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plus rudement à leur art que ie ne fois; ie ne fois que la1 pincer, ils l'esgorgent. Pline' se mocque entre aultres choses, dequoy, quand ils sont au bout de leur chorde 3, ils ont inventé cette belle desfaicte, de renvoyer les malades, qu'ils ont agitez et tourmentez, pour neant, de leurs drogues et regimes, les uns au secours des væus et miracles, les aultres aux eaux chauldes. ( Ne vous courroucez pas, madame, il ne parle pas de celles de deçà, qui sont soubs la protection de vostre maison, et toutes Gramontoises.) Ils ont une tierce sorte de desfaicte, pour nous chasser d'auprez d'eulx, et se descharger des reproches que nous leur pouvons faire du peu d'amendement à nos maulx qu'ils ont eu si long temps en gouvernement, qu'il ne leur reste plus aulcune invention à nous amuser, c'est de nous envoyer chercher la bonté de l'air de quelque aultre contree. Madame, en voylà assez : vous me donnez bien congé de reprendre le fil de mon propos, duquel ie m'estoy destourné pour vous entretenir. »

d'advance; qu'elle se hastast et ammoncellast tout | autour de moy, plus espesse qu'alongee, plus pleine que durable; et qu'elle s'esvanouïst hardiement quand et ma cognoissance, et quand ce doulx son ne touchera plus mes aureilles. Ce seroit une sotte humeur d'aller, à cette heure que ie suis prest d'abbandonner le commerce des hommes, me produire à eulx par une nouvelle recommendation. Ie ne fois nulle recepte des biens que ie n'ay peu employer à l'usage de ma vie. Quel que ie soye, ie le veulx estre ailleurs qu'en papier: mon art et mon industrie ont esté employez à me faire valoir moy mesme; mes estudes, à m'apprendre à faire, non pas à escrire. l'ay mis touts mes efforts à former ma vie; voylà mon mestier et mon ouvrage; ie suis moins faiseur de livres que de nulle aultre besongne. I'ay desiré de la suffisance, pour le service de mes commoditez presentes et essentielles, non pour en faire magasin et reserve à mes heritiers. Qui a de la valeur, si le face cognoistre en ses mœurs, en ses propos ordinaires, à traicter l'amour, ou des querelles, au Ce feut, ce me semble, Pericles, lequel estant ieu, au lict, à la table, à la conduicte de ses affai- enquis comme il se portoit : « Vous le pouvez, res, à son œconomie: ceulx que ie veoy faire de dit il, iuger par là, » en monstrant des brevets bons livres soubs de meschantes chausses, eussent qu'il avoit, attachez au col et au bras 4. Il vouloit premierement faict leurs chausses, s'ils m'en eusinferer qu'il estoit bien malade, puis qu'il en estoit sent creu demandez à un Spartiate s'il ayme venu iusques là d'avoir recours à choses si vaines mieulx estre bon rhetoricien que bon soldat; non et de s'estre laissé equipper en cette façon. Ie ne pas moy', que bon cuisinier, si ie n'avoy qui m'en dis pas que ie ne puisse estre emporté un iour à servist. Mon Dieu! madame, que ie haïrois une cette opinion ridicule, de remettre ma vie et ma telle recommendation, d'estre habile homme par santé à la mercy et gouvernement des medecins; escript, et estre un homme de neant et un sot ie pourray tumber en cette resverie, ie ne me puis ailleurs! i'ayme mieulx encores estre un sot, et respondre de ma fermeté future: mais lors aussi, icy, et là, que d'avoir si mal choisy où employer si quelqu'un s'enquiert à moy comment ie me ma valeur. Aussi il s'en fault tant que i'attende porte, ie luy pourray dire comme Pericles: « Vous à me faire quelque nouvel honneur par ces sotle pouvez iuger par là,» monstrant ma main chartises, que ie feray beaucoup si ie n'y en perds point, gee de six dragmes d'opiate. Ce sera un bien evident de ce peu que i'en avois acquis; car oultre ce que signe d'une maladie violente; i'auray mon iugecette peincture morte et muette desrobbera à mon ment merveilleusement desmanché: si l'impatienestre naturel, elle ne se rapporte pas à mon meilce et la frayeur gaignent cela sur moy, on en pourleur estat, mais à un beaucoup descheu de ma pre-ra conclure une bien aspre fiebvre en mon ame. miere vigueur et alaigresse, tirant sur le flestry et le rance: ie suis sur le fond du vaisseau, qui sent tantost le bas et la lie.

