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les voyelles à leur tour lient & poliffent les confonnes.

Ces loix faites pour l'union des lettres dans les fyllabes, & des fyllabes dans un mot, fe font portées fur les mots combinez & affortis entr'eux dans une même phrafe. La confonne finale fe marie volontiers avec la voyelle initiale du mot fuivant : & de même la voyelle finale aime à fe repofer & à s'appuyer fur la confonne initiale: d'où réfulte une chaîne agréable de fons que rien n'arrête, ni ne trouble, ni ne rompt.

La Langue françoife a en ce point quelque avantage fur la Latine. Celle-ci ayant la plupart de fes finales en confonnes, comme il est aifé de s'en affurer en parcourant les déclinaifons des noms, & les conjugaifons des verbes, trouve prefque à chaque inftant des confonnes qui fe choquent entre les mots.

La nôtre au contraire faifant, comme la Greque, prefque toutes fes terminaifons fur des voyelles, trouve, quand elle le veut, les moyens d'éviter cet inconvénient. Elle a fes e muets qui fe trouvent à la fin d'un grand nombre de fes mots, & qui fortent, ou qui rentrent felon le

befoin du mot qui fuit, c'est-à-dire, qu'il s'unit à la confonne initiale pour être le lien des deux mots, ou qu'il le perd & fe plonge dans la voyelle initiale pour éviter l'hiatus. Il y en a plufieurs exemples dans chacune de nos lignes. Et fa prononciation étant très-légère, il fait une liaifon fine & fubtile, dont l'agrément est peut-être ce qui fait le mérite particulier de notre Langue. Nous n'avons presque point de confonnes finales. La lettre n devient nazale, ou demi-voyelle devant une confonne ; & devant une voyelle elle reprend quelquefois fon articulation latiale. Les lettres l, x, z, t, ne fe prononcent point du tout quand l'initiale fuivante eft confonne : le b, lec, led, l'ƒ, lek, I'm, le p, le q, ne fe trouvent pas communément à la fin de nos mots; & quand ils s'y trouvent, le caractère & le génie aifé de la Langue empêche prefque toujours qu'on ne les prononce, à moins qu'il n'y ait après une voyelle; deforte que nous voyons affez rarement confonne contre confonne, & que la voyelle fe trouve prefque toujours où l'oreille la demande.

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Cette attention que les oreilles Fran

çoises ont la liaifon des mots enpour tr'eux, à plus forte raifon l'ont-elles pour la combinaison des lettres & des fyllabes dans les mots. Nous ne fouffrons qu'avec peine ces mots étrangers, hériffez de confonnes. Defpréaux en fait des monftres aux yeux des Mufes françoifes. Nous re'jettons de même ces mots douceâtres, où les fons femblent noyez, comme dans cet exemple, &y ayant des citoyens. Ils nous chatouillent l'oreille d'une maniere qui nous paroît fade. Par conféquent notre Langue veut des mots, où il y ait de la fermeté & en même tems de la douceur, qui coulent librement, légerement, qui foient polis fans être moûs, & foutenus fans être durs, ni hériffez. Et peut-être que dans cette partie elle eft la plus parfaite de toutes celles qui exiftent.

Il faut bien qu'elle ait quelque charme, quelque attrait fecret, qui lui donne cet afcendant qu'elle a pris aujourd'hui dans toute l'Europe. Elle eft répandue chez tous nos voifins. La Greque, la Latine ont pû à peine s'établir dans les conquêtes des Alexandres, des Céfars. Il a fallu plufieurs fiécles pour dompter fur ce point les efprits des vaincus. Au lieu

que

que la nôtre fembleroit préluder à nos victoires, fi nos Rois vouloient être conquérans. Malgré la jaloufie de nos voisins, malgré la haine que quelques-uns d'eux nous portent, notre langue femble nous les réconcilier. Et la peine qu'ils fe donnent, jointe aux dépenfes qu'ils font, pour fe mettre en état de l'entendre, prouve affez qu'ils la regardent comme une partie confidérable de l'humanité.

Ce n'eft pas qu'elle ne fache auffi, quand il le faut, affermir fes fons, de même que la Greque & la Latine. Quoi de plus ferme que Malherbe, Corneille Rouffeau, Defpréaux, Bourdaloue, Boffuet? Elle fait, quand elle le veut, choquer entr'elles les voyelles & les confonnes, à la maniere de Thucydide & de Pindare: Il fe leva, & commanda aux vents & à la mer : & il fe fit un grand calme. Elle fait auffi defcendre aux fujets les plus doux, les plus fimples: La Fontaine, Quinault, Madame Deshoulieres, Segrais en font des preuves. Elle remplit la trompette guerriere, & anime le flageolet des Bergers avec le même fuccès.

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Quant à la liaison des membres & des périodes, tout fe réduit à l'aifance & à Tome 1V.

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la variété. Cette derniere qualité doit même l'emporter fur la premiere. Qu'on en juge par le dégoût que caufe à ceux qui ont de l'oreille, l'uniformité des finales dans les chants de mufique. Tantôt une phrase se termine par un mot court, tantôt par un long; par une fuite de brèves, quelquefois par une fuite de longues; par des fyllabes fonores, ou par des fons étranglez; par des mafculines qui foutiennent la phrafe, ou par des féminines qui laiffent prefque mourir la voix. Il en eft de même à-peu-près pour la

commencer.

Toutes ces regles ne demandent pas à être obfervées avec bien du fcrupule. Il fuffit prefque que le goût foit averti qu'il y a là-deffus des loix, afin qu'il foit plus éveillé & plus attentif fur luimême. On fait que ces avis doublent les lumieres & quelquefois les forces.

IX.

Du Nombre oratoire.

Nous avons déja défini le Nombre cideffus, & nous l'avons préfenté dans la goutte d'eau qui tombe d'efpace. en espace. Mais il faut développer cette idée.

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