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fesso, armatis transsultare mos erat: tanta velocitas ipsis, tamque docile equorum genus 1! Il se treuve plusieurs chevaulx dressez à secourir leur maistre, courir sus à qui leur presente une espee nue, se iecter des pieds et des dents sur ceulx qui les attaquent et affrontent mais il leur advient plus souvent de nuire aux amis qu'aux ennemis; ioinct que vous ne les desprenez pas à vostre poste, quand ils se sont une fois harpez, et demeurez à la misericorde de leur combat. Il mesprint lourdement à Artybius, general de l'armee de Perse, combattant contre Onesilus, roy de Salamine, de personne à personne, d'estre monté sur un cheval façonné en cette eschole; car il feut cause de sa mort, le coustillier d'Onesilus l'ayant accueilly d'une faulx entre les deux espaules, comme il s'estoit cabré sur son maistre3. Et ce que les Italiens disent, qu'en la battaille de Fornuove, le cheval du roy Charles le deschargea, à ruades et pennades, des ennemis qui le pressoient, et qu'il estoit perdu sans cela; ce feut un grand coup de hazard, s'il est vray. Les Mammelus se vantent d'avoir les plus adroicts chevaulx de gendarmes du monde; que par nature et par coustume ils sont faicts à cognoistre et distinguer l'ennemy, sur qui il fault qu'ils se ruent de dents et de pieds, selon la voix ou signe qu'on leur faict; et pareillement à relever, de la bouche, les lances et dards emmy la place, et les offrir au maistre, selon qu'il le commande. On dict de Cesar, et aussi du grand Pompeius, que parmy leurs aultres excellentes qualitez, ils estoient fort bons hommes de cheval et de Cesar, qu'en sa ieunesse, monté à dos sur un cheval, et sans bride, il luy faisoit prendre carriere, les mains tournees derriere le dos 4. Comme nature a voulu faire, de ce personnage et d'Alexandre, deux miracles en l'art militaire, vous diriez qu'elle s'est aussi efforcee à les armer extraordinairement: car chascun sçait, du cheval d'Alexandre, Bucephal, qu'il avoit la teste retirant à celle d'un taureau; qu'il ne se souffroit monter à personne qu'à son maistre, ne peut estre dressé que par luy

1 Comme ceux de nos cavaliers qui sautent d'un cheval sur l'autre, les Numides avaient coutume de mener deux chevaux; et tout armés, dans le fort du combat, ils se jetaient souvent d'un cheval fatigué sur un cheval frais telle était leur agilité, et la docilité de leurs chevaux! TITE-LIVE, XXIII, 29.

2 On nommait coustilliers, dit Fauchet, les valets qui portaient la coustille, et se tenaient près de l'homme d'armes. Coustille était une épée, ou long poignard. BOREL, dans son Thresor des recherches gauloises, etc. C.

3 HÉRODOTE, V, 111 et 112. J. V. L.

4 PLUTARQUE, Vic de César, c. 5. C.

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On lit en Xenophon la loy deffendant de voyager à pied à homme qui eust cheval. Trogus et Iustinus 5 disent que les Parthes avoient accoustumé de faire à cheval non seulement la guerre, mais aussi touts leurs affaires publicques et privez, marchander, parlementer, s'entretenir et se promener; et que la plus notable difference des libres et des serfs parmy eulx, c'est que les uns vont à cheval, les autres à pied: institution nee du roy Cyrus.

et

Il y a plusieurs exemples en l'histoire romaine (et Suetone le remarque plus particulierement de Cesar 6) des capitaines qui commandoient à leurs gents de cheval de mettre pied à terre, quand ils se trouvoient pressez de l'occasion, pour oster aux soldats toute esperance de fuitte, pour l'advantage qu'ils esperoient en cette sorte de combat: quo, haud dubie, superat Romanus 7, dict Tite Live. Si est il que la premiere provision dequoy ils se servoient à brider la rebellion des peuples de nouvelle conqueste, c'estoit leur oster armes et chevaulx. Pourtant veoyons nous si souvent en Cesar: arma proferri, iumenta produci, obsides dari iubet. Le Grand Seigneur ne permet auiourd'huy, ny à ehrestien, ny à iuif, d'avoir cheval à soy, soubs son empire.

