Page images
PDF
EPUB

De la Liberté politique dans ses Rapports avec la Littérature.

"Quoique la nature du beau soit immuable, la littérature n'est pas toujours la même. Elle suit la religion et le gouvernement, les révolutions lentes ou brusques, des moeurs, le mouvement des esprits, leurs affections inconstantes et leurs pentes diverses; et c'est ainsi qu'elle est l'expression accidentelle de la société! Entre les circonstances qui lui sont le plus favorables, la liberté politique doit sans doute être comptée au premier rang.. Il y a dans la liberté un profond et beau sentiment d'où jaillissent, comme de leur source naturelle, les grandes pensées, aussi bien que les grandes actions. Si ce sentiment n'était pas dans les esprits, envain la liberté serait écrite dans les lois, envain elle retentirait sans cesse dans les paroles et dans les formes du gouvernement; la littérature, desséchée dans sa racine, languirait; elle ne porterait que des fruits insipides. Et là où elle fleurit dans tout son éclat, assurons-nous au contraire que si la liberté n'est pas dans les lois, elle vit néanmoins dans les âmes, elle est présente aux esprits, qui la regrettent ou qui l'appelent. N'est-ce pas l'ancieme Rome qui respire dans les peintures de Tacite? Et sans sortir de notre belle littérature, le sentiment de la liberté a-t-il manqué à ceux qui en furent les pères, et qui en sont encore les maîtres? A Descartes, quand il affranchissait à jamais la raison de l'Autorité? A Corneille, quand il étalait si pompeusement sur notre scène naissante, avec la fierté des maîtres du monde, leur politique et leurs passions républicaines? A Pascal, quand il vengeait si vivement la morale et le bon sens contre de puissants adversaires? Les saints droits de l'humanité étaient-ils ignorés de Racine, ou parlaient-ils faiblement à son âme généreuse, quand, par la bouche sacrée d'un pontife, il dictait à un enfant-roi ces sublimes leçons, que les meilleurs institutions ne surpasseront pas? Et si la chaire est la gloire immortelle des lettres françaises, n'est ce pas aussi parceque l'orateur sacré est soutenu, élevé par l'autorité de son ministère et, que, pour l'inspiration, l'autorité est la même chose que la liberté?" (Discours de Réception à l'Académie française.)

XXIII. DE SALVANDY.

Le Poète et l'Expédition d'Egypte.

Cette flotte qui se préparait à Toulon, cette expédition lointaine, le secret dont elle était environnée, ces savants qui s'enrôlaient avec les marins et les soldats, le nom du jeune chef, les bruits de mystère, tout était de nature à séduire l'esprit d'un poète. En quelque lieu que se portât la flotte, Parseval apercevait de belles études à faire, des voyages, une nature nouvelle,

une récolte d'images, d'impressions et de souvenirs. On peut sans lui faire tort, penser qu'il fut peut-être moins entrainé alors par l'expédition elle même que par la seule envie de suivre dans le pays de leurs fictions les poètes qu'il s'étudiait à traduire, et que, tout en s'embarquant avec Bonaparte, il voguait encore, dans sa pensée, soit avec Homère vers la Grèce, soit avec Camoëns vers l'Océan, soit vers l'Egypte et la Palestine, avec le Tasse et les héros de la Jérusalem.

Quelle fortune pour un poète de se trouver partie de cette expedition merveilleuse: d'assister à cette grande épopée en action, de voir se faire devant soi la poésie, de la saisir sur le fait: S'embarqueur avec Bonaparte, traverser avec lui la belle Méditerrannée, au milieu de ce cortège de cinq cents voiles, partager l'émotion de son coeur en touchant le sol de l'Egypte, et les palpitations de toute une armée à la vue du Nil, d'Alexandrie, et du drapeau tricolore sur la pyramide de Chéops! Le désert, les moeurs nouvelles, les bivouacs sous les palmiers, les privations et la gaîté des soldats, les aventures diverses des champs et des flottes, tout voir, tout connaître, tout partager, dans la compagnie des Kléber, des Désaix, de Bonaparte lui-même, à sa suite et à sa table! et après avoir rempli son coeur de tant d'inspirations héroïques, après avoir été témoin d'Aboukir et du Mont Thabor, après avoir suivi toute entière cette grande lutte de l'Orient et de l'Europe, de la civilisation et de la barbarie, revenir sur le vaisseau même de Bonaparte, et comme présenté par lui à la France pour transmettre ce grand poëme à la postérité! fortune fut celle de Parseval Grandmaison."

Cette

XXIV. SAND (Madame.)

Werfe: Indiana; Valentine; Jacques; Simon; Léone-Léoni; André; Rose et Blanche &c., Romane.

Un Paysage dans le Berry.

