Page images
PDF
EPUB

de larmes, de malheurs et de crimes n'ont pas causé dans tous les temps ces ennemis cruels de la paix! Aussi les coupables auteurs de ces funestes divisions, sont-ils souvent punis par l'horreur qu'ils inspirent pour eux, lorsqu'ils viennent à être connus. Evitez, dit l'Ecclésiastique, de passer pour un semeur de rapports, et prenez garde que votre langue ne devienne pour vous un piége et un sujet de confusion ; car la langue double sera punie par de rigoureux chatimens, et le semeur de rapports s'attirera la haine, l'inimitié et l'infamie (1).

Qu'arrive-t-il en effet ? on s'explique, on se justifie; les amis reviennent, les frères se réconcilient, tout se pardonne entre les époux, on répare ce qu'on avoit dit dans un moment de chagrin; et ceux que le semeur de discordes avoit mis en mauvaise intelligence, s'accordent à le hair. La personne qui a fait naître ou qui a entretenu la division, est la première victime que la partie la plus offensée demande. On sacrifie avec plaisir celui qui a rendu un si mauvais office. On se trouve heureux d'en être débarrassé. On lui interdit l'entrée des maisons qu'il a troublées; il y paroît plus dangereux qu'il n'y paroissoit utile, et il de vient l'exécration de tous les honnêtes gens: juste punition de ces sortes de scélérats! car, peut-on appeler autrement des hommes qui ne connoissent ni justice ni vérité ?

.....

(1) Susurraturi autem odium, et inimicitia, et

Et au fond, à bien examiner les rapports, en est-il de fidèles, ne sont-ils pas tous défigurés et empoisonnés? n'est-ce pas presque toujours la haine ou l'envie qui porte à les faire ? Rien n'est donc plus méprisable, plus haïssable que ces sortes de gens. уа, dit Salomon, six choses que le Seigneur hait, et son ame déteste la septième; les yeux altiers, la langue sujette à mentir, les mains qui répandent le sang innocent, le cœur qui médite de noirs desseins, les pieds légers pour courir au mal, le témoin trompeur qui profère des mensonges, et celui qui sème des divisions entre les frères. Quand il n'y aura plus de bois, dit-il encore, le feu s'éteindra;et quand il n'y aura plus de semeurs de rapports, les querelles s'apaiseront (1).

Ce sont des insectes rampans, dont le cœur et la bouche remplis de fiel et de malice, ne cherchent qu'à infecter la terre. Ce sont des ennemis de la société civile, et des perturbateurs du repos public. Ce sont de faux amis, qui viennent vous enfoncer le poignard dans le sein, et troubler la sérénité de vos jours. Ils vous apprennent ce qu'il vous seroit presque toujours plus avantageux d'ignorer. Il y a mille choses qu'il est bon de ne pas savoir, mais surtout le mal qu'on pense ou qu'on dit de nous. Ne soyons point curieux de savoir ce qui nous déplairoit. C'est folie de courir après ce qui peut chagriner.

.....

(1) Prov, 26.

Et susurrone subtracto, jurgia conquiescent.

Une personne sage se gardera donc également et de faire de mauvais rapports, et de les écouter. Celui qui en fait, trouble le repos des autres ; et celui qui les écoute, nuit à sa propre tranquillité. Une personne mal intentionnée, voulant brouiller Platon avec un de ses disciples, lui dit que ce disciple avoit tenu des discours désavantageux de son maître. Je n'en crois rien, répondit Platon, et l'on auroit bien de la peine à me persuader qu'un homme que j'aime de si bonne foi, eút l'ame assez láche et assez ingrate pour me décrier comme vous le dites. Mais voyant que l'autre appuyoit par de grands sermens ce qu'il avoit avancé : Il faut, reprit-il, que j'aie effectivement les défauts dont vous me parlez, et celui que vous voulez me rendre suspect, a jugé à propos qu'on m'en avertit.

Eu fermant l'oreille aux faiseurs de rapports, on leur ferme bientôt la bouche. L'attention avec laquelle on les écoute, les encourage; mais les écoute-t-on avec indifférence, marque-t-on du mépris pour ce qu'ils disent, on les déconcerte, et on leur ôte l'envie de faire de nouveaux rapports. C'est la conduite que tiennent à leur égard les hommes prudens. On vint dire un jour à un célèbre philosophe, qu'on ne l'avoit pas épargné dans une compagnie, et qu'on avoit dit de lui mille choses qui lui auroient fait de la peine, s'il les avoit entendues. Il reçut ce rapport d'une manière qui dut bien surprendre celui qui le lui faisoit. Si l'on me connoissoit bien, lui répondit-il,

on pourroit en dire beaucoup plus, sans que je fusse en droit de me fâcher. Je suis extrêmement obligé à ceux qui parlent ainsi de moi en mon absence; s'ils en parloient devant moi, comme ils le pourroient, je rougirois de honte et de confusion. Je vous prie de leur en témoigner ma reconnoissance.

Gustave III, roi de Suède, a signalé les commencemens de son règne par plusieurs beaux traits, entre lesquels on peut placer celui-ci. Une personne ayant demandé à lui parler, dit qu'elle venoit l'avertir qu'un homme en place formoit des projets contre sa majesté. Le roi n'ignorant pas que le dénonciateur étoit ennemi du prétendu coupable, le renvoya en lui disant: Allez vous réconcilier avec votre ennemi, et je pourrai ensuite vous écouter et vous croire.

X X I X.

Avec les inconnus, usez de défiance.

ON N ne sauroit trop se défier des personnes que l'on ne connoît pas. Combien de frippons se cachent sous le manteau de l'honnête homme! Dans les premiers siècles où la bonne foi régnoit sur la terre, la défiance étoit presque inutile; mais aujourd'hui, par la corruption de nos mœurs elle est devenue nécessaire.

[ocr errors]

Ce qui ne l'est pas moins c'est de la cacher. Il en est ici comme du secret; la vraie prudence est de ne pas faire même soupçonner qu'on se défie. En laissant trop voir la crainte qu'on ne nous trompe, nous découvrons souvent la manière dont on peut nous tromper. Des soupçons trop marqués outragent les hon-` nêtes gens sur lesquels ils tombent, et engagent ceux qui ne le sont pas à se faire un plaisir malin de nous attraper. Il n'y en a pas qui soient plus souvent trompés, que ceux qui paroissent trop craindre de l'être.

Quiconque est soupçonneux, invite à le trahir.

VOLTAIRE.

Celui qui se défieroit de tout le monde, seroit aussi injuste que malheureux. On ne doit se méfier que là où les hommes sages et prudens le font, et quand il y a un motif raisonnable de le faire, fondé sur quelqnes traits de mauvaise foi et sur le caractère connu de la personne.

« PreviousContinue »