Nos ancestres, et notamment du temps de la guerre des Anglois, ez combats solennels et iournees assignees, se mettoient, la pluspart du

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temps, touts à pied, pour ne se fier à aultre chose qu'à leur force propre, et vigueur de leur courage et de leurs membres, de chose si chere que l'honneur et la vie. Vous engagez, quoy qu'en die Chrysanthes en Xenophon', vostre valeur et vostre fortune à celle de vostre cheval: ses playes et sa mort tirent la vostre en consequence; son effroy ou sa fougue vous rendent ou temeraire ou lasche; s'il a faulte de bouche ou d'esperon, c'est à vostre honneur à en respondre. A cette cause, ie ne treuve pas estrange que ces combats là feussent plus fermes et plus furieux que ceulx qui se font à cheval :

Cædebant pariter, pariterque ruebant Victores victique; neque his fuga nota, neque illis ' : leurs battailles se veoyent bien mieulx contestees; ce ne sont à cette heure que routes, primus clamor atque impetus rem decernit 3. Et chose que nous appellons à la societé d'un si grand hazard, doibt estre en nostre puissance le plus qu'il se peult; comme ie conseilleroy de choisir les armes les plus courtes, et celles dequoy nous nous pouvons le mieulx respondre. Il est bien plus apparent de s'asseurer d'une espee❘ que nous tenons au poing, que du boulet qui eschappe de nostre pistole, en laquelle il y a plusieurs pieces, la pouldre, la pierre, le rouet, desquelles la moindre qui vienne à faillir vous fera faillir vostre fortune. On assene peu seurement le coup que l'air vous conduict,

Et, quo ferre velint, permittere vulnera ventis :
Ensis habet vires; et gens quæcumque virorum est
Bella gerit gladiis 4.

Mais quant à cette arme là, i'en parleray plus
amplement, où ie feray comparaison des armes
anciennes aux nostres; et sauf l'estonnement des
aureilles, à quoy desormais chascun est apprivoisé,
ie croy que c'est une arme de fort peu d'effect, et
espere que nous en quitterons un iour l'usage. Celle
dequoy les Italiens se servoient, de iect et à feu,
estoit plus effroyable : ils nommoient phalarica
une certaine espece de iaveline, armee par le
bout d'un fer de trois pieds, à fin qu'il peust
percer d'oultre en oultre un homme armé; et
se lanceoit tantost de la main en la campaigne,

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tantost à tout des engeins, pour deffendre les
lieux assiegez la hante, revestue d'estouppe
empoixee et huylee, s'enflammoit de sa course;
et s'attachant au corps ou au bouclier, ostoit
tout usage d'armes et de membres. Toutesfois il
me semble que pour venir au ioindre, elle por-
tast aussi empeschement à l'assaillant, et que le
champ ionché de ces tronçons bruslants peust
produire en la meslee une commune incommo-
dité :

Magnum stridens contorta phalarica venit,
Fulminis acta modo 1.

Ils avoient d'aultres moyens, à quoy l'usage les
dressoit, et qui nous semblent incroyables par
inexperience; par où ils suppleoient au default
de nostre pouldre et de nos boulets. Ils dar-
doient leurs piles de telle roideur, que souvent
ils en enfiloient deux boucliers et deux hommes
armez, et les cousoient. Les coups de leurs fondes
n'estoient pas moins certains et loingtains : saxis
globosis... funda, mare apertum incessentes...
coronas modici circuli, magno ex intervallo
loci, assueti traiicere, non capita modo hos-
tium vulnerabant, sed quem locum destinas-
sent. Leurs pieces de batteries representoient,
comme l'effect, aussi le tintamarre des nostres :
ad ictus mœnium cum terribili sonitu editos,
pavor et trepidatio cepit 3. Les Gaulois nos cou-
sins, en Asie, haïssoient ces armes traistresses
et volantes; duicts à combattre main à main avec-
ques plus de courage. Non tam patentibus plagis
moventur... ubi latior quam altior plaga est,
etiam gloriosius se pugnare putant : iidem,
quum aculeus sagittæ aut glandis abditæ in-
trorsus tenui vulnere in speciem urit... tum,
in rabiem et pudorem tam parvæ perimentis
pestis versi, prosternunt corpora humi 4 : peinc-
ture bien voysine d'une arquebusade. Les dix
mille Grecs, en leur longue et fameuse retraicte,
rencontrerent une nation qui les endommagea

* Semblable à la foudre, la phalarique fendait l'air avec un horrible sifflement. VIRG. Eneide, IX, 705.

