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DIALOGUE LX.

LE CONNÉTABLE DE BOURBON
ET BAYARD.

Il n'est jamais permis de prendre les armes contre sa patrie.

N'EST-CE

LE CONNÉ TABLE,

'EST-CE point le pauvre Bayard que je vois, au
pied de cet arbre, étendu sur l'herbe, et percé d'un
grand coup? Oui c'est lui-même. Hélas ! je le plains.
En voilà deux qui périssent aujourd'hui par nos
armes, Vandenesse et lui. Ces deux François étoient
deux ornements de leur nation par leur courage. Je
sens que mon cœur est encore touché pour sa patrie.
Mais avançons pour lui parler. Ah! mon pauvre
Bayard, c'est avec douleur que je te vois en cet état.

BAYAR D.

C'est avec douleur que je vous vois aussi.

LE CONNÉ TABLE.

Je comprends bien que tu es fâché de te voir dans
mes mains par le sort de la guerre. Mais je ne veux
point te traiter en prisonnier; je te veux garder.
comme un bon ami, et prendre soin de ta guérison
comme si tu étois mon propre frere: ainsi tu ne dois
point être fâché de me voir.

LE CONNÉ TABLE.

Quoi! Bayard, je te loue, et tu me condamnes!
je te plains, et tu m'insultes!

Oui, on est toujours à plaindre quand on agit
contre son devoir; il vaut mieux périr en combat-
tant pour la patrie, que de la vaincre et de triompher
d'elle. Ah! quelle horrible gloire que celle de dé-
truire son propre pays!

LE CONNÉ TABLE.

Mais ma patrie a été ingrate après tant de services
que je lui avois rendus. Madame m'a fait traiter in-
dignement par un dépit d'amour. Le roi, par foiblesse

pour elle, m'a fait une injustice énorme. En me dépouillant de mon bien, on a détaché de moi jusqu'à mes domestiques, Matignon et d'Argouges. J'ai été contraint, pour sauver ma vie, de m'enfuir presque seul: que voulois-tu que je fisse?

BAYAR D.

Que vous souffrissiez toutes sortes de maux, plutôt que de manquer à la France et à la grandeur de votre maison. Si la persécution étoit trop violente, vous pouviez vous retirer; mais il valoit mieux être pauvre, obscur, inutile à tout, que de prendre les armes contre nous. Votre gloire eût été aù comble dans la pauvreté et dans le plus misérable exil.

LE CONNÉT a b le.

Mais ne vois-tu pas que la vengeance s'est jointe à l'ambition pour me jeter dans cette extrémité? J'ai voulu que le roi se repentît de m'avoir traité si mal.

BAYAR D.

Il falloit l'en faire repentir par une patience à toute épreuve, qui n'est pas moins la vertu d'un héros que le courage.

LE CONNÉ TABLE.

Mais le roi étant si injuste et si aveuglé par sa mere, meritoit-il que j'eusse de si grands égards pour lui?

BAYARD.

Si le roi ne le méritoit pas, la France entiere le

méritoit. La dignité même de la couronne dont vous êtes un des héritiers, le méritoit. Vous vous deviez à vous-même d'épargner la France, dont vous pouvez être un jour roi.

LE CONNÉTABLE.

Hé bien! j'ai tort, je l'avoue; mais ne sais-tu pas combien les meilleurs cœurs ont de peine à résister à leur ressentiment?

BAYARD.

Je le sais bien: mais le vrai courage consiste à résister. Si vous connoissez votre faute, hâtez-vous de la réparer. Pour moi je meurs; et je vous trouve plus à plaindre dans vos prospérités, que moi dans mes souffrances. Quand l'empereur ne vous tromperoit pas, quand même il vous donneroit sa sœur en mariage, et qu'il partageroit la France avec vous, il n'effaceroit point la tache qui déshonore votre vie. Le connétable de Bourbon rebelle! ah! quelle honte! Écoutez Bayard mourant comme il a vécu, et ne cessant de dire la vérité.

TOME IV.

X

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