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l'amour, ni de prendre la voie, quelquefois inu tile et toujours fâcheuse, des châtimens sévères.

Ce que nous venons de dire pour les parens, convient aussi, à beaucoup d'égards, aux personnes en place. La sévérité qui maintient le bon ordre, est la gardienne des états. Elle est sur-tout absolument nécessaire, quand il faut contenir une multitude qui ne peut être arrêtée que par la crainte, quand il faut réprimer le vice, devenu trop hardi par l'impunité, ou qu'on doit humilier l'orgueil et l'insolence. C'est cette louable fermeté qui a rendu si célèbre le nom de M. de Harlai. Ce grand magistrat, dont l'austère intégrité ne déridoit pas même le front pour sourire à la vertu et à l'innocence à qui elle rendoit justice, étoit pour ·le vice, d'une sévérité inflexible qui ne faisoit acception de personne. Il étoit le fléau de la chicane et de l'injustice. Il répondit au corps des procureurs qui vinrent le féliciter lorsqu'il fut fait procureur-général, et lui demander sa protection. Ma protection! leur dit-il: les fripons ne l'auront pas, les gens: de bien n'en ont pas besoin.

Mais ce qu'il fit en qualité de premier président, prouve encore mieux sa sévère fermeté. Un riche partisan enlevoit des blés dans une année de disette, pour les revendre plus cher. M. de Harlai l'envoya chercher. Le fermier-général vint dans un carrosse doré et chargé de laquais. Les coursiers fringans, qui faisoient retentir le pavé en entrant dans la firent un fracas qui imitoit le bruit du

cour,

et

tonnerre. Il avoit un habit superbe, relevé d'une broderie d'un goût exquis. M. de Harlai affecta de le laisser se morfondre dans son antichambre. Il le fit enfin entrer. Quand je vous ai fait attendre, lui dit-il, j'ai consulté ma vanité; votre carrosse ornoit ma cour, votre personne mon antichambre. Son visage serein devint ensuite sombre tout à coup. Monsieur, poursuivit-il d'un ton à glacer le coupable d'effroi, je vous ai mandé pour vous dire que j'ai appris que, vous prévalant de la cherté des blés, vous en faisiez de grands amas. Vous prétendez vous enrichir par la misère du peuple, et vous engraisser de sa substance. J'arrêterai le cours de vos projets. Si tous ces blés que vous avez amassés ne sont pas vendus dans un mois, je vous ferai pendre. L'or et la faveur ne vous déroberont point à la justice. Le fermier-général, interdit, se retira. Il osa porter ses plaintes au roi, sur le discours du magistrat. Je vous conseille, lui dit le roi, d'exécuter les ordres qu'ils vous a prescrits ; car s'il vous a menacé de vous faire pendre, il le fera comme il le dit.

Lorsque la nécessité de réparer le scandale, ou l'inutilité des réprimandes secrètes ne vous oblige pas à reprendre en public, faites-le toujours en particulier. On est mieux disposé à recevoir des avis humilians, quand la vanité en souffre moins. Observez la loi que la charité exige, et que prescrit l'évangile. Epargnez au coupable une confusion qu'il ne mérite pas elle serviroit plus souvent à l'aigrir qu'à le

corriger Les plus sages d'entre les païens mêmes ont reconnu l'obligation d'avoir les uns pour les autres ce ménagement. Socrate reprenant un jour en public un de ses amis, Platon lui dit qu'il auroit dû faire cette réprimande en particulier. Vous avez raison, lui répondit Socrate; mais vous aussi vous auriez dú me donner cet avis en particulier.

Au reste, si vous n'êtes point chargé par état de reprendre les autres, ne le faites pas facilement, et n'imitez pas sur-tout l'indiscrète vivacité de quelques-uns, qui troublent le repos de tout le monde, parce qu'ils ne sont jamais en repos. C'est un mauvais métier que celui de censeur: on se fait hair, et l'on ne corrige personne. Un philosophe répondit un jour à un de ces censeurs de profession: Comment me corrigerois-je de mes défauts, puisque tu ne te corriges pas toi-même de l'envie de corriger !

Il est bien des petites choses qu'on doit se passer mutuellement, et sur lesquelles il n'est ni poli, ni même à propos de se reprendre. En général, la plupart des hommes aiment mieux être applaudis que repris. Nous avons beau protester qu'on ne sauroit nous faire plus de plaisir, que de nous avertir de nos fautes et de nos défauts: le plus grand plaisir qu'on puisse nous faire, est de n'en pas prendre la peine. Relevez les talens, les qualités, le mérite; mettez dans un beau jour les vertus obscures; approuvez les sentimens, excusez les défauts, ne faites pas semblant d'aper

cevoir les vices, vous serez le meilleur ami. Touchez aux imperfections, aux penchans favoris', aux fautes qu'on aime à se pardonner ou qu'on craint de reconnoître, vous déplairez.

Cependant un des principaux devoirs de l'amitié, un des plus grands services que l'on puisse rendre, c'est d'avertir son ami des fautes qu'il a commises, afin qu'il évite d'y retomber; c'est de l'éclairer sur ses défauts qu'il ignore, ou qu'il prend pour des vertus par une illusion assez ordinaire à l'amour propre. Mais la sincérité, qui doit être l'ame de l'amitié, est souvent ce qui la fait périr. La plupart des amis ne veulent pas être repris; ou s'ils permettent quelquefois qu'on le fasse, ils exigent tant de ménagement, d'égard, de circonspection ; il est si difficile de ne pas leur faire quelque peine; ils reçoivent si froidement le second ou le troisième avis, qu'on prend plutôt le parti de se taire, de dissimuler, de flatter. Cependant, on l'a dit, et il est vrai, un ennemi qui nous reprend même avec aigreur, nous est plus utile qu'un ami flatteur et trop indulgent; parce que le premier nous dit toujours la vérité, et que l'autre ne nous la dit presque jamais. Un poète du dernier siècle a donc eu raison de dire :

Que j'aime d'un ami le langage sévère !
Que je hais le discours flatteur

D'un esclave, d'un imposteur,
Qui me trompe en voulant me plaire !
Perfide, loin de m'éclairer,

Par tes discours foibles et lâches,

Tu me livres la guerre, en m'annonçant la paix.
Les vérités que tu me caches,

Sont des larcins que tu me fais.

L'abbé TESTU.

Peu de personnes pensent aussi bien sur ce point que M. Helvétius. Il avoit un vieux secrétaire, nommé Baudot, d'un caractère chagrin, caustique et inquiet. Sous prétexte qu'il avoit vu M. Helvétius dans son enfance, il se permettoit de le traiter toujours comme un précepteur brutal traite un enfant. M. Helvétius l'écoutoit avec patience, et quelquefois en le quittant il disoit à madame Helvétius: Mais est-il possible que j'aie tous les défauts ~et tous les torts qu'il me trouve ! non, sans doute; mais enfin j'en ai un peu ; et qui estce qui m'en parleroit, si je n'avois pas Baudot !

sance

Aimez de même à être repris et corrigé. Si vous aviez au visage une tache qui vous rendît ridicule, ne seriez-vous pas bien aise qu'on vous en avertit? Témoignez votre reconnoisà ceux qui auront eu assez d'amitié et de confiance pour vous faire connoître les taches de votre ame. Celui, dit l'Esprit-Saint, qui aime la correction, aime la science; mais celui qui hait les réprimandes est un insensé (1). La honte d'avoir mal fait devient une vertu,

(1) Qui diligit disciplinam, diligit scientiam, etc. Prov. 12.

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