2 Exercés à lancer sur la mer les cailloux ronds que l'on trouve sur les rivages, et à tirer d'une distance considérable dans un cercle de médiocre grandeur, ils blessaient leurs ennemis non-seulement à la tète, mais à telle partie du visage qu'il leur plaisait. TITE-LIVE, XXXVIII, 29.

3 Au retentissement des murailles frappées avec un bruit terrible, le trouble et l'effroi s'empara des assiégés. TITE-LIVE, XXXVIII, 5.

4 La largeur des plaies ne les effraye pas; lorsque la blessure est plus large que profonde, ils s'en font gloire comme d'une preuve de valeur. Mais lorsque la pointe d'un dard ou une balle de plomb pénètre fort avant dans les chairs en laissant une ouverture peu apparente, alors, furieux de périr par une atteinte si légère, ils se roulent par terre de rage et de honte. TITE-LIVE, XXXVIII, 21.

merveilleusement à coups de grands arcs et forts, et de sagettes si longues, qu'à les reprendre à la main, on les pouvoit reiecter à la mode d'un dard, et perceoient de part en part un bouclier et un homme armé1. Les engeins', que Dionysius inventa à Syracuse, à tirer des gros traicts massifs et des pierres d'horrible grandeur, d'une si longue volee et impetuosité, representoient de bien prez nos inventions.

de

Encores ne fault il pas oublier la plaisante assiette qu'avoit sur sa mule un maistre Pierre Pol, docteur en theologie, que Monstrelet recite avoir accoustumé se promener par la ville de Paris, assis de costé comme les femmes. Il diet aussi ailleurs que les Gascons3 avoient des chevaulx terribles, accoustumez de virer en courant, quoy les François, Picards, Flamands et Brabançons faisoient grand miracle,« pour n'avoir accoustumé de les veoir; » ce sont ses mots. Cesar parlant de ceulx de Suede 4: « Aux rencontres qui se font à cheval, dict il 5, ils se iectent souvent à terre pour combattre à pied, ayant accoustumé leurs chevaulx de ne bouger ce pendant de la place, ausquels ils recourent promptement, s'il en est besoing; et selon leur coustume, il n'est rien si vilain et si lasche que d'user de selles et bardelles; et mesprisent ceulx qui en usent: de maniere que, fort peu en nombre, ils ne craignent pas d'en assaillir plusieurs. » Ce que i'ay admiré aultrefois, de veoir un cheval dressé à se manier à toutes mains avecques une baguette, la bride avallee sur ses aureilles, estoit ordinaire aux Massyliens, qui se servoient de leurs chevaulx sans selle et sans bride :

Et gens quæ nudo residens Massylia dorso,
Ora levi flectit, frænorum nescia, virga 7.

1 XÉNOPHON, Anabase, V, 2. C.

La catapulte, dont Élien attribue l'invention à Denys lui-même, Var. hist. VI, 12. Diodore de Sicile, XIV, 42, dit simplement que la catapulte fut inventée à Syracuse du temps de Denys l'Ancien. Pline, VII, 56, prétend que les Syro-Pheniciens s'en servirent les premiers. Voyez Juste-Lipse, Poliorcet. III, 2. J. V. L.

3 Monstrelet, vol. I, c. 66, y joint les Lombards. C. 4 Lisez de Suève ou de Souabe, peuple d'Allemagne que César nomme expressément Suevorum gens (de Bell. gall. IV, 1). La Suède était inconnue aux Romains du temps de César, ce qu'apparemment Montaigne savait fort bien. Suède doit donc être ici une faute d'impression, mais qui se trouve dans toutes les éditions que j'ai pu consulter. C.

5 De Beil. gall. IV, 2. Les Bretons avaient un usage semblable, ibid. c. 33. J. V. L.

6 Montaigne, dans son Voyage en Italie, t. II, p. 508, édit. de 1774, dit qu'il fut témoin de ce spectacle donné à Rome, aux thermes de Dioclétien, le 8 octobre 1581, par un Italien qui avait été longtemps esclave en Turquie. J. V. L.

7 Les Massyliens montent leurs chevaux à nu, et les font obéir à une simple verge, qui leur tient lieu de frein. LUCAIN, IV, 682.

Et Numidæ infræni cingunt '.

Equi sine frænis; deformis ipse cursus, rigida cervice, et extento capite currentium 2.