« Au demourant, madame, ie n'eusse pas osé remuer si hardiement les mysteres de la medecine, attendu le credit que vous et tant d'aultres luy donnez, si ie n'y eusse esté acheminé par ses aucteurs mesmes. Ie croy qu'ils n'en ont que deux anciens latins, Pline et Celsus: si vous les veoyez quelque iour, vous trouverez qu'ils parlent bien

1 Pour moi, je n'aimerais même pas mieux étre bon rhétoricien que bon cuisinier, si, etc. J. V. L.

l'ay prins la peine de plaider cette cause, que l'entens assez mal, pour appuyer un peu et conforter la propension naturelle contre les drogues et practique de nostre medecine, qui s'est deri

1 C'est-à-dire, je ne fais que pincer cette art des medecins. Montaigne fait presque toujours art féminin. C. 2 PLINE, XXIX, I. J. V. L.

3 Ou de leur latin, comme dans l'édition in-4o de 1588, fol. 312 verso. J. V. L.

4 PLUTARQUE, Vie de Périclès, c. 24. Ici brevet signifie ce que les Latins appelaient amuletum, préservatif contre le poison, les enchantements, etc. qu'on attachoit, dit Nicot, an col, au poignet, ou aultre partie du corps. En se désabusant de la chose, on en a presque perdu le nom. C.

vee en moy par mes ancestres; à fin que ce ne feust pas seulement une inclination stupide et temeraire, et qu'elle eust un peu plus de forme; aussi, que ceulx qui me veoyent si ferme contre les exhortements et menaces qu'on me faict quand mes maladies me pressent, ne pensent pas que ce soit simple opiniastreté; ou qu'il y ayt quelqu'un si fascheux, qui iuge encores que ce soit quelque aiguillon de gloire : ce seroit un desir bien assené de vouloir tirer honneur d'une action qui m'est commune avecques mon iardinier et mon muletier! Certes, ie n'ay point le cœur si enflé ny si venteux, qu'un plaisir solide, charnu et moelleux comme la santé, ie l'allasse eschanger pour un plaisir imaginaire, spirituel et aëré : la gloire, voire celle des quatre fils Aymon, est trop cher acheptee à un homme de mon humeur, si elle luy couste trois bons accez de cholique. La santé, de par Dieu! Ceulx qui ayment nostre medecine peuvent avoir aussi leurs considerations bonnes, grandes et fortes; ie ne hay point les fantasies contraires aux miennes : il s'en fault tant que ie m'effarouche de veoir de la discordance de mes iugements à ceulx d'aultruy, et que ie me rende incompatible à la societé des hommes pour estre d'aultre sens et party que le mien, qu'au rebours (comme c'est la plus generale façon que nature aye suyvy, que la varieté, et plus aux esprits qu'aux corps, d'autant qu'ils sont de substance plus soupple et susceptible de plus de formes) ie treuve bien plus rare de veoir convenir nos humeurs et nos desseings. Et ne feut iamais au monde deux opinions pareilles, non plus que deux poils, ou deux grains : leur plus universelle qualité, c'est la diversité.

LIVRE TROISIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

De l'utile et de l'honneste.