„La partie sud-est du Berry renferme quelques lieues d'un pays singulièrement pittoresque. La grande route qui le traverse dans la direction de Paris à Clermont étant bordée des terres les plus habitées, il est difficile au voyageur de soupçonner la beauté des sites qui l'avoisinent. Mais à celui qui, cherchant l'ombre et le silence, s'enfoncerait dans un de ces chemins tortueux et encaissés qui débouchent sur la route à chaque instant, bientôt se révèleraient de frais et calmes paysages, des prairies d'un vert tendre, des ruisseaux mélancoliques, des massifs d'aunes et de frênes, toute une nature suave et pastorale. En vain chercherait-il dans un rayon de plusieurs lieues une maison d'ardoise et de moellons. A peine une mince fumée bleue, venant à tremblotter derrière le feuillage, lui annoncerait

le voisinage d'un toit de chaume, et s'il apercevait derrière les noyers de la colline la flèche d'une petite église, au bout de quelques pas, il découvrirait une campanille de tuiles rongées par la mousse, douze maisonnettes éparses, entourées de leurs vergers et de leurs chenevières, un ruisseau, avec son pont formé de trois soliveaux, un cimetière d'un arpent carré, fermé par une haie vive, quatre ormeaux en quinquonce et une tour ruinée. C'est ce qu'on appèle un bourg dans le pays.

Rien n'égale le repos de ces campagnes ignorées. Là n'ont pénétré ni le luxe, ni les arts, ni la manie savante des recherches, ni le monstre à cent bras qu'on appele industrie. Les révolutions s'y sont à peine fait sentir, et la dernière guerre dont le sol garde une imperceptible trace est celle des huguenots contre les catholiques: encore la tradition en est restée si incertaine et si pâle que, si vous interrogiez les habitants, ils vous répondraient que ces choses se sont passées il y a au moins deux mille ans; car la principale vertu de cette race de cultiva— teurs, c'est l'insouciance en matière d'antiquités. Vous pouvez parcourir ses domaines, prier devant ses saints, boire à ses puits, sans jamais courir le risque d'entendre la chronique féodale obligée, ou la légende miraculeuse de rigueur. Le caractère grave et silencieux du paysan n'est pas un des moindres charmes de cette contrée. Rien ne l'émeut, rien ne l'étonne, rien ne l'attire. Votre présence fortuite dans son sentier ne lui fera pas même détourner la tête, et si vous lui demandez le chemin d'une ville ou ferme, toute sa réponse consistera dans un sourire de complaisance, comme pour vous prouver qu'il n'est pas dupe de votre facétie. Le paysan du Berry ne conçoit pas qu'on marche sans bien savoir où l'on va. A peine son chien daignera-t-il aboyer après vous; ses enfants se cacheront derrière la haie pour échapper à vos regards ou à vos questions, et, le plus petit d'entre eux, s'il n'a pu suivre ses frères en deroute, se laissera tomber de peur dans le fossé en criant de toutes ses forces. Mais la figure la plus impassible sera celle d'un grand boeuf blanc, doyen inévitable de touts les pâturages, qui, vous regardant fixement du milieu du buisson, semblera tenir en respect toute la famille moins grave et moins bien veillante des taureaux effarouchés. (Valentine.)

Elégies.

XXV. SOUMET (Alexandre).

Soumet, Mitglied der Akademie.

Werke: Clytemnestre; Saül; Jeanne d'Arc; Elisabeth de France;

La Pauvre Fille.

J'ai fui ce pénible sommeil

Qu'aucun songe heureux n'accompagne;

J'ai devancé sur la montagne.
Les premiers rayons du soleil

S'éveillant avec la nature,

Le jeune oiseau chantait sur l'aubépine en fleurs,
Sa mère lui portait la douce nourriture...
Mes yeux se sont mouilles de pleurs.

Oh pourquoi n'ai-je pas de mère?

Pourquoi ne suis-je pas semblable au jeune oiseau,
Dont le nid se balance aux branches de l'ormeau?
Rien ne m'appartient sur la terre,

Je n'eus pas même de berceau,
Et je suis un enfant trouvé sur une pierre,
Devant l'église du hameau.

Loin de mes parents exilée,

De leurs embrassements j'ignore la douceur,
Et les enfants de la vallée

Ne m'appèlent jamais leur soeur!
Je ne partage pas les jeux de la veillée;
Jamais sous son toit de feuillée

Le joyeux laboureur ne m'invite à m'assoir,
Et de loin je vois sa famille,

Autour du sarment qui petille

Chercher sur ses genoux les caresses du soir.

Vers la chapelle hospitalière,

En pleurant j'adresse mes pas,
La seule demeure ici-bas

Ou je ne sois pas étrangère,

La seule devant moi qui ne se ferme pas.

Souvent je contemple la pierre

Où commencèrent mes douleurs;
J'y cherche la trace des pleurs,

Qu'en m'y laissant, peut-être y repandit ma mère.
Souvent aussi mes pas errants

Parcourent des tombeaux l'asile solitaire.

Mes pour moi les tombeaux sont touts indi érents;
La pauvre fille est sans parents

Au milieu des cercueils ainsi que sur la terre.
J'ai pleuré quatorze printemps.
Loin des bras qui m'ont repoussée.

Reviens, ma mère, je t'attends
Sur la pierre où tu m'as laissée!

XXVI. THIERS (M. A.)

Thiers, geboren 1798 zu Air in der Provence; Mitglied der Akademie. Werke: Histoire de la Révolution Française; Histoire du Consulat et de L'Empire (noch nicht erschienen, wird gedruckt.)

Marat assassiné par Charlotte Corday.

... tandis que les féderalistes succombaient de touts côtés, un dernier accident allait exciter contre eux les plus grandes fureurs.

A cette époque vivait dans le Calvados une jeune fille, âgée de vingt-cinq anx, réunissant à