Le roy Alphonse3, celuy qui dressa en Espaigne l'ordre des chevaliers de la Bande ou de l'Escharpe, leur donna, entre aultres reigles, de ne monter ny mule ny mulet, sur peine d'un mare d'argent d'amende, comme ie viens d'apprendre dans les Lettres de Guevara, desquelles ceulx qui les ont appellees Dorees faisoient iugement bien aultre que celuy que i'en fois 4. Le Courtisan dict qu'avant son temps c'estoit reproche à un gentilhomme d'en chevaucher. Les Abyssins, au rebours, à mesure qu'ils sont les plus advancez prez le Pretteian leur prince, affectent pour la dignité et pompe de monter de grandes mules.

5

Xenophon recite que les Assyriens tenoient tousiours leurs chevaux entravez au logis, tant ils estoient fascheux et farouches; et qu'il falloit tant de temps à les destacher et harnacher, que pour que cette longueur ne leur apportast dommage, s'ils venoient à estre en desordre surprins par les ennemis, ils ne logeoient iamais en camp qui ne feust fossoyé et remparé. Son Cyrus, si grand maistre au faict de chevalerie, mettoit les chevaulx de son escot, et ne leur faisoit bailler à manger qu'ils ne l'eussent gaigné par la sueur de quelque exercice. Les Scythes, où la necessité les pressoit en la guerre, tiroient du sang de leurs chevaulx, et s'en abbruvoient et nourris

soient :

Venit et epoto Sarmata pastus equo 7. Ceulx de Crete, assiegez par Metellus, se trouverent en telle disette de tout aultre bruvage, qu'ils eurent à se servir de l'urine de leurs chevaulx 8.

Pour verifier combien les armees turquesques se conduisent et maintiennent à meilleure raison que les nostres, ils disent qu'oultre ce que les soldats ne boivent que de l'eau, et ne mangent

Et les Numides conduisant leurs chevaux sans frein. VIRG. Énéide, IV, 41.

2 Leurs chevaux sans frein ont l'allure désagréable, l'encolure roide, et la tête tendue en avant. TITE-LIVE, XXXV,

11.

3 Alphonse XI, roi de Léon et de Castille, mort en 1350, à trente-huit ans.

4 Voyez BAYLE, au mot Guevara, note H.

5 C'est un ouvrage publié en italien par Balthasar Castiglione en 1528, sous le titre del Cortegiano. Le passage cité par Montaigne est au commencement du second livre. C. 6 Cyropédie, III, 3. C.

7 On y voit le Sarmate qui se nourrit du sang de cheval. MARTIAL, Spectacul. líb. épigr. 3, v. 4.

8 VALÈRE MAXIME, VII, 6, ext. 1. C.

que riz et de la chair salee mise en pouldre (dequoy chascun porte ayseement sur soy provision pour un mois), ils sçavent aussi vivre du sang de leurs chevaulx, comme les Tartares et Moscovites, et le salent.

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devant à pied, et leur presentoit un gobeau de laict de iument (bruvage qui leur est en delices); et si en beuvant, quelque goutte en tumboit sur le crin de leurs chevaulx, il estoit tenu de la leicher avec la langue1. En Russie, l'armee que l'empereur Baiazet y avoit envoyee, feut accablee d'un si horrible ravage de neiges, que pour s'en mettre à couvert et sauver du froid,

Ces nouveaux peuples des Indes, quand les Espaignols y arriverent, estimerent, tant des hommes que des chevaulx, que ce feussent ou dieux, ou animaulx en noblesse au dessus de leur na-plusieurs s'adviserent de tuer et esventrer leurs ture: aulcuns, aprez avoir esté vaincus, venants demander paix et pardon aux hommes, et leur apporter de l'or et des viandes, ne faillirent d'en aller autant offrir aux chevaulx, avecques une toute pareille harangue à celle des hommes, prenants leur hennissement pour langage de composition et de trefve.

Aux Indes de deçà, c'estoit anciennement le principal et royal honneur de chevaucher un elephant; le second, d'aller en coche traisné à quatre chevaulx; le tiers, de monter un chameau; le dernier et plus vil degré, d'estre porté ou charrié par un cheval seul1. Quelqu'un de nostre temps escrit avoir veu, en ce climat là, des païs où on chevauche les bœufs avecques bastines, estriers et brides, et s'estre bien trouvé de leur porture.

