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contre ce penchant auquel il est si doux de se liver pour des Parens, des Amis, dont on a connu l'attachement par des preuves aussi certaines. Quels malheurs ce grand Prince n'eût-il pas épargnés à la Nation et à lui-même, si l'amitié ne l'avait pas aveuglé au point de ne pas soupçonner que ses Amis pouvaient l'être par leurs propres intérêts? La Duchesse de Longueville ne pouvait-elle pas chercher à se dérober, à quelque prix que ce fût, au pouvoir d'un Mari qu'elle détestait et qu'elle avait lieu de craindre? Le Duc de Nemours, quoiqu'Ami du Prince, aimait comme lui la Duchesse de Châtillon, et le desir d'éloigner un Rival aussi dangereux, pouvait influer sur les Conseils qu'on lui donnait ; le Duc de Bouillon brûlait de rentrer en possession de Sedan, et la guerre civile en était le seul moïen; le Duc de la Rochefoucauld pouvait-il avoir un autre avis que celui de la Duchesse de Longueville, qui le dominait entièrement (1)? Toutes ces

(1) On sait, dit Voltaire, ces vers du Duc de la Rochefoucauld, pour la Duchesse de Longueville lorsqu'il reçut au Combat de Saint Antoine, un coup de mousquet qui lui fit perdre quelque temps la vue.

• Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux, » J'ai fait la guerre aux Rois, je l'aurais faite aux Dieux..

considérations auraient dû balancer, sans doute, la confiance sans bornes que M. le Prince leur accordait à tous; mais incapable de donner des conseils insensés, il jugeait ses Amis par lui-même; il les écouta, il les écouta, les crut, et Sillery se rendit à Bruxelles pour traiter avec les Espagnols. Ces fiers Ennemis de la France, malgré l'épuisement où les avait réduits le Héros qui se voïait forcé d'implorer leur assistance, n'hésitèrent point à promettre les secours de tout genre dont il pouvait avoir besoin; mais Fuensaldagne avec qui l'on traitait, en feignant d'accorder tout, était bien résolu d'entretenir l'incendie, bien loin de contribuer à l'éteindre.

Ces vers sont tirés d'une Tragédie de du Ryer : le Dac de la Rochefoucaud les écrivit au dessous d'un portrait de Mme. de Longueville: s'étant aperçu qu'elle le trompait, il en parodia ainsi les deux derniers hémistiches:

« Pour mériter son cœur qu'enfin je connais mieux,
» J'ai fait la guerre aux Rois, j'en ai perdu les yeux. »

(HIST. du siècle de Louis XIV, par Voltaire.)

LIVRE TROISIÈME.

M. LE PRINCE reste encore à Paris, mais il fait partir pour Montrond sa Femme, son Fils et sa Soeur; il va au Parlement, y obtient un nouvel Arrêt en sa faveur contre Mazarin et ses Partisans, et, d'après les instances de cette Cour, il se présente au Palais-Roïal, où il fut reçu d'un air si contraint, qu'il n'y retourna plus. La Reine se détermine à lancer une Déclaration foudroïante contre lui; elle en fait faire lecture en présence des Princes de tous les Grands, et de tous les Corps; il paraît que la violence de cette démarche fut ce qui acheva de décider M. le Prince à la guerre civile. Il va au Parlement, y produit un écrit de Gaston, qui le soutient, se justifie, article par article, des accusations qu'on élève contre lui, et nomme le Coadjuteur, comme Auteur de la Déclaration produite par la Reine.

LA Délibération du Parlement fut remise au lundi 21 Août. Ce jour-là, Gondy, de l'aveu de la Reine, remplit le Palais de Gens

armés, et fait ses dispositions pour attaquer la suite de M. le Prince, qui n'ignore pas ces mouvemens, et se rend au Palais, accompagné du Prince de Conty, des plus grands Seigneurs, et de plus de 800 Gentilshommes. Après quelques paroles vives entre M. le Prince et le Coadjuteur, il s'élève dans le Palais un bruit confus, signal du plus prochain désordre, et du combat le plus inouï. Molé, en invoquant la grande ame du Prince par les Mánes de S. Louis, parvient à lui faire donner ordre au Duc de la Rochefoucaud ; de faire retirer ses Amis; Gondy est forcé d'aller lui-même congédier les siens; mais ses Gens, en le voïant paraître, croient que c'est le moment d'engager le combat: les deux Partis mettent l'épée à la main; Gondy eut tant de peur qu'il voulut se réfugier dans la GrandeChambre; mais le Duc de la Rochefoucaud eut l'adresse de fermer la porte du Parquet des Huissiers, dans le moment où il passait, et le prit par le cou en fermant la barre; plusieurs poignards furent levés sur lui; mais la Rochefoucaud ne voulut pas se souiller d'un crime; Champlatreux, Conseiller, dégagea le Prélat, par pitié; et, par l'entremise du Parlement les deux Partis se retirèrent chacun de leur

côté. La Reine, insensible aux prières, et décidée par la fraïeur des Créatures de Mazarin, voulut défendre aux deux Chefs, d'aller au Parlement; mais Molé, toujours juste et toujours Français, lui représenta que cette parité était contre l'ordre et la justice, et qu'elle ne pouvait défendre à un Prince du Sang l'entrée du Parlement, où sa naissance marquait sa place; le Coadjuteur seul, reçut ordre de ne pas s'y montrer.

Le lendemain, le Parlement prit un Arrêté de la plus grande force, en faveur de M. le Prince (1). Quelquesjours après, ce dernier rencontra le Coadjuteur, à la tête d'une Procession; il descend de carrosse, et se jette aussitôt à genoux, pour recevoir sa bénédiction. Ces marques extérieures de piété, de la part des Grands, plaisent toujours au Peuple: le Prélat, sans se déconcerter, donna sa Bénédiction au Prince; mais la singularité de ce tableau, d'après sur-tout ce qui s'était passé la veille, rappela tout d'un coup au Peuple les excès du Coadjuteur ; il l'accabla d'injures, et eût poussé les choses plus loin, si M. de Condé n'eût pas envoïé ses Gens à son secours.

(1) Voir à la fin de l'Ouvrage.

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