Cela ne me touche pas : les miennes m'eschappent aussi nonchalamment qu'elles le valent; d'où bien leur prend : ie les quitteroy soubdain, à peu de coust qu'il y eust; et ne les achepte ny ne les vends que ce qu'elles poisent; ie parle au papier, comme ie parle au premier que ie rencontre. Qu'il soit vray, voycy dequoy.

A qui ne doibt estre la perfidie detestable, puis que Tibere la refusa à si grand interest? On luy manda d'Allemaigne, que s'il le trouvoit bon, on le desferoit d'Arminius par poison: c'estoit le plus puissant ennemy que les Romains eussent, qui les avoit si vilainement traictez soubs Varus, et qui seul empeschoit l'accroissement de sa domination en ces contrees là. Il feit response, « que le peuple romain avoit accoustumé de se venger de ses ennemis par voye ouverte, les armes en main, non par fraude et en cachette 2. » Il quitta l'utile pour l'honneste. C'estoit, me direz vous, un affronteur. Ie le croy; ce n'est pas grand miracle, à gents de sa profession: mais la confession de la vertu ne porte pas moins en la bouche de celuy qui la hait; d'autant que la verité la luy arrache par force, et que s'il ne la veult recevoir en soy, au moins il s'en couvre pour s'en parer.

Nostre bastiment, et public et privé, est plein d'imperfection: mais il n'y a rien d'inutile en nature, non pas l'inutilité mesme; rien ne s'est ingeré en cet univers, qui n'y tienne place opportune. Nostre estre est cimenté de qualitez maladifves: l'ambition, la ialousie, l'envie, la vengeance, la superstition, le desespoir, logent en nous, d'une si naturelle possession, que l'image s'en recognoist aussi aux bestes; voire et la cruauté, vice si desnaturé; car au milieu de la compassion, nous sentons au dedans ie ne sçay quelle aigredoulce poincte de volupté maligne à veoir souffrir aultruy, et les enfants la sentent :

Suave mari magno, turbantibus æquora ventis, E terra magnum alterius spectare laborem 3: desquelles qualitez qui osteroit les semences en l'homme, destruiroit les fondamentales condi

Personne n'est exempt de dire des fadaises; le tions de nostre vie. De mesme, en toute police, malheur est de les dire curieusement:

Næ iste magno conatu maguas nugas dixerit'.

Montaigne, qui parle ironiquement ici, veut dire que de vouloir se faire honneur d'une action qui lui est commune avec son jardinier et son muletier, ce serait un désir fort mal placé. Assener signifie proprement porter un coup où lon a dessein de frapper. Montaigne l'emploie ici d'une maniere fort singulière; et peut-être est-il le premier qui se soit avisé de dire, un désir bien ou mal assené. C.

2 Cet homme va me dire, avec grande emphase, de grandes sollises. TÉRENCE, Heaut. act. III, sc. 5, v. 8.

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il y a des offices necessaires, non seulement abiects, mais encores vicieux : les vices y treuvent leur reng, et s'employent à la cousture de nostre liaison, comme les venins à la conservation de

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nostresanté. S'ils deviennent excusables, d'autant | Atheniens, se plaignants de l'aspreté de son par

qu'ils nous font besoing, et que la necessité commune efface leur vraye qualité, il fault laisser iouer cette partie aux citoyens plus vigoreux et moins craintifs, qui sacrifient leur honneur et leur conscience, comme ces aultres anciens sacrifierent leur vie pour le salut de leur pays; nous aultres, plus foibles, prenons des roolles et plus aysez et moins hazardeux. Le bien public requiert qu'on trahisse, et qu'on mente, et qu'on massacre resignons cette commission à gents plus obeïssants et plus soupples.

