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plus de jugement, plus de raison. Ayant autrefois fait la guerre avec honneur, il occupait alors dans la diplomatie une place importante... Il y a deux ans, il avait l'air de te faire une cour assidue; mais lorsque je t'en ai parlé, à peine si tu as daigné m'écouter, et tu as rejeté ma proposition avec un dédain...

Cécile. Sans doute: parce que c'était le lendemain du bal... de ce bal où il avait dansé toute la soirée avec mademoiselle de Fierville, sans daigner seulement m'adresser la parole. Il est vrai que de mon côté je ne l'ai pas regardé, et que j'ai toujours dansé avec Frédéric; que je lui ai donné mes gants, mon éventail; que je l'accablais de marques d'amitié: car j'étais d'une humeur... C'est depuis ce jour-là qu'il m'a adorée. Je vous demande s'il y a de ma faute ? Le lendemain, M. Gustave a été encore plus assidu auprès de sa nouvelle conquête il ne l'a pas quittée d'un seul instant, et j'ai cru voir, j'ai vu, j'en suis certaine, qu'il lui serrait la main; dans ce moment Frédéric me faisait une déclaration. J'avoue que je ne sais pas ce que je lui ai répondu : il m'a assuré depuis que je lui avais dit que je l'aimais. Cela se peut bien j'étais si en colère! et depuis ce moment je n'ai plus revu M. Gustave.

Air: Qu'il est flatteur d'épouser celle.
Alors par un destin prospère,
Comme époux un autre s'offrit;
De vous je l'acceptai, mon père,
Afin que Gusta e l'apprit.
Ma destinée étal: affreuse,
Je pleurais, mais j'étais enfin
Contente d'être malheureuse,
Pourvu qu'il en eût du chagrin.

Dormeuil. Que ne le disais-tu donc plus tôt? Maintenant, réfléchis au scandale d'une pareille rupture; un mariage publié, et qui doit se célébrer demain : nous nous ferions des ennemis irréconciliables de toute cette famille de Frédéric, qui est puissante dans la province. Et d'ailleurs, puisque tu n'aimes pas Gustave...

Cécile. Moi, non certainement, je ne l'aime pas.

Dormeuil. Et puis le temps, l'absence... Gustave habite Paris, nous, cette terre au fond de l'Auvergne : il n'y a pas apparence que jamais vous puissiez vous rencontrer.

Cécile. Oh! je l'espère bien; car sa seule présence me causerait une indignation dont je ne serais pas maîtresse. Dormeuil. Rassure-toi: tu n'as rien à craindre.

Air: Femmes, voulez-vous éprouver.

Tu triompheras d'un penchant
Dont ton cœur eût été victime;

Va, crois-moi, le plus tendre amant
Ne vaut pas l'époux qu'on estime.
Chez l'un l'amour fuit sans retour,
Quand, chez l'autre, il se fortifie;
L'amour est le plaisir d'un jour,

L'hymen le bonheur de la vie.

En attendant, promets-moi de prendre un peu plus sur toi. même. Depuis quelque temps, je te trouve changée... Un jour de noce on a besoin d'être jolie... et tu n'as pas dormi cette nuit. Mon appartement était près du tien, et je t'ai entendue parler tout haut; je t'ai entendue marcher: cela ne t'est jamais arrivé; et ce n'est que depuis quelque temps. Allons, Cécile, un peu de courage, un peu de fermeté.

Cécile. Ah! pourvu que je ne le voie pas, je vous promets

tout.

SCÈNE III.

Les Précédents; Marie.

Marie, (accourant.) Voici M. Frédéric, et sans doute son coureur avec la corbeille, car j'ai cru apercevoir près de lui une espèce de postillon. Ils sont au bout de l'avenue... Mais l'on vous attend dans le salon.

Dormeuil. Nous y allons. (Donnant la main à sa fille.) Tu diras à Frédéric de nous rejoindre. (Il sort par la droite.) Marie, (bas à Cécile.) Eh bien, mademoiselle?

