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Notre profond silence abusant leurs esprits,
Ils n'osent plus douter de nous avoir surpris;
Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent,
Et courent se livrer aux mains qui les attendent.
Nous nous levons alors, et touts en même temps,
Poussons jusques' au ciel mille cris éclatants.
Les nôtres, à ces cris, de nos vaisseaux répondent;
Ils paraissent armés; les Maures se confondent,
L'épouvante les prend à demi descendus,

Avant que2 de combattre ils s'estiment perdus.
Ils courent au pillage et rencontrent la guerre;
Nous les pressons sur l'eau, nous les pressons sur terre,
Et nous fesons courir des ruisseaux de leur sang,
Avant qu'aucun résiste ou reprène son rang.

Mais bientôt, malgré nous, leurs princes les rallient;
Leur courage renaît, et leurs terreurs s'oublient...
La honte de mourir sans avoir combattu
Arrête leur désordre et leur rend leur vertu.
Contre nous de pied ferme ils tirent leurs épées;
Des plus braves soldats les trames sont coupées,
Et la terre, et le fleuve, et leur flotte, et le port,
Sont des camps de carnage où triomphe la mort.
Oh! combien d'actions, combien d'exploits célèbres,
Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres,
Où chacun, seul témoin des grands coups qu'il donnait3,
Ne pouvait discerner où le sort inclinait!
J'allais de touts côtés encourager les nôtres,
Faire avancer les uns et soutenir les autres,

Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour,
Et ne l'ai pu savoir jusques au point du jour.
Mais enfin, sa clarté montre notre avantage;
Le Maure voit sa perte, et perd soudain courage;
Et voyant un renfort qui nous vient secourir,
L'ardeur de vaincre cède à la peur de mourir.
Hs gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles,
Nous laissant pour adieux des cris épouvantables,
Font retraite en tumulte, et sans considérer

Si leurs rois avec eux peuvent se retirer.

Pour souffrir ce devoir leur frayeur est trop forte,
Le flux les apporta, le reflux les remporte.

5

Cependant que leurs rois engagés parmi nous,

- 1 jusques nimmt oft ein s bei Dichtern an; dieses s ist ein Ueberbleibsel der mittelalterlichen Sprache, wo man den Subjekten, und aus Mißbrauch selbst den Präpo= fizionen, ein s anhing: La septième année estoit presques entière en ses pas retournée (Ronsard).

2

Avant que de combattre, avant de wird jest häufiger gebraucht, obgleich avant que de kein Fehler ist, so muß man doch Lesteres vorziehen (Gram. Nation p. 845). 3 Qu'il donnait qu'il frappait ist beffer.

4 Pour souffrir ce devoir; souffrir statt remplir.

5

Cependant que ftatt pendant que; cependant wird nicht mehr statt pendant que gebraucht, und hat im Unfange nié que nach sich; folgt nur darauf, wenn es nach

Et quelque peu des leurs tout percés de nos coups,
Disputent vaillamment, et vendent bien leur vie,
A se rendre, moi-même en vain je ́les convie:
Le cimeterre au poing, ils ne m'écoutent pas;
Mais voyant à leurs pieds tomber touts leurs soldats,
Et que seuls désormais en vain ils se défendent,
Ils demandent le chef, je me nomme, ils se rendent;
Je vous les envoyai touts deux en même temps;
Et le combat cessa faute de combattants.

(Le Cid.)

2. Discours et Morceaux oratoires.
Imprécations de Camille.

Rome, l'unique objet de mon ressentiment,
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant,
Rome, qui t'a vu naître, et que ton coeur adore,
Rome, enfin, que je hais parce qu'elle t'honore;
Puissent touts ses voisins, ensemble conjurés,
Saper ses fondements encor mal assurés!
Et si ce n'est assez de toute l'Italie,

Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie;
Que cent peuples unis, des bouts de l'univers,
Passent, pour la détruire, et les monts et les mers;
Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles!
Que le courroux du ciel, allumé par mes voeux,
Fasse pleuvoir sur elle `un déluge de feux!
Puissé-je de mes yeux y voir tomber la foudre,
Voir ses maisons en cendres et ses lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,

"

Moi seule en être cause, et mourir de plaisir!