Certes, i'ay eu souvent despit de veoir des iuges attirer, par fraude et faulses esperances de faveur ou pardon, le criminel à descouvrir son faict, et y employer la piperie et l'impudence. Il serviroit bien à la iustice, et à Platon mesme, qui favorise cet usage, de me fournir d'aultres moyens plus selon moy : c'est une iustice malicieuse; et ne l'estime pas moins blecee par soy mesme, que par aultruy. Ie respondis, n'y a pas long temps, qu'à peine trahiroy ie le prince pour un particulier, qui seroy tres marry de trahir aulcun particulier pour le prince : et ne hay pas seulement à piper, mais ie hay aussi qu'on se pipe en moy; ie n'y veulx pas seulement fournir de matiere et d'occasion.

ler : « Messieurs, ne considerez pas si ie suis libre, mais si ie le suis sans rien prendre, et sans amender par là mes affaires'. » Ma liberté m'a aussi ayseement deschargé du souspeçon de feinctise, par sa vigueur, n'espargnant rien à dire, pour poisant et cuysant qu'il feust (ie n'eusse peu dire pis, absent), et en ce qu'elle a une monstre apparente de simplesse et de nonchalance. Ie ne pretens aultre fruict, en agissant, que d'agir, et n'y attache longues suittes et propositions: chasque action faict particulierement son ieu; porte s'il peult'.

Au demourant, ie ne suis pressé de passion, ou haineuse, ou amoureuse, envers les grands; ny n'ay ma volonté garrottee d'offense ou d'obligation particuliere. Ie regarde nos roys d'une affection simplement legitime et civile, ny esmeue ny desmeue par interest privé, dequoy ie me sçay bon gré : la cause generale et iuste ne m'attache non plus que modereement et sans fiebvre; ie ne suis pas subiect à ces hypotheques et engagements penetrants et intimes. La cholere et la haine sont au delà du debvoir de la iustice, et sont passions servants seulement à ceulx qui ne tiennent pas assez à leur debvoir par la raison simple : utatur motu animi, qui uti ratione non potest 3. Toutes intentions legitimes et equitables sont d'elles mesmes equables et temperees; sinon elles s'alterent en seditieuses et illegitimes: c'est ce qui me faict marcher par tout la teste haulte, le visage et le cœur ouvert. A la verité, et ne crains point de l'advouer, ie porteroy facilement au besoing une chandelle à sainct Michel, l'aultre à son serpent, suyvant le desseing de la vieille : ie suyvray le bon party iusques au feu, mais exclusifvement si ie puis: que Montaigne s'engouffre quand et la ruyne publicque, si besoing est; mais s'il n'est pas besoing, ie sçauray bon gré à la fortune qu'il se sauve; et autant que mon debvoir me donne de chorde,

En ce peu que l'ay eu à negocier entre nos princes2, en ces divisions et subdivisions qui nous deschirent auiourd'huy, i'ay curieusement evité qu'ils se mesprinssent en moy, et s'enferrassent en mon masque. Les gents du mestier se tiennent les plus couverts, et se presentent et contrefont les plus moyens et les plus voysins qu'ils peuvent: moy, ie m'offre par mes opinions les plus vifves, et par la forme plus mienne : tendre negociateur, et novice, qui ayme mieulx faillir à l'affaire qu'à moy. Ç'a esté pourtant, iusques à cette heure, avecques tel heur (car certes fortune y a la principale part), que peu ont passé de main à aultre avecques moins de souspeçon, plus de faveur et de privauté. l'ay une façon ouverte, aysee à s'in-ie l'emploie à sa conservation. Feut ce pas Attisinuer, et à se donner credit aux premieres accointances. La naïfveté et la verité pure, en quelque siecle que ce soit, treuvent encores leur opportunité et leur mise. Et puis de ceulx là est la liberté peu suspecte et peu odieuse, qui besongnent sans aulcun leur interest; et peuvent veritablement employer la response de Hyperides aux

Que difficilement je trahirais le prince pour un particulier, moi qui serais très-fáché, etc. J. V. L.

