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comme disoit Caton, il vaut mieux découdre que déchirer. On doit du respect à l'ancienne amitié ; et s'il est permis à un honnête homme qui s'est trompé dans le choix de ses amis, de les abandonner, ce doit toujours être de telle sorte qu'ils se ressentent en toute occasion d'avoir été les amis d'un honnête homme.

Ne condamnez pas vos amis sans les entendre ou sans vous être bien assuré qu'ils sont coupables. Quand il s'agit de se brouiller avec une personne qui nous est chère, on ne sauroit trop s'éclaircir ni être trop sûr. Il faut n'être ni facile à écouter, ni prompt à croire. Combien de faux rapports ont brouillé de vrais amis !

Vous vous trouverez rarement dans le cas de rompre, si vous prenez pour règle, comme nous l'avons dit, de ne choisir que des amis vertueux et gens de bien, et si vous avez soin de les éprouver avant que de vous lier avec eux. Ne donnez jamais votre amitié, qu'après vous être assuré qu'on en est digne, et ne vous empressez pas à mettre au nombre de VOS amis ceux dont vous n'aurez pas connu auparavant, à des marques certaines, l'attachement sincère et la fidélité. Il faut éprouver dans les commencemens du commerce: c'est le faire trop tard, que d'attendre qu'on soit ami. Il faut mettre à l'épreuve ceux qu'on veut aimer, et ménager ceux qu'on aime.

Faites pour l'amitié ce qu'on doit faire pour le mariage. Ayez, beaucoup de prudence avant

parce qu'on y manque, qu'on voit aussi peu de bonnes amitiés que de bons mariages. Prenez les yeux d'Argus, pour connoître les défauts de la personne avec laquelle vous voulez lier une étroite amitié ; mais la liaison faite, devenez aveugle, ou si vous ne pouvez vous dissimuler les défauts de votre ami, ne les remarquez que pour l'en avertir avec bonté et pour les supporter. On ne peut aller loin dans l'amitié, si l'on n'est pas disposé à souffrir quelquefois l'un de l'autre. En liant amitié avec des hommes, il faut s'attendre aux défauts de l'humanité, que le plus vertueux doit le plus excuser et pardonner.

Vous ferez aussi très-sagement, si vous voulez garder long-temps vos amis, d'être toujours poli avec eux. La familiarité que permet l'amitié, ne dispense jamais de la politesse; et la liberté permise entre amis, doit toujours être accompagnée d'égards, sur-tout en présence des autres. On a vu bien des amitiés rompues, ou du moins considérablement altérées, parce que, sous prétexte d'agir librement et sans façon, on en étoit venu insensiblement à agir avec impolitesse. Malherbe ayant été invité par l'abbé Desportes son ami à dîner chez lui arriva lorsqu'on étoit à table. Desportes se leva pour le recevoir, et lui dit qu'il alloit lui chercher un exemplaire de la nouvelle édition de ses poésies. Cela n'est pas nécessaire, lui répondit Malherbe, j'aime mieux votre potage. Desportes, choqué de ce compliment, ne lui parla point durant tout

le repas; ils se quittèrent froidement, et ne

se revirent plus.

Enfin, si vous avez un bon ami que vous vouliez conserver, observez de ne jouer avec lui que quand vous êtes assuré qu'il est trèsbeau joueur; et plus avec lui qu'avec tout autre, soyez fidèle à la maxime de ne jouer jamais que petit jeu. Le gros jeu donne lieu aux injures, qui produisent les querelles et les divisions. L'amitié nous plaît, mais l'intérêt nous domine, et la perte de notre argent nous touche plus que celle d'un bon ami.

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A l'égard de l'amitié entre personnes de différent sexe, si elle est quelquefois plus agréable, elle est aussi plus dangereuse, surtout pour les femmes. Plusieurs d'elles, d'un excellent caractère et de beaucoup de mérite ont été perdues par des hommes, sous le prétexte de l'amitié. En supposant dans un homme la probité et l'honneur au plus haut degré, son amitié pour une femme tient de si près à l'amour, que si elle a quelques charmes dans sa personne, elle aura bientôt pour amant celui qu'elle ne vouloit avoir que pour ami. Ce qui fait dire à Pavillon, dans ses Conseils à Iris :

N'accoutumez point votre cœur,

Séduit par la vertu de l'objet qui le tente,
A s'attendrir par la douceur

Même d'une amitié qui peut être innocente:
L'honneur dans ce commerce est fort mal assuré,
Ne vous y laissez pas surprendre.;

Un ami si sage et si tendre,

Est bien plus dangereux qu'un amant déclaré,

Voyez d'honnêtes gens.

ON acquiert du mérite quand on fréquente ceux qui en ont. Voulez-vous devenir vertueux et homme de mérite? attachez-vous à ceux qui le sont, ne les quittez point, entretenez-vous avec eux le plus souvent qu'il vous sera possible, fixez continuellement sur eux vos regards. C'est à l'aspect des chefs-d'œuvre des Raphaël et des Michel-Ange, que les jeunes peintres s'enflamment et redoublent leurs efforts. De même un jeune homme, en contemplant les modèles qu'une société choisie offrira sans cesse à ses yeux, sentira son cœur s'échauffer d'une douce émulation, et brûler du désir de les imiter.

Le célèbre de Vic, vice-amiral et ami de Henri IV, lorsqu'il arrivoit dans une ville, s'informoit toujours quels étoient les hommes les plus recommandables par leur mérite, et alloit aussitôt les voir. De quelque condition qu'ils fussent, il les amenoit dîner ou souper avec lui.

On acquiert des mœurs avec les personnes qui en ont; on prend des manières polies et gracieuses avec les gens aimables et bien élevés; on étend son esprit et ses connoissances avec les hommes spirituels et savans. François I.er, qui fut en France le père et le restaurateur des lettres, peut servir d'exemple pour ce dernier point. Il savoit beaucoup, sans avoir presque jamais étudié; mais durant ses repas, à son

lever, à son coucher, et tout le temps qu'il ne donnoit pas aux affaires ou à la chasse, il entretenoit des hommes vraiment savans qui l'instruisoient.

Les ignorans ne nous apprennent rien, les gens de mauvais goût gåtent celui des autres, les diseurs d'équivoques et d'obscénités salissent l'imagination,les hommes grossiers abrutissent. Un père qui avoit de la naissance et du bien, mais qui ne connoissoit pas assez le prix d'une honnête et noble éducation, avoit toujours tenu son fils à la campagne, où il n'avoit vu que des paysans. Après la mort du père, le fils épousa une de ses servantes, et continua le honteux genre de vie qu'il avoit mené jusqu'alors. Quand on lui en parloit : Que voulezvous, répondit-il? c'est la faute de mon père, qui ne m'a pas donné une meilleure éducation. Il ne m'a jamais fait voir aucune bonne compagnie. Les honnêtes gens ne pourroient me souffrir. Il faut bien que je voie ceux à qui je ressemble.

Jeune homme, qui avez des sentimens et qui rougiriez de suivre un pareil exemple, liezvous de bonne heure avec les personnes polies, instruites, d'un esprit juste et d'un goût sûr. Introduisez-vous, et aimez à aller dans ces maisons respectables, où tout ce qu'on voit, tout ce qu'on entend, ne respire que les bonnes mœurs, la politesse et la décence; mais souvenez-vous que pour y être admis, il faut avoir de la conduite et de la sagesse, maintien réservé et modeste qui prévienne,

un

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