(Les Horaces.)

Reproches d'Auguste à Cinna.

Prends un siège, Cinna, prends, et sur toute chose,
Observe exactement la loi que je t'impose:

Prête, sans me troubler, l'oreille à mes discours;
D'aucun mot, d'aucun cri, n'en interromps le cours;
Tiens ta langue captive, et si ce grand silence
A ton émotion fait quelque violence,
Tu pourras me répondre après tout à loisir;
Sur ce point seulement contente mon désir.
qu'il te souviène

De garder ta parole, et je tiendrai la mienne.

Tu vois le jour, Cinna, mais ceux dont tu le tiens
Furent les ennemis de mon père et les miens;

einem Verb steht und jedoch bedeutet. On disait cependant que vous n'étiez pas chez vous.

Au milieu de leur camp tu reçus la naissance,
Et lorsqu'après leur mort tu vins en ma puissance,
Leur haine, enracinée au milieu de ton sein,
T'avait mis contre moi les armes à la main;
Tu fus mon ennemi même avant que de naître,
Et tu le fus encor quand tu me pus connaître,
Et l'inclination jamais n'a démenti

Ce sang qui t'avait fait d'un contraire parti.
Autant que tu l'as pu, les effets l'ont suivie.
Je ne m'en suis vengé qu'en te donnant la vie;
Je te fis prisonnier pour te combler de biens;
Ma cour fut ta prison, mes faveurs tes liens;
Je te restituai d'abord ton patrimoine,
Je t'enrichis après des dépouilles d'Antoine;
Et tu sais que depuis, à chaque occasion,
Je suis tombé pour toi dans la profusion;
Toutes les dignités que tu m'as demandées,
Je te les ai sur l'heure et sans peine accordées;
Je t'ai préféré même à ceux dont les parents
Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs,
A ceux qui de leur sang m'ont acheté l'empire,
Et qui m'ont conservé le jour que je respire.
De la façon, enfin, qu'avec toi j'ai vécu,
Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.
Quand le Ciel me voulut, en rappelant Mécène,
Après tant de faveurs, montrer un peu de haine,
Je te donnai sa place en ce triste accident,
Et te fis, après lui, mon plus cher confident.
Aujourd'hui même encor, mon âme irrésolue
Me pressant de quitter ma puissance absolue,
De Maxime et de toi j'ai pris les seuls avis,
Et ce sont, malgré lui, les tiens que, j'ai suivis.
Bien plus ce même jour je te donne Emilie,
Le digne objet des voeux de toute l'Italie,
Et qu'ont mise si haut mon amour et mes soins,
Qu'en te couromant roi je t'aurais donné moins.
Tu t'en souviens, Cinna, tant d'heur et tant de gloire
Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire;
Mais, ce qu'on ne pourrait jamais s'imaginer,
Cinna, tu t'en souviens, et veux m'assassiner!

Tu tiens mal ta promesse;

Sieds-toi, je n'ai pas dit encor ce que je veux;
Tu te justifiras après, si tu le peux.

Ecoute, cependant, et tiens mieux ta parole.
Tu veux m'assassiner demain, au Capitole,

1 Heur altes Wort, woraus bonheur und malheur gebildet find. Sieds-toi von seoir, nur noch in wenigen Zeitformen üblich.

2

1

Pendant le sacrifice, et ta main, pour signal,
Me doit, au lieu d'encens, donner le coup fatal;
La moitié de tes gents doit occuper la porte,
L'autre moitié te suivre et te prêter main-forte.
Ai-je de bons avis ou de mauvais soupçons?
De touts ces meurtriers te dirai-je les noms?
Procule, Glabrion, Virginian, Rutile,