Cécile. Rien n'est changé; mais n'importe... J'ai parlé à mon père, et je suis plus tranquille; suis-moi.

SCENE IV.

Frédéric, paraissant aux croisées du fond; Gustave, Baptiste.

Frédéric, (tient à la main un fusil et une carnassière, qu'il jette à terre en entrant.) Holà! hé! quelqu'un! Moi, je n'aime pas à faire mon entrée incognito. (A Gustave et à Baptiste, qui entrent.) Eh! arrivez donc, mes amis, et n'ayez pas peur : vous êtes chez moi.

Gustave. Mon cher Frédéric, que ne te dois-je pas!

Frédéric. Allons donc, ne parlons pas de cela. Ce pauvre Baptiste n'est pas encore revenu de sa frayeur.

Baptiste. Non, il n'y a pas de quoi: quand on vient de se trouver entre le feu et l'eau !

J'ar

Frédéric. Ma foi, je me suis trouvé là bien à point. rivais au haut de la montagne, lorsque j'aperçois une chaise

1 Prendre sur soi, se maîtriser
2 Bien à point, fort à propos

de poste emportée par deux chevaux fougueux qui avaient quitté la grande route, et se dirigeaient vers un précipice. Baptiste. Je le vois encore d'ici: deux cents toises de pro fondeur !

Frédéric. Non mais cinquante, et c'est bien assez. Le postillon, qui était cet imbécile, avait déjà abandonné les guides et perdu l'étrier; j'étais à soixante pas de vous; impossible de vous arrêter à temps: je glisse une balle dans mon fusil; j'ajuste le cheval du postillon: je le renverse, l'autre s'abat, et vous vous trouvez tous à terre, mais de plain pied, et sur le plus beau gazon du monde! un endroit fait exprès pour verser.

Baptiste. Oui; un cheval de cinquante louis qui est resté sur la place.

Frédéric. C'est égal, le coup était bon à soixante pas, juste à l'épaule; c'était bien là que je visais, je t'en donne ma parole d'honneur.

Baptiste. Et moi qui étais dessus; je vous demande.'
Frédéric. J'étais sûr de mon coup.

e recommence; remets Baptiste.

Baptiste. Non pas, non pas.

Air du Ménage de Garçon.

Enfin si tu veux, je

Je crains quelque balle indiscrète

Frédéric.

Au but je suis sûr de frapper,
D'ailleurs, en ami je vous traite.

Baptiste.

N'importe, on pourrait se tromper.
On voit tant de gens à la ronde
Fort bien avec tous les partis,
Mais qui tirent sur tout le monde,
Et qui font feu sur leurs amis.

Frédéric, (à Gustave.) Ah ça? tu ne me quittes pas: songe qu'aujourd'hui tu m'appartiens tout entier. Je suis ici chez moi, et je me fais un plaisir de te recevoir... Si tu savais... je te conterai cela tout à l'heure... C'est aujourd'hui le plus beau jour de ma vie ! il ne me manquait que la présence de mon meilleur ami. Baptiste, votre maître couche ici; laissez-nous, et allez à l'office.

Baptiste. J'y allais, monsieur.

Frédéric. C'est bien, et tu diras qu'on prépare la chambre... (A Gustave.) Je te demande pardon, mon ami, vois. ta, un maître de maison... Écoute, Baptiste... 'a chambre...

Je vous demande s'il ne pouvait pas me tuer aussi bien que le cheval

Quelle chambre vais-je donc lui donner?... c'est que tout est pris! Ah! notre pavillon! parbleu! le pavillon du jardin un endroit charmant! qui est un peu en défaveur depuis que le jardinier prétend y avoir vu la nuit de grandes figures blanches...; mais je sais que cela ne te fait rien. Gustave. Oh! absolument.

Frédéric.

Air d'Arlequin musard.

Un mien grand-oncle a rendu l'âme.1
Gustave.

J'entends, voilà le revenant

Frédéric.

Non, le fantôme est une femme.
Et c'est la sienne apparemment.
Grâce à la concorde profonde
Qu'entre eux l'on voyait exister,
Depuis qu'il est dans l'autre monde,
Sa femme n'y veut plus rester.