2 Entre le roi de Navarre, depuis Henri IV, et le duc de Guise, Henri de Lorraine. Voy. J. A. DE THOU, de Vita sua, III, 9. J. V. L.

cus 4, lequel se tenant au iuste party, et au party qui perdit, se sauva par sa moderation, en cet universel nauffrage du monde, parmy tant de mutations et diversitez? Aux hommes, comme luy, privez, il est plus aysé; et en telle sorte de besongne, ie treuve qu'on peult iuste

1 PLUTARQUE, De la difference du flatteur avecques l'amy, C. 24. C.

2 Que le coup porte, s'il peut.

3

Que celui-là s'abandonnne aux mouvements de l'âme, qui ne peut suivre la raison. Cic. Tusc. IV, 25.

4 CORNELIUS NÉPOS, Vie d'Atticus, c. 6. C.

ment n'estre pas ambitieux à s'ingerer et conviertel personnage, il faict mieulx, il l'estime : et soy mesme.

notamment, la cause des loix, et deffense de l'ancien estat, a tousiours cela, que ceulx mesme qui pour leur desseing particulier, le troublent, en excusent les deffenseurs, s'ils ne les honnorent.

mais parce que c'est guerre.

Rien n'empesche qu'on ne se puisse comporter commodement entre des hommes qui se sont ennemis, et loyalement : conduisez vous y d'une sinon par tout eguale affection (car elle peult souffrir differentes mesures), mais au moins temperee, et qui ne vous engage tant à l'un, qu'il puisse tout requerir de vous; et vous contentez aussi d'une moyenne mesure de leur grace, et de couler en eau trouble, sans y vouloir pescher.

De se tenir chancelant et mestis, de tenir son affection immobile et sans inclination, aux troubles de son païs et en une division publicque, ie ne le treuve ny beau ny honneste: ea non media, sed nulla via est, velut eventum exspecMais il ne fault pas appeller debvoir, comme tantium, quo fortunæ consilia sua applicent1. nous faisons touts les iours, une aigreur et une Cela peult estre permis envers les affaires des intestine aspreté qui naist de l'interest et passion voysins; et Gelon', tyran de Syracuse, suspen- privee; ny courage, une conduicte traistresse dit ainsi son inclination, en la guerre des bar- et malicieuse : ils nomment zele leur propension bares contre les Grecs, tenant une ambassade à vers la malignité et violence; ce n'est pas la Delphes avecques des presents, pour estre en cause qui les eschauffe, c'est leur interest; ils eschauguette 3 à veoir de quel costé tumberoit laattisent la guerre, non parce qu'elle est iuste, fortune, et prendre l'occasion à poinct, pour le concilier aux victorieux. Ce seroit une espece de trahison, de le faire aux propres et domestiques affaires, ausquels necessairement il fault prendre party par application de desseing: mais de ne s'embesongner point, à homme qui n'a ny charge ni commandement exprez qui le presse, ie le treuve plus excusable (et si, ne practique pour moy cette excuse) qu'aux guerres estrangieres; desquelles pourtant, selon nos loix, ne s'empesche qui ne veult. Toutesfois ceulx encores qui s'y engagent tout à faict, le peuvent avecques tel ordre et attrempance, que l'orage debvra couler par dessus leur teste, sans offense. N'avions nous pas raison de l'esperer ainsi du feu evesque d'Orleans, sieur de Morvilliers'? Et i'en cognoy, entre ceulx qui ouvrent valeureusement à cette heure, de mœurs ou si equables, ou si doulces, qu'ils seront pour demeurer debout, quelque iniurieuse mutation et cheute que le ciel nous appreste. Ie tiens que c'est aux roys proprement de s'animer contre les roys; et me mocque de ces esprits qui, de gayeté de cœur, se presentent à querelles si disproportionnees : car on ne prend pas querelle particuliere avecques un prince, pour marcher contre luy ouvertement et courageusement pour son honneur et selon son debvoir; s'il n'ayme un