Quintus Fabius Maximus Rutilianus', contre les Samnites, voyant que ses gents de cheval, à trois ou quatre charges, avoient failly d'enfoncer le battaillon des ennemis, print ce conseil : qu'ils desbridassent leurs chevaulx, et brochassent3 à toute force des esperons; si que rien ne les pouvant arrester au travers des armes et des hommes renversez, ils ouvrirent le pas à leurs gents de pied, qui parfirent une tres sanglante desfaicte. Autant en commanda Quintus Fulvius Flaccus contre les Celtibériens: Id cum maiore viequorum facietis, si effrænatos in hostes equos immittitis; quod sæpe romanos equites cum laude fecisse sua, memoriæ proditum est... Detractis- | que fræenis, bis ultro citroque cum magna strage hostium, infractis omnibus hastis, transcurrerunt 4.

Le duc de Moscovie debvoit anciennement cette reverence aux Tartares, quand ils envoyoient vers luy des ambassadeurs, qu'il leur alloit au

ARRIEN, Hist. Ind. c. 17. C.

* Ou plutôt Rullianus. TITE-LIVE, VII, 30. C. 3 Piquassent. E. J.

4 Pour que leur choc soit plus impétueux, débridez vos chevaux, dit-il c'est une manœuvre dont le succès a souvent fait le plus grand honneur à la cavalerie romaine... A peine l'ordre est-il donné, qu'ils débrident leurs chevaux, percent les rangs ennemis, brisent toutes les lances, reviennent sur leurs pas, et font un grand carnage. TITE-LIVE, XL, 40.

chevaulx pour se iecter dedans, et iouyr de cette chaleur vitale. Baiazet, aprez cet aspre estour où il feut rompu par Tamburlan 2, se sauvoit belle erre3 sur une iument arabesque, s'il n'eust esté contrainct de la laisser boire son saoul au passage d'un ruisseau; ce qui la rendit si flacque et refroidie, qu'il feut bien ayseement aprez acconsuyvi par ceulx qui le poursuyvoient. On dict bien qu'on les lasche les laissant pisser; mais le boire, i'eusse plustost estimé qu'il l'eust renforcee.

Croesus passant le long de la ville de Sardis, y trouva des pastis où il y avoit grande quantité de serpents, desquels les chevaulx de son armee mangeoient de bon appetit; qui feut un mauvais prodige à ses affaires, dict Herodote 4.

Nous appellons un cheval entier, qui a crin et aureille; et ne passent les aultres à la monstre: les Lacedemoniens ayants desfaict les Atheniens en la Sicile, retournants de la victoire en pompe en la ville de Syracuse, entre aultres bravades, feirent tondre les chevaulx vaincus, et les menerent ainsin en triumphe 6. Alexandre combattit une nation, Dahas 7: ils alloient deux à deux armez à cheval à la guerre; mais en la meslee, l'un descendoit à terre, et combattoient ores à pied, ores à cheval, l'un aprez l'aultre.

1 Voyez la Chronique de Moscovie, par P. Petrius, Suédois, imprimée en allemand, à Leipsick, en 1620, in-4o, part. II, p. 159. Cette espèce d'esclavage commença vers le milieu

du treizième siècle, et dura près de deux cent soixante ans. C. 2 En 1401. On dit plus communément aujourd'hui Tamer lan. C.

3 En grande háte. Ce mot est singulièrement placé dans une ballade de la Fontaine :

Et je maintiens, comme article de foi,
Qu'en débridant matines à grand'erre,
Les augustins sont serviteurs du roi.

Si l'on en croyait le Dictionnaire de l'Académie, grand'erre et belle erre seraient encore en usage. J.V. L.-Dans l'édit. de 1835, l'Académie dit formellement que ces locutions ont vieilli. DD. 4 Liv. I, c. 78. J. V. L.

5 Et on n'en admet point d'autres dans les montres ou revues. Il me semble que les commentateurs n'avaient point compris cette phrase. J. V. L.