Gustave. Ma foi, mon ami, j'en suis enchanté !

Frédéric. Va pour le pavillon. (A Baptiste.) Tu y porte. ras la valise de ton maître.

Baptiste, (à Gustave.) Et moi, monsieur, je pense maintenant que vous feriez peut-être mieux de continuer votre route. Monsieur votre père sera inquiet.

Frédéric. Est-ce que le commandant en chef de ta cavalerie démontée serait poltron, par hasard?

Baptiste. Moi, monsieur, ce que j'en dis n'est que par intérêt pour mon maître; car, Dieu merci, j'ai fait mes preuves: quand quelqu'un a eu comme moi un cheval tué sous lui!

Gustave. C'est bon, laisse-nous.

SCÈNE V.

Gustave, Frédéric.

Frédéric. Ce cher Gustave! quel bonheur de le trouver! Je n'ai point oublié qu'au régiment tu étais mon guide, mon mentor: car j'étais un peu mauvais sujet, et je n'ai jamais fait grand-chose. Toi, c'est different: tu as toujours valu mieux que moi, j'en conviens. C'est toi qui payais mes dettes, et qui m'as sauvé je ne sais combien de coups d'épée, sans compter ceux que tu as reçus pour moi; et ceux-là, vois-tu bien, (mettant la main sur son cœur,) ils sont là; ça ne s'oublie pas. Mais, dis-moi un peu, depuis que nous ne

1 A rendu l'âme, est mort.

nous sommes vus, il me semble que ta sagesse a pris une teinte bien rembrunie.

Gustave. Ma foi, mon cher, je crois que je deviens philo soplie ; je m'ennuie et si ce n'était pas payer tes services d'ingratitude, je te dirais que tout à l'heure j'ai été presque fâché lorsque tu as arrêté mes chevaux... Oui, mon ami j'étais amoureux, j'ai été trahi; ça va te faire rire: moi, ça me désole. J'ignore ce que la perfide est devenue: je ne m'en suis point informé. J'avais réalisé quelques fonds, envoyé ma démission de secrétaire d'ambassade, et je quittais la France lorsque je t'ai rencontré.

Frédéric.

Air du vaudeville du Fetit Courrier.
Par dépit nous fuir sans retour,
Ah! certes, la folie est grande;
Conçoit-on, je te le demande,
Un Français qui se meurt d'amour;
Un guerrier constant qui se flatte
De fixer de jeunes beautés ;
Enfin, un amant diplomate
Qui croit à la foi des traités.

Gustave, (souriant.) Tu as raison; je suis un extravagant, mais il ne s'agit pas ici de mes chagrins, parlons plutôt de ton bonheur : c'est le moyen de me les faire oublier; il paraît que tu es dans une situation...

Frédéric. Superbe, mon ami, et surtout bien extraordinaire. Je me marie, et ce n'est pas sans peine. Tu sais combien j'ai manqué de mariages; je n'ai jamais pu en conclure un seul.

Gustave. Oui, tu jouais de malheur: des duels, des ri

vaux...

Frédéric. Et le chapitre des informations: il y a des parents curieux, qui veulent tout savoir: c'était cela qui me faisait toujours du tort; mais enfin je suis tombé sur un beaupère raisonnable; il pense qu'il faut que la jeunesse fasse des folies, ce qui est aussi mon système; et c'est ce soir que nous signons le contrat... Une fille unique, cinquante mille livres de rente, et je l'aime !... comme je les aimais toutes... car, franchement, je n'ai jamais eu de préférence marquée pour personne: c'est encore une des considérations cui ont déterminé le beau-père.

Air des Maris ont tort.

Oui, depuis qu'existe le monde,
Chacun dispute à tout propos
Et sur la brune et sur la blonde,
Sur le Champagne et le Bordeaux.
A quoi bon toutes ces querelles ?
Je n'ai jamais d'avis certains,
Et j'adore toutes les belles,
Comme je bois de tous les vins.

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