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titres passagers et des richesses fugitives que nous possédions. Mais quand tout disparoît et s'anéantit autour de nous, éclat, dignités, fortune, amis, famille, société ; nos œuvres seules ne nous abandonnent pas, elles nous accompagnent dans les régions de l'éternité. Voilà le seul trésor que nous emporterons dans le monde nouveau qui doit nous recevoir en sortant de celui-ci. De quelle importance n'est-il donc pas pour nous de songer à nous les procurer, ces richesses précieuses ? Si l'on considéroit bien que chaque moment de cette vie peut nous mériter une éternité de bonheur, pourroit-on se résoudre à le perdre si facilement ?

Nos jours passent rapidement :
L'heure de notre mort s'avance;

Et malheureux jouets d'une folle espérance,
Sans prévoir l'avenir, nous perdons le présent.
Jeunes, nous négligeons le seul bien nécessaire ;
Le temps, ce trésor salutaire,
S'enfuit, échappé de nos mains.
Au sortir des jeux enfantins,

Les plaisirs, les honneurs, les richesses frivoles
Agitent tour à tour nos désirs incertains.
Mais, ô funeste erreur ! têtes vaines et folles !
Pendant que nous comptons nos trésors superflus,
La mort vient nous abattre au pied de nos idoles ;
que de momens perdus !

La mort !

.....

Combien de personnes du grand monde meurent après avoir passé presque toute leur vie dans une espèce de prestige éblouissant et d'enchantement agréable en apparence, qui

véritable destinée! Mais si elles n'ont à présenter au tribunal du Dieu de vérité que des illusions et des songes, quel jugement doiventelles en attendre, et quel sera leur étonnement à leur réveil ?

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X X X. I V.

Sachez à vos devoirs immoler vos plaisirs.

AVANT que de développer cette belle

maxime de la sagesse, ne sera peut-être pas inutile d'examiner ici une question importante de la morale. On demande quelquefois si l'on peut aimer les plaisirs, les divertissemens; et si l'Evangile, qui prononce anathème contre ceux qui vivent dans la joie et dans les ris, en même temps qu'il canonise ceux qui souffrent et qui pleurent, ne semble pas avoir décidé le contraire.

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Nous avouerons et tout homme qui a de la religion avouera certainement avec nous que la vie d'un chrétien sur la terre doit être une vie de mortification et de pénitence Il faut porter sa croix, renoncer à soi-même, se faire une guerre continuelle, et marcher sans cesse dans cette voie étroite, qui seule doit-conduire au ciel. Mais craignons de donner dans le rigorisme d'une morale outrée, d'être plus sage qu'il ne faut. Gardons-nous de représenter la religion comme un tyran dur et cruel, qui ne se plaît qu'à entendre des gémissemens, et à voir couler des larmes : une telle idée ne serviroit qu'à inspirer de l'aversion pour elle. Si l'Ecriture nous dit qu'il vaut mieux aller dans une maison de deuil et de tristesse, que dans une maison de

festins et de divertissemens, parce que dans la première on apprend quelle sera la fin de tous les hommes, et ce que nous deviendrons nous-mêmes; elle nous dit aussi que nous pouvons jouer, nous délasser et nous récréer, pourvu que nous le fassions dans l'innocence (1).

La sagesse, disoit Mentor à son élève, n'a rien d'austére ni d'affecté : c'est elle qui donne les vrais plaisirs; elle seule sait les assaisonner, pour les rendre purs et durables; elle sait mêler les jeux et les ris avec les occupations graves et sérieuses; elle prépare le plaisir par le travail, et elle délasse du travail par le plaisir. La sagesse n'a point de honte de paroître enjouée quand il le faut. »

Il est donc certain, et il est admis dans la morale la plus exacte, que les divertissemens honnêtes ne sont pas incompatibles avec la véritable sagesse. Mais si nous voulons que nos plaisirs soient dignes d'elle, et qu'elle les approuve, il ne faut pas y placer notre bonheur, ni les goûter pour eux-mêmes. Nous devons les épurer, les ennoblir par la pureté de nos motifs, et les réduire dans les bornes du délassement ou du remède. Ne les proscrivons pas tous sans réserve, mais aussi ne les admettons pas tous sans distinction; ne les rejetons pas entièrement, mais ne nous y livrons pas sans mesure. Dans la morale, c'est entre les deux extrémités qu'est le chemin de la sagesse.

(1) Avocare, et lude, et age conceptiones tuas et non in delictis. Eccl. 32.

Laissons donc les sectateurs d'une philosophie sombre et mélancolique s'élever contre les plaisirs même les plus conformes à la raison.

reux,

Je ne prends point pour vertu
Les noirs accès de tristesse

D'un loup-garou, revêtu

Des habits de la sagesse.

ROUSSEAU.

Philosophes misanthropes, n'enviez pas aux hommes, qui ne sont déjà que trop malheuquelques amusemens passagers, qui les aident à supporter les maux de cette triste vie. Hé quoi ! destinés, comme ils le sont, par la nature à travailler et à souffrir, leur arracherez-vous encore ce qu'elle a bien voulu leur laisser pour adoucir l'amertume des peines , pour rendre plus léger le fardeau des affaires, et délasser des fatigues d'un travail pénible? Qui est-ce qui n'éprouve jamais, au sein même du repos et au milieu du travail certains momens de dégoût et d'ennui qui accableroient l'esprit et le jetteroient dans la langueur, s'il n'appeloit à son secours les délassemens et les distractions Ils le tirent de son abattement, ils le réveillent, le raniment, et lui rendent toute son activité.

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Mais si quelques plaisirs sont nécessaires, il en est sans doute de dangereux. Il y en a de si flatteurs, qu'il est bien difficile de ne pas s'y livrer avec excès, et de ne leur jamais rien sacrifier de ce qui est dû à la vertu et

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