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3 En sentinelle. - Eschauguette, dit Nicot, se prend tant pour le lieu que pour l'action mesme de faire sentinelle. C. 4 Modération. · Attrempé et modéré, temperatus, moderatus; attrempance, temperantia. NICOT. C. 5 Jean de Morvilliers, évêque d'Orléans, garde des sceaux de France, né à Blois en 1506, mort à Tours en 1577. Négociateur actif, il prit part au traité de Cateau-Cambresis et au concile de Trente. Protégé par les Guises, il se montra toujours contraire à la cause de la réforme, mais ne fut point persécuteur. J. V. L.

L'aultre maniere, de s'offrir de toute sa force à ceulx là et à ceulx cy, tient encores moins de la prudence que de la conscience. Celuy envers qui vous en trahissez un, duquel vous estes pareillement bien venu, sçait il pas que de soy vous en faictes autant à son tour? Il vous tient pour un meschant homme; ce pendant il vous oit, et tire de vous, et faict ses affaires de vostre desloyauté : car les hommes doubles sont utiles, en ce qu'ils apportent; mais il se fault garder qu'ils n'emportent que le moins qu'on peult.

Ie ne dis rien à l'un que ie ne puisse dire à l'aultre, à son heure, l'accent seulement un peu changé; et ne rapporte que les choses, ou indifferentes, ou cogneues, ou qui servent en commun. Il n'y a point d'utilité pour laquelle ie me permette de leur mentir. Ce qui a esté fié à mon silence, ie le cele religieusement; mais ie prens à celer le moins que ie puis : c'est une importune garde, du secret des princes, à qui n'en a que faire. Ie presente volontiers ce marché, qu'ils me fient peu, mais qu'ils se fient hardiement de ce que ie leur apporte. I'en ai tousiours plus sceu que ie n'ay voulu. Un parler ouvert ouvre un autre parler, et le tire hors, comme faict le vin et l'amour. Philippides' respondit sagement, à mon gré, au roy Lysimachus, qui luy disoit: Que veulx tu que ie te communique de mes 1 PLUTARQUE, De la curiosité, c. 4. C.

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biens?

Ce que tu vouldras, pourveu que ce ne soit de tes secrets. » Ie veoy que chascun se mutine, si on luy cache le fond des affaires ausquels on l'employe, et si on luy en a desrobbé quelque arriere sens pour moy ie suis content qu'on ne m'en die non plus qu'on veult que i'en mette en besongne; et ne desire pas que ma science oultrepasse et contraigne ma parole. Si ie dois servir d'instrument de tromperie, que ce soit au moins saufve ma conscience; ie ne veulx estre tenu serviteur ny si affectionné, ny si loyal, qu'on me treuve bon à trahir personne qui est infidele à soy mesme, l'est excusablement à son maistre. Mais ce sont princes, qui n'acceptent pas les hommes à moitié, et mesprisent les services limitez et conditionnez: il n'y a remede ie leur dis franchement mes bornes; car esclave, ie ne le dois estre que de la raison, encores n'en puis ie bien venir à bout. Et eulx aussi ont tort d'exiger d'un homme libre telle subiection à leur service et telle obligation, que de celuy qu'ils ont faict et achepté, ou duquel la fortune tient particulierement et expressement à la leur. Les loix m'ont osté de grand' peine; elles m'ont choisy party, et donné un maistre : toute aultre superiorité et obligation doibt estre relatifve à celle là, et retrenchee. Si n'est ce pas à dire, quand mon affection me porteroit aultrement, qu'incontinent i'y portasse la main : la volonté et les desirs se font loy eulx mesmes; les actions ont à la recevoir de l'ordonnance publicque.

