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Rémy. A toi je peux te le confier. Eh bien, oui, je suis amoureux, et sans espoir.

Delmar. Sans espoir! laisse donc c'est quand les méde cins n'en ont plus, que cela va toujours à merveille.

Rémy. Le père est un riche propriétaire, M. Germont. Delmar. M. Germont, de Montpellier! nous voilà en pays de connaissance. Il a ici à Paris une nièce, madame de Melcourt, chez laquelle je suis reçu, et qui me parle souvent de son oncle, un original sans pareil, qui tient à la gloire et à la réputation, et qui a pensé mourir de joie en voyant un jour son nom imprimé dans le journal du département.

Rémy. C'est lui-même. Il ne recherche pas la fortune, car il en a beaucoup; mais quand j'étais à Montpellier, il m'a promis la main de sa fille à condition que je retournerais à Paris, que je m'y ferais connaître, que je deviendrais un docteur à la mode, et pour tout cela il ne m'a donné que trois ans.

Delmar. C'est plus qu'il n'en faut.

Rémy. Non, vraiment; car nous voilà à la fin de la troisi ème année, j'ai travaillé sans relâche, et je suis inconnu.

Air: Connaissez mieux le grand Eugène.

Ma clientèle est bien loin d'être bonne.

Delmar.

Les vivants sont tous des ingrats

Rémy.

Pourtant, je n'ai tué personne.

Delmar.

Mon pauvre ami, tu ne parviendras pas.
Il faut à vous d'illustres funérailles!
Un médecin est comme un conquérant:
Autour de lui, sur les champs de bataille,
Plus il en tombe, et plus il paraît grand.

C'est ta faute; si tu m'étais venu voir plus tôt, nous aurions cherché à te lancer. D'abord, j'aurais parlé de toi dans mes vaudevilles; cela aurait couru la province, cela se serait peut-être joué à Montpellier; et si ton beau-père va au spectacle, ton mariage était décidé.

Rémy. Laisse donc. Est-ce que j'aurais jamais consenti...?

Delmar. Pourquoi pas? Mais il est encore temps; nous avons vingt-quatre heures devant nous; et en vingt-quatre heures, il se fait à Paris bien des réputations. Justement, voici mon ami Rondon, le journaliste.

SCÈNE III,

Les Précédents; Rondon.

Rondon. Bonjour, mon cher Delmar. (A Rémy, qu'il salue.) Monsieur, votre serviteur. (A Delmar.) Je t'apporte de bon. nes nouvelles, car je sors du comité de lecture, et l'ouvrage que nous avons terminé hier a produit un effet...

Delmar. C'est bien; nous en parlerons dans un autre moment. Tu viens pour travailler?

Rondon. Oui, morbleu! (Appelant.) John! à déjeuner! car moi, je suis un bon convive et un bon enfant.

Delmar. Je te présente le docteur Rémy, mon camarade de collége, et mon meilleur ami, un jeune praticien, qui est persuadé que pour réussir il suffit d'avoir du mérite.

Rondon. Monsieur vient de province ?

Delmar. Non: du faubourg Saint-Jacques.
Rondon. C'est ce que je voulais dire.

Delmar, (à Rémy.) Apprends donc, et mon ami Rondon te le dira, que, dans ce siècle-ci ce n'est rien que d'avoir du taient.

Rondon. Tout le monde en a.

Delmar. L'essentiel est de le persuader aux autres, et pour cela il faut le dire, il faut le crier.

Rondon. Monsieur a-t-il composé quelque ouvrage ?

Rémy. Un Traité sur le croup, qui renferme, je crois, quel. ques vues utiles; mais toute l'édition est encore chez Ponthieu et Delaunay, mes libraires.

Rondon. Nous l'enlèverons; j'en ai enlevé bien d'autres. Delmar. Ne fais-tu pas un cours?

Rémy. Oui, tous les soirs, je réunis quelques étudiants.

Delmar. Nous en parlerons.

Rondon. Nous vous ferons connaître.

nombreuse clientèle ?

Rémy. Non, vraiment.

Rondon. C'est égal, on le dira de même.

Avez-vous une

Delmar. Cela encouragera les autres! et puis, j'y pense, il y a une place vacante à l'Académie de médecine de Paris. Rondon. Pourquoi ne vous mettez-vous pas sur les rangs? Rémy. Moi! et des titres ?

Delmar. Des titres! à l'Académie! c'est du luxe. As-tu adopté quelque innovation, quelque système ? Pourquoi n'entreprends-tu pas l'Acupuncture?

Rondon. Ah, oui! le système des aiguilles?

Air du vaudeville de Fanchon
Pour guérir, on vous pique,
Système économique,
Qui depuis ce moment
Répand

La joie en nos familles ;
Car nous avons en magasins
Plus de bonnes aiguilles
Que de bons médecins.

Delmar.

Les jeunes ouvrières,
Les jeunes couturières
Ont remplacé la Faculté ;
Ces novices gentilles
Vont, en servant l'humanité,
Avec un cent d'aiguilles,
Nous rendre la santé.

Rondon. Je te prends ce trait-là pour mon journal, car je parle de tout dans mon journal; mais je ne me connais pas beaucoup en médecine; et si monsieur veut me donner deux ou trois articles tout faits...

