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vant aux champs et cultivant la terre, on s'accoutuma à ne chercher que là les soutiens de la république. Cet état, étant celui des plus dignes patriciens, fut honoré de tout le monde; la vie simple et laborieuse des villageois fut préférée à la vie oisive et lâche des bourgeois de Rome, et tel n'eût été qu'un malheureux prolétaire à la ville, qui, laboureur aux champs, devint un citoyen respecté. Ce n'est pas sans raison, disait Varron, que nos magnanimes ancêtres établirent au village la pépinière de ces robustes et vaillants hommes qui les défendaient en temps de guerre et les nourrissaient en temps de paix. Pline dit positivement que les tribus des champs étaient honorées à cause des hommes qui les composaient; au lieu qu'on transférait, par ignominie, dans celles de la ville les lâches qu'on voulait avilir. Le Sabin Appius Claudius étant venu s'établir à Rome, y fut comblé d'honneurs et inscrit dans une tribu rustique, qui prit dans la suite le nom de sa famille. Enfin, les affranchis entraient tous dans les tribus urbaines, jamais dans les rurales, et il n'y a pas, durant toute la république, un seul exemple d'aucun de ces affranchis parvenu à aucune magistrature. quoique devenu citoyen.

Cette maxime était excellente; mais elle fut poussée si loin, qu'il en résulta enfin un changement, et certainement un abus dans la police.

Premièrement, les censeurs, après s'être arrogé longtemps le droit de transférer arbitrairement les citoyens d'une tribu à l'autre,

permirent à la plupart de se faire inscrire dans celle qui leur plaisait, permission qui, sûrement, n'était bonne à rien et ôtait un des grands ressorts de la censure. De plus, les grands et les puissants, se faisant tous inscrire dans les tribus de la campagne, et les affranchis, devenus citoyens, restant avec la populace dans celle de la ville, les tribus, en général, n'eurent plus de lieu ni de territoire; mais toutes se trouvèrent tellement mêlées, qu'on ne pouvait plus discerner les membres de chacune que par les registres; en sorte que l'idée du mot tribu passa ainsi du réel au personnel, ou plutôt devint presque une chimère.

I arriva encore que les tribus de la ville étant plus à portée, se trouvèrent souvent les plus fortes dans les comices, et vendirent l'Etat à ceux qui daignaient acheter les suffrages de la canaille qui les composait.

A l'égard des curies, l'instituteur en ayant fait dix à chaque tribu, tout le peuple romain, alors renfermé dans les murs de la ville, se trouva composé de trente curies, dont chacune avait ses temples, ses dieux, ses officiers, ses prêtres, ses fêtes appelées Compitalia, semblables aux Paganalia qu'eurent dans la suite les tribus rustiques.

Au nouveau partage de Servius, ce nombre de trente ne pouvant se répartir également dans ces quatre tribus, il n'y voulut point toucher, et lés curies, indépendantes des tribus, devinrent une autre division des habitants de Rome; mais il ne fut point question de curies, ni dans les tribus rustiques, ni dans le peuple

qui les camposait, parce que les tribus étant devenues un établissement purement civil, et une autre police ayant été introduite pour la levée des troupes, les divisions militaires de Romulus se trouvèrent superflues. Ainsi, quoique tout citoyen fût inscrit dans une tribu, il s'en fallait beaucoup que chacun ne le fût dans une curie.

Servius fit encore une troisième division, qui n'avait aucun rapport aux deux précédentes, et devint, par ses effets, la plus importante de toutes. Il distribua tout le peuple romain en six classes, qu'il ne distingua ni par le lieu, ni par les hommes, mais par les biens, en sorte que les premières classes étaient remplies par les riches, les dernières par les pauvres, et les moyennes par ceux qui jouissaient d'une fortune médiocre. Ces six classes étaient subdivisées en cent quatre-vingt-treize autres corps, appelés centuries, et ces corps étaient tellement distribués, que la première classe en comprenait seule plus de la moitié, et la dernière n'en formait qu'un seul. I see trouva ainsi que la classe la moins nombreuse en hommes, l'était le plus en centuries, et que la dernière classe entière n'était comptée que pour une subdivision, bien qu'elle contînt seule plus de la moitié des habitants de Rome.

Afin que le peuple pénétrât moins les conséquences de cette dernière forme, Servius atfecta de lui donner un air militaire; il ir séra dans la seconde classe deux centuries d'armu riers, et deux d'instruments de guerre dans r la quatrième; dans chaque classe, excepté la m dernière, il distingua les jeunes et les vieux,

c'est-à-dire ceux qui étaient obligés de porter les armes et ceux que leur âge en exemptait par les lois; distinction qui, plus que celle des biens, produisit la nécessité de recommencer souvent le cens ou dénombrement; enfin, il voulut que l'assemblée se tînt au champ de Mars, et que tous ceux qui étaient en âge de servir y vinssent avec leurs armes.

La raison pour laquelle il ne suivit pas, dans la dernière classe, cette même division des jeunes et des vieux, c'est qu'on n'accordait point à la populace dont elle était composée, l'honneur de porter les armes pour la patrie: il fallait avoir des foyers pour obtenir le droit de les défendre, et de ces innombrables troupes de gueux dont brillent aujourd'hui les ar mées des rois, il n'y en a pas un, peut-être, qui n'eût été chassé avec dédain d'une cohorte romaine, quand les soldats étaient les défenseurs de la liberté.

On distingua pourtant encore, dans la derière classe, les prolétaires, de ceux qu'on apelait capitecensi. Les premiers, non tout à fait éduits à rien, donnaient au moins des cioyens à l'Etat, quelquefois même des soldats ans les besoins pressants. Pour ceux qui n'a'aient rien du tout et qu'on ne pouvait déombrer que par leurs têtes, ils étaient regarés comme nuls, et Marius fut le premier qui aigna les enrôler.

Sans décider ici si ce troisième dénombrelent était bon ou mauvais en lui-même, je rois pouvoir affirmer qu'il n'y avait que les œurs simples des premiers Romains, leur sintéressement, leur goût pour l'agricul

ture, leur mépris pour le commerce et pour l'ardeur dr gain, qui pussent le rendre praticable. Où est le prince moderne chez lequel la dévorante avidité, l'esprit inquiet, l'intigue, les déplacements continuels, les perpe tuelles révolutions de fortunes pussent laisser durer vingt ans un pareil établissement sans bouleverser tout l'Etat? Il faut même bien remarquer que les mœurs et la censure, plus fortes que cette institution, en corrigèrent le vice à Rome, et que tel riche se vit relégué dans la classe des pauvres pour avoir trop étalé sa richesse.

De tout ceci l'on peut comprendre aisément pourquoi il n'est presque jamais fait mention que de cinq classes, quoiqu'il y en eût réellement six. La sixième ne fournissant ni soldats à l'armée, ni votants au champ de Mars (1), et n'étant pres que d'aucun usage dans la république, était rarement comptée pour quelque chose.

Telles furent les différentes divisions du peuple romain. Voyons à présent l'effet qu'elles produisaient dans les assemblées. Ces assemblées, légitimement convoquées, s'appelaient comices; ellos se tenaient ordinairement dans la place de Rome ou au champ de Mars, et se distingua'ent en comices par curies, comices par centuries et comices par tribus, selon celles de ces trois formes sur la

que

(1) Je dis au champ de Mars, parce que c'était là que s'assemblaient les con ices pár centuries, dans les deux autre formes, le per ple s'assemblait au Forum ou ailleurs et alors les opitecensi avaient autant d'influens d'autorité que fes premiers citoyens.

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