pour
la suyvre. Ceulx qui disent communement,
contre ma profession, que ce que i'appelle fran-
chise, simplesse et naïfveté en mes mœurs, c'est
art et finesse, et plustost prudence que bonté,
industrie que nature, bon sens que bonheur,
me font plus d'honneur qu'ils ne m'en ostent:
mais, certes, ils font ma finesse trop fine; et qui
m'aura suyvy et espié de prez, ie luy donray
gaigné, s'il ne confesse qu'il n'y a point de reigle
en leur eschole qui sceust rapporter ce naturel mou-
vement, et maintenir une apparence de liberté
et de licence, si pareille et inflexible, parmy des
routes si tortues et diverses, et que toute leur
attention et engein ne les y sçauroit conduire. La
voye de la verité est une et simple; celle du proufit
particulier, et de la commodité des affaires qu'on
a en charge, double, ineguale et fortuite. l'ay
veu souvent en usage ces libertez contrefaictes
et artificielles, mais le plus souvent sans succez :
elles sentent volontiers leur asne d'Aesope1, le-
quel, par emulation du chien, veint à se iecter
tout gayement, à deux pieds, sur les espaules de
son maistre; mais autant que le chien recevoit
de caresses, de pareille feste, le pauvre asne en
receut deux fois autant de bastonades : id maxi-
me quemque decet, quod est cuiusque suum
maxime. Ie ne veulx pas priver la tromperie de
son reng; ce seroit mal entendre le monde : ie
sçay qu'elle a servy souvent proufitablement, et
qu'elle maintient et nourrit la pluspart des vaca-
tions des hommes. Il y a des vices legitimes;
comme plusieurs actions, ou bonnes ou excusa-
bles, illegitimes.

4

La iustice en soy, naturelle et universelle, est aultrement reiglee, et plus noblement, que n'est cette aultre iustice speciale, nationale, contraincte au besoing de nos polices: veri iuris germanœque iustitiæ solidam et expressam effigiem nullam tenemus; umbra et imaginibus utimur3; si que le sage Dandamis oyant reciter les vies de Socrates, Pythagoras, Diogenes, les iugea grands personnages en toute aultre chose, mais trop asservis à la reverence des loix ; pour lesquelles auctoriser et seconder, la vraye vertu a beaucoup à se desmettre de sa vigueur originelle; et non seulement par leur permission plusieurs actions

Tout ce mien proceder est un peu bien dissonant à nos formes; ce ne seroit pas pour produire grands effects, ny pour y durer : l'innocence mesme ne sçauroit, à cette heure, ny negocier entre nous sans dissimulation, ny marchander sans menterie; aussi ne sont aulcunement de mon gibbier les occupations publicques ; ce que ma profession en requiert, ie l'y fournis en la forme que ie puis la plus privee. Enfant, on m'y plongea iusques aux aureilles, et il succedoit: si m'en desprins ie de belle heure. l'ay souvent depuis evité de m'en mesler, rarement accepté, iamais requis; tenant le dos tourné à l'ambition, mais sinon comme les tireurs d'aviron, qui s'advancent ainsin à reculons, tellement toutesfois que, de ne m'y estre point embarqué, i'en suis moins obligé à ma resolution qu'à ma bonne fortune: car il y a des voyes moins ennemies de mon goust, et plus conformes à ma portee, par lesquelles si elle m'eust appellé table droit et d'une justice parfaite; nous n'en avons qu'une aultrefois au service publicque et à mon advan-ombre, qu'une image. CIC. de Offic. III, 17. cement vers le credit du monde, ie sçay que i'eusse passé par dessus la raison de mes discours

1 Fable imitée par la Fontaine, IV, 5. J. V. L.

2 Ce qui est le plus naturel à chacun, c'est ce qui lui sied le mieux. Cic. de Offic. I, 31.

3 Nous n'avons point de modèle solide et positif d'un véri

4 C'était un sage indien, qui vivait du temps d'Alexandre. Voy. PLUTARQUE, Vie d'Alexandre, c. 20; et STRABON (liv. XV), qui l'appelle Mandanis. C.

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