6 PLUTARQUE, Vie de Nicias, c. 10. C.

7 Montaigne emploie l'accusatif de Daha, les Dahes. Voyez QUINTE-CURCE, VII, 7. C.

I

Ie n'estime point qu'en suffisance et en grace | nez à nostre mode: mais ie me plains de sa à cheval, nulle nation nous emporte. Bon homme particuliere indiscretion de se laisser si fort de cheval, à l'usage de nostre parler, semble piper et aveugler à l'auctorité de l'usage preplus regarder au courage qu'à l'adresse. Le plus sent, qu'il soit capable de changer d'opinion et sçavant, le plus seur, le mieulx advenant à me- d'advis touts les mois, s'il plaist à la coustume, ner un cheval à raison, que i̇'aye cogneu, feut, et qu'il iuge si diversement de soy mesme. à mon gré, monsieur de Carnavalet, qui en ser- Quand il portoit le busc de son pourpoinct envoit nostre roy Henry second. I'ay veu homme 1 tre les mammelles, il maintenoit, par vifves donner carriere à deux pieds sur sa selle, des- | raisons, qu'il estoit en son vray lieu : quelques monter sa selle, et au retour la relever, reac- annees aprez, le voylà avallé iusques entre les. commoder, et s'y rasseoir, fuyant tousiours à cuisses; il se mocque de son aultre usage, le bride avallee; ayant passé par dessus un bon- treuve inepte et insupportable. La façon de se net, y tirer par derriere des bons coups de son vestir presente luy faict incontinent condernner arc; amasser ce qu'il vouloit, se iectant d'un l'ancienne, d'une resolution si grande et d'un pied à terre, tenant l'aultre en l'estrier; et consentement si universel, que vous diriez que aultres pareilles singeries, dequoy il vivoit. c'est quelque espece de manie qui luy tourneboule ainsi l'entendement. Parce que nostre changement est si subit et si prompt en cela, que l'invention de touts les tailleurs du monde ne sçauroit fournir assez de nouvelletez, il est force que bien souvent les formes mesprisees reviennent en credit, et celles là mesmes tumbent en mespris tantost aprez; et qu'un mesme iugement prenne, en l'espace de quinze ou vingt ans, deux ou trois, non diverses seulement, mais contraires opinions, d'une inconstance et legiereté incroyable. Il n'y a si fin entre nous qui ne se laisse embabouiner de cette contradiction, et esblouïr tant les yeulx internes que les externes insensiblement.

On a veu de mon temps, à Constantinople, deux hommes sur un cheval, lesquels, en sa plus roide course, se reiectoient, à tours, à terre, et puis sur la selle et un qui, seulement des dents, bridoit et enharnachoit son cheval : un aultre qui, entre deux chevaulx, un pied sur une selle, l'aultre sur l'aultre, portant un second sur ses bras, picquoit à toute bride; ce second, tout debout sur luy, tirant, en la course, des coups bien certains de son are: plusieurs qui, les iambes contremont, donnoient carriere, la teste plantee sur leurs selles entre les poinctes des cimeterres attachez au harnois. En mon enfance, le prince de Sulmone, à Naples, maniant un rude cheval de toute sorte de maniements, tenoit soubs ses genouils et soubs ses orteils, des reales 3, comme si elles y eussent esté clouees, pour montrer la fermeté de son assiette.

CHAPITRE XLIX.

Des coustumes anciennes.

l'excuseroy volontiers, en nostre peuple, de n'avoir aultre patron et reigle de perfection, que ses propres mœurs et usances: car c'est un commun vice, non du vulgaire seulement, mais quasi de touts hommes, d'avoir leur visee et leur arrest sur le train auquel ils sont nayz. Ie suis content, quand il verra Fabricius ou Lælius, qu'il leur treuve la contenance et le port barbare, puis qu'ils ne sont ny vestus ny façon

C'est cet Italien que Montaigne vit à Rome en 1581, et dont il est déjà parlé dans une des notes sur ce chapitre. J. V. L.

a Tour à tour, comme on a mis dans quelques éditions. C. 3 Sorte de monnaie d'Espagne. E. J.

le veulx icy entasser aulcunes façons anciennes que i'ay en memoire, les unes de mesme les nostres, les aultres differentes; à fin qu'ayant en l'imagination cette continuelle variation des choses humaines, nous en ayons le iugement plus esclaircy et plus ferme.

:

Ce que nous disons de combattre à l'espee et la cape, il s'usoit encores entre les Romains, ce dict Cesar sinistras sagis involvunt, gladiosque distringunt; et remarque dez lors en nostre nation ce vice, qui y est encores, d'arrester les passants que nous rencontrons en chemin 2, et de les forcer de nous dire qui ils sont, et de recevoir à iniure et occasion de querelle, s'ils refusent de nous respondre.

Aux bains que les anciens prenoient touts les iours avant le repas, et les prenoient aussi ordinairement que nous faisons de l'eau à laver les mains, ils ne se lavoient du commencement que

Ils s'enveloppent la main gauche de leurs saics, et tirent l'épée. CÉSAR, de Bello civili, I, 75.

2 CÉSAR, de Bello gallico. IV, 5. J. V. L.

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