Rémy. Y pensez-vous! Employer de pareils moyens, ce serait mal, ce serait du charlatanisme.

Delmar. Raison de plus.

Rondon. Du charlatanisme! mais tout le monde en use à Paris; c'est approuvé, c'est reçu, c'est la monnaie courante. Delmar. Témoin notre dernier succès.'

Rondon. D'abord la représentation était au bénéfice d'un acteur, qui se retirait définitivement pour la quatrième fois. Delmar. Depuis un mois, les journaux annonçaient qu'il n'y avait plus de places, que tout était loué.

Rondon. Et la composition du spectacle!

Delmar. Et celle du parterre! je ne t'en parle pas; mais il ne faut pas croire que nous soyons les seuls. Dans tous les états, dans toutes les classes, on ne voit que charlatanisme.

Rondon. Le marchand affiche une cessation de commerce qui n'arrive jamais.

Delmar. Le libraire publie la troisième édition d'un ouvrage avant la première.

Rondon. Le chanteur fait annoncer qu'il est enrhumé, pour exciter l'indulgence. Charlatans! charlatans! tout icibas n'est que charlatans.

Delmar. Je ne te parle pas des compères.

Rondon. Nous serons les vôtres. Je vous offre mes ser.

vices et mon journal, car moi je suis bon enfant.

1 Notre dernier succès en est la preuve.

Rémy. Je vous remercie, messieurs; mais j'ai aussi mon système, et je suis persuadé que, sans intrigue, sans prôneurs, sans charlatanisme, le véritable mérite finit toujours par se faire connaître et acquérir une gloire solide et plus durable. Delmar. Oui, une gloire posthume: essaye, et tu m'en diras des nouvelles.

Rémy. Adieu, je vais faire quelques visites.

Delmar, (le retenant.) Mais, écoute donc.

Rémy. Si les personnes que j'attends arrivaient pendant mon absence, charge-toi de les recevoir et de leur montrer leur appartement.

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Rondon. C'est donc un philosophe que ton ami le médecin ? Delmar. Non, mais c'est un obstiné qui, par des scrupules déplacés, va manquer un beau mariage.

Rondon. C'est cependant quelque chose qu'un beau mari age; et puisque nous en sommes sur ce chapitre, j'ai un confidence à te faire. Il est question, en projet, d'un superbe établissement pour moi: vingt mille livres de rente.

Delmar. Vraiment! et quelle est la famille ?

Rondon. Je ne te le dirai pas, car je n'en sais rien en core; mais on doit me présenter au beau-père dès qu'il sera arrivé.

Delmar. Ah! il n'est pas de Paris?

Rondon. Non; mais il vient s'y fixer: un homme im mensément riche, qui aime les arts, qui les cultive lui-même, et qui ne serait pas fâché d'avoir pour gendre un littérateur distingué et un bon enfant ; et je suis là.

Delmar. C'est cela, te voilà marié, et tu ne feras plus rien.

Air de la Robe et les Bottes.

Prends-y bien garde, tu t'abuses!

Oui, tu compromets ton état ;

Quand on se voue au commerce des muses,
On doit rester ridèle au célibat.

Rondon.

Crois-tu l'hymen si funeste à l'étude '

Delmar.

L'hymen, mon cher, est funeste aux auteurs ;
A nous surtout, nous qui, par habitude,

Avons toujours des collaborateurs.

Et voilà pourquoi je veux rester garçon.

Rondon. Oui, et pour quelque autre raison encore. a de par le monde une jolie petite dame de Melcourt.

Il y

Delmar. Y penses-tu? la femme d'un académicien! Un instant, monsieur, respect à nos chefs, aux vétérans de la littérature.

Rondon. Oh! je suis prêt à ôter mon chapeau; mais il n'en est pas moins vrai qu'un mari académicien est ce qu'il y a de plus commode! d'abord, l'habitude qu'ils ont de fermer les yeux.

Delmar. Halte-là, ou nous nous fâcherons. Madame de Melcourt est la sagesse même. Avant son mariage, c'était une amie de ma sœur; et il n'y a entre nous que de la bonne amitié. Ingrat que tu es! c'est à elle que nous devons nos succès; c'est notre providence littéraire. Vive, aimable, spirituelle, répandue dans le grand monde, partout elle vante tous nos ouvrages. Divin! délicieux! admirable! elle ne sort pas de là; et il y a tant de gens qui n'ont pas d'avis, et qui sont enchantés d'être l'écho d'une jolie femme! Et aux premières représentations, il faut la voir aux loges d'avantscène. Elle rit à nos vaudevilles, elle pleure à nos opérascomiques. Dernièrement encore, j'avais fait un mélodrame... qui est-ce qui ne fait pas de sottise? j'avais fait un mélodrame a Feydeau; elle a eu la présence d'esprit de s'évanouir au second acte, cela a donné l'exemple; cela a gagné la première galerie; toutes les dames ont eu des attaques de nerfs, et moi un succès fou. Si ce ne sont pas là des obligations!... Rondon. Allons! allons! tu as raison; mais il faudra lui

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