon propre fils.

Le Prince. Il peut donc aller avec vous. Y consentezvous, madame ?

Madame de Detmond. Dieu! si j'y consens.

Le Prince. Va donc, ne t'écarte jamais du chemin de l'honneur et de la vertu. Pour ce qui est du reste, sois sans inquiétude, tu ne manqueras jamais de rien... (Le regardant.) Mais pourquoi cet air triste?

Le Page, (prenant la main du prince.) Vivez heureux, monseigneur.

Le Prince, (ému.) Et toi aussi, mon petit ami. Mon fils, sois heureux. Comme son cœur est déjà reconnaissant! Je vous laisse, monsieur. Et vous, madame, suivez-le, et voyez où va votre enfant.

Madame de Detmond, (se jetant à ses genoux.) Monseigneur, puis-je me retirer sans que mon cœur...

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