Marcel, Plaute, Lénas, Pompone, Albin, Icile,
Maxime, qu'après toi j'avais le plus aimé!
Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé:
Un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes
Que pressent de mes lois les ordres légitimes,
Et qui, désespérant de les plus éviter1,
Si tout n'est renversé, ne sauraient subsister.
Tu te tais maintenant, et gardes le silence,
Plus par confusion que par òbéissance.
Quel était ton dessein, et que prétendais-tu,
Après m'avoir au temple à tes pieds abattu?
Affranchir ton pays du pouvoir monarchique?
Si j'ai bien entendu tantôt ta politique,
Son salut désormais dépend d'un souverain
Qui, pour tout conserver, tiène tout en sa main,
Et si sa liberté te fesait entreprendre,
Tu ne m'eusses jamais empêché de la, rendre;
Tu l'aurais acceptée au nom de tout l'Etat,
Sans vouloir l'acquérir par un assassinat.
Quel était donc ton but? d'y régner à ma place?
D'un étrange malheur son destin la menace,
Si pour monter au trône et lui donner des lois,
Tu ne trouves dans Rome autre obstacle que
Si jusques à ce point son sort est déplorable,
Que tú sois après moi le plus considérable,
Et que ce grand fardeau de l'empire romain
Ne puisse, après ma mort, tomber mieux qu'en ta main.
Apprends à te connaître, et descends en toi-même:
On t'honore dans Rome, on te courtise, on t'aime,
Chacun tremble sous toi, chacun t'offre des voeux,
Ta fortune est bien haut, tu peux ce que tu veux;
Mais tu ferais pitié, même à ceux qu'elle irrite,
Si je t'abandonnais à ton peu de mérite.
Ose me démentir, dis-moi ce que tu vaux!
Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux,
Les rares qualités par où tu m'as dû plaire,
Et tout ce qui t'élève au-dessus du vulgaire.
Ma faveur fait ta gloire, et ton pouvoir en vient;
Elle seule t'élève, et seule te soutient;

moi;

de les plus éviter, Corneille läßt hier ne weg, es könnte als poetische Lizenz betrachtet werden, doch vermeiden es die neueren Dichter.

C'est elle qu'on adore, et non pas ta personne;
Tu n'as crédit ni rang qu'autant qu'elle t'en donne,
Et, pour te faire choir 1), je n'aurais aujourd'hui
Qu'à retirer la main qui seule est ton appui.
J'aime mieux toutefois céder à ton envie:
Règne, si tu le peux, aux dépens de ma vie.
Mais oses-tu penser que les Serviliens,

Les Cosses, les Metels, les Pauls, les Fabiens,
Et tant d'autres, enfin, de qui les grands courages
Des héros de leur sang sont les vives images,
Quittent le noble orgueil d'un sang si généreux
Jusqu'à pouvoir souffrir que tu règnes sur eux?
Parle, parle, il est temps.

(Cinna.)

Trouble et Agitation d'Auguste, sans cesse en butte aux Conspirations.
Ciel! à qui voulez-vous désormais que je fie

Les secrets de mon ame et le soin de ma vie?
Reprenez le pouvoir que vous m'avez commis,
Si donnant des sujets il ôte les amis;

Si tel est le destin des grandeurs souveraines,

Que leurs plus grands bienfaits n'attirent que des haines,
Et si votre rigueur les condamne à chérir

Ceux que vous animez à les faire périr.

Pour elles rien n'est sûr: qui peut tout doit tout craindre.
Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre.
Quoi! tu veux qu'on t'épargne, et n'as rien épargné.
Songe au fleuve de sang où ton bras s'est baigné;
De combien ont rougi les champs de Macédoine,
Combien en a versé la défaite d'Antoine,

Combien celle de Sexte; et revois tout d'un temps
Pérouse au sien noyée et touts ses habitants.
Remets dans ton esprit, après tant de carnages,
De tes proscriptions les sanglantes images,
Ou toi-même, des tiens devenu le bourreau,
Au sein de ton tuteur enfonças le couteau;

Et puis ose accuser le destin d'injustice,

Quand tu vois que les tiens s'arment pour ton supplice,
Et que, par ton exemple à ta perte guidés,

Ils violent des droits que tu n'as pas gardés!

Leur trahison est juste, et le Ciel l'autorise.
Quitte ta dignité comme tu l'as acquise;
Rends un sang infidèle à l'infidélité,

Et souffre des ingrats après l'avoir été.

Mais que mon jugement au besoin m'abandonne !
Quelle fureur, Cinua, m'accuse et te pardonne!

1 Choir nur noch im Infinitiv üblich: Quand l'arbre est près de choir il est temps qu'on le coupe (Barth, & Méry).

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