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MASCARILLE.

Il est vrai, c'est tomber d'un mal dedans un pire.
Il faut pourtant la voir. Allez chez Trufaldin.

LÉLIK.

Que faire?

MASCARILLE.

Je ne sais.

LÉLIE.

C'en est trop à la fin,

Et tu me mets à bout par ces contes frivoles.

MASCARILLE.

Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,
Nous n'aurions pas besoin maintenant de rêver
A chercher les biais que nous devons trouver,
Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave,
Empêcher qu'un rival vous prévienne etvous brave.
De ces Égyptiens qui la mirent ici

Trufaldin, qui la garde, est en quelque souci ;
Et trouvant son argent qu'ils lui font trop attendre,
Je sais bien qu'il serait très-ravi de la vendre :
Car enfin en vrai ladre il a toujours vécu;
Il se ferait fesser pour moins d'un quart d'écu;
Et l'argent est le dieu que surtout il révère.
Mais le mal, c'est...

LÉLIE.
Quoi? c'est...

MASCARILLE.

Que monsieur votre père

Est un autre vilain qui ne vous laisse pas,

Comme vous voudriez bien, manier ses ducats;
Qu'il n'est point de ressort qui, pour votre

ressource,

Pût faire maintenant ouvrir la moindre bourse.
Mais tâchons de parler à Célie un moment,
Pour savoir là-dessus quel est son sentiment;
Sa fenêtre est ici.

LÉLIE.

Mais Trufaldin, pour elle,

Fait de jour et de nuit exacte sentinelle.

Prends garde.

MASCARILLE.

Dans ce coin demeurez en repos.

O bonheur ! la voilà qui sort tout à propos.

SCÈNE III.

CÉLIE, LÉLIE, MASCARILLE.

LÉLIE.

Ah! que le Ciel m'oblige en offrant à ma vue
Les célestes attraits dont vous êtes pourvue!
Et, quelque mal cuisant que m'aient causé vos yeux,
Que je prends de plaisir à les voir en ces lieux!

CÉLIE.

Mon cœur, qu'avec raison votre discours étonne,
N'entend pas que mes yeux fassent mal à personne;
Et si dans quelque chose ils vous ont outragé,
Je puis vous assurer que c'est sans mon congé.

LELIE.

Ah! leurs coups sont trop beaux pour me faire une

injure.

Je mets toute ma gloire à chérir leur blessure,
Et...

MASCARILLE.

Vous le prenez là d'un ton un peu trop häut; Ce style maintenant n'est pas ce qu'il nous faut. Profitons mieux du temps, et sachons vite d'elle Ce que...

TRUFALDIN, dans la maison.

Célie !

MASCARILLE, à Lélie.

Hé bien ?

LÉLIE.

O rencontre cruelle !

Ce malheureux vieillard devait-il nous troubler?

MASCARILLE.

Allez, retirez-vous; je saurai lui parler.

SCÈNE IV.

TRUFALDIN, CÉLIE, LÉLIE retiré dans un coin, MASCARILLE.

TRUFALDIN, à Célie.

Que faites-vous dehors? et quel soin vous talonne, Vous à qui je défends de parler à personne?

CÉLIE.

Autrefois j'ai connu cet honnête garçon,

Et vous n'avez pas lieu d'en prendre aucun soupçon.

MASCARILLE.

Est-ce là le seigneur Trufaldin?

CÉLIE.

MASCARILLE.

Oui, lui-même.

Monsieur, je suis tout vôtre, et ma joie est extrême De pouvoir saluer en toute humilité

Un homme dont le nom est partout si vanté.

TRUFALDIN.

Très-humble serviteur.

MASCARILLE.

J'incommode peut-être ;

Mais je l'ai vue ailleurs, où m'ayant fait connaître
Les grands talens qu'elle a pour savoir l'avenir,
Je voulais sur un point un peu l'entretenir.

TRUFALDIN.

Quoi! te mêlerais-tu d'un peu de diablerie ?

CÉLIE.

Non, tout ce que je sais n'est que blanche magic.

MASCARILLE.

Voici donc ce que c'est. Le maître que je sers
Languit pour un objet qui le tient dans ses fers.
Il aurait bien voulu du feu qui le dévore
Pouvoir entretenir la beauté qu'il adore :
Mais un dragon, veillant sur ce rare trésor,
N'a pu, quoi qu'il ait fait, le lui permettre encor;

Et, ce qui plus le gêne et le rend misérable,
Il vient de découvrir un rival redoutable :
Si bien que, pour savoir si ses soins amoureux
Ont sujet d'espérer quelque succès heureux,
Je viens vous consulter, sûr que de votre bouche
Je puis apprendre au vrai le secret qui nous touche.
CÉLIE.

Sous quel astre ton maître a-t-il reçu le jour?

MASCARILLE.

Sous un astre à jamais ne changer son amour.
CÉLIE.

Sans me nommer l'objet pour qui son cœur soupire,
La science que j'ai m'en peut assez instruire.
Cette fille a du cœur, et dans l'adversité
Elle sait conserver une noble fierté :

Elle n'est pas d'humeur à trop faire connaître
Les secrets sentimens qu'en son cœur on fait naître;
Mais je les sais comme elle, et d'un esprit plus doux,
Je vais en peu de mots te les découvrir tous.

MASCARILLE.

O merveilleux pouvoir de la vertu magique!

CÉLIE.

Si ton maître en ce point de constance se pique,
Et que la vertu seule anime son dessein,

Qu'il n'appréhende plus de soupirer en vain :
Il a lieu d'espérer; et le fort qu'il veut prendre
N'est pas sourd aux traités,et voudra bien se rendre.

MASCARILLE.

C'est beaucoup; mais ce fort dépend d'ungouverneur

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