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vrai, repartit aussitôt l'enfant, il faut que votre éminence en ait eu beaucoup étant jeune.

Il ne faut pas railler ses amis même, si l'on veut les conserver. Racine aimoit à railler, et` il étoit alors amer et piquant. Ses meilleurs amis ne trouvoient pas grâce auprès de lui, quand il leur échappoit quelque chose qui lui donnoit prise. Despréaux, accablé un jour de ses railleries, lui dit après la dispute: Avezvous eu envie de me fácher? Dieu m'en garde, répondit son ami. Hé bien, reprit Despréaux, vous avez donc tort, car vous m'avez fáché. Une autre fois Despreaux ayant avancé à l'académie quelque chose qui n'étoit pas juste, Racine ne s'en tint pas à une simple plaisanterie, qui part souvent du premier feu de la dispute; mais il la poussa si loin que Despréaux fut obligé de lui dire : Je conviens que j'ai tort, mais j'aime mieux avoir tort que d'avoir raison comme vous l'avez.

Il y a des gens qui ne peuvent parler sans railler, ni railler sans offenser. Leurs mots âcres et mordans, leurs railleries mêlées de fiel et d'absinthe les rendent odieux. Car si l'on rit quelquefois d'un trait satirique et piquant, on déteste presque toujours ceux qui le disent.

Il y a de petits défauts qu'on abandonne volontiers à la censure, et dont nous souffrons facilement qu'on nous raille. Ce sont de pareils défauts que nous devons choisir pour railler les autres. Encore faut-il bien de l'esprit et de

la finesse pour badiner joliment, et beaucoup de supériorité sur la personne qu'on badine; afin qu'elle n'ait pas droit de s'en offenser, ni lieu de croire qu'on manque au respect qui lui est dû. Voici deux railleries qui ont les conditions que nous venons d'exiger.

Un historien Romain (1) rapporte qu'un vieillard demanda un jour une grâce à l'empe-. reur, qui ne voulut pas la lui accorder. Ce bon homme croyant qu'on la lui refusoit à cause de sa vieillesse, s'avisa d'une plaisante invention pour tromper le prince. Il se fit peindre les cheveux en noir, et retourna ainsi déguisé à la cour. L'empereur reconnut l'artifice, et lui dit en plaisantant: Ce que vous demandez, je l'ai déjà refusé à votre père.

Un courtisan s'adressa au roi Alphonse, surnommé le Courageux, et lui dit : J'ai songé cette nuit que votre majesté me faisoit un riche présent. Le roi lui répondit : Ne savez-vous pas que les chrétiens ne doivent point ajouter foi aux songes!

On a dit que la fine raillerie étoit la fleur d'un bel esprit. S'il y a des occasions où elle puisse être permise, c'est principalement lorsqu'elle renferme une satire ingénieuse et délicate d'un vice ou d'un ridicule. En voici des exemples: Barnevelt, célèbre pensionnaire de Hollande, ayant embrassé le parti opposé à celui de Maurice, prince d'Orange, on l'ac

(1) Spartien, de qui nous avons les vies d'Adrien, de

cusa d'avoir voulu livrer le pays aux Espagnols, et il eut la tête tranchée à l'âge de soixante et douze ans. Les juges qui le condamnèrent à mort, eurent chacun pour leurs vacations deux mille quatre cents florins. Quelque temps après cette injuste exécution, un célèbre avocat dit à l'un des juges : On dit de vous deux choses que je ne saurois croire : la première, que vous n'avez guère d'esprit ; la deuxième, que vous êtes avare. La première ne sauroit être vraie, car vous avez su trouver le Pensionnaire coupable d'un crime digne de mort: ce que les plus habiles jurisconsultes n'ont pu faire. La deuxième n'est pas moins fausse, car vous avez aidé, pour deux mille quatre cents florins, à rendre une sentence que je n'aurois pas voulu rendre pour tous les biens du monde.

On demandoit à un ambassadeur nouvellelement arrivé, ce qu'il pensoit de la beauté de plusieurs dames, qui étoient toutes extrêmement fardées. Dispensez-moi d'en juger, répondit-il, je ne me connois pas en peinture.

Un bon mot, quand même il seroit un peu piquant, n'est jamais mieux employé que lorsqu'on s'en sert pour humilier la vanité et l'orgueil. Un fanfaron ayant eu avec un officier une querelle qui ne s'étoit pas terminée à sa gloire, alla chercher son adversaire dans un café où il savoit sans doute qu'il n'étoit pas. Il dit tout haut que, s'il l'avoit trouvé, il lui auroit donné des coups de canne. Quelqu'un qui savoit son histoire lui répondit :

C'étoit apparemment une restitution que vous vouliez lui faire.

On peut rire d'un homme vain et orgueilleux, qui va , pour ainsi dire, au-devant de la raillerie. Mais il y a de la honte à se moquer d'un sot, comme il y a de la puérilité et de la sottise à se railler des difformités du corps. Celui qui insulte à la nature, mérite qu'on lui fasse un reproche plus grand et plus sensible, celui de n'avoir ni esprit ni savoir vivre. Un seigneur à cordon bleu, dont le génie passoit pour être fort petit, voyoit briller un gros diamant au doit d'une dame qui n'étoit pas belle, et qui avoit la main assez maigre et décharnée. Il dit en riant à un de ceux qui étoient avec lui : J'aimerois mieux la bague que la main. Et moi, repartit la dame qui l'avoit entendu, j'aimerois mieux le licou que la béte.

Le vrai usage de la raillerie, lorsqu'on peut l'employer, ne doit être que de montrer le ridicule d'un vice ou d'un défaut dont on peut se corriger. Quel sujet de railler n'est-ce pas néanmoins pour certaines gens, qu'une personne dont recorps a quelque difformité, quelque imperfection! quelle matière à la plaisanterie ! quel champ pour faire briller leur esprit, ou plutot pour montrer qu'ils n'en ont point! Un sot railloit un homme d'esprit sur la longueur de ses oreilles: Il est vrai, lui répondit la personne raillée, j'ai des oreilles trop grandes pour un homme; mais convenez aussi que

X X VII I.

Consultez volontiers.

CETTE maxime renferme un des conseils les plus prudens que puisse donner la sagesse ; en le suivant, on évitera de faire bien des sottises. Ceux qui font tout avec conseil, dit le plus sages des rois, sont conduits par la sagesse (1). A tout âge, en tout état, sur toute matière, on peut tirer un grand fruit des conseils des autres. Quelque habile et quelque éclairé qu'on soit, on est souvent pour ses propres affaires, comme un médecin malade qui a besoin d'en consulter d'autres. On voit des gens très-habiles prendre l'avis des personnes d'un esprit inférieur, mais capables de réflexions judicieuses, qui peuvent échapper aux plus éclairés. Le moins habile peut quelquefois instruire celui qui l'est le plus. L'homme d'esprit, qui que ce soit qui parle, écoute ce qu'on lui dit, et en profite. Il sait tirer de chacun quelque étincelle ou quelque rayon de lumière; et de ces petites lumières réunies, il fait naître autant de jour qu'il lui en faut p

dans ses entreprises.

Ecoutez tout le mon
Un fat quelquefois

bien se conduire

(1) Qui agunt omni

Prov. 13.

PR.

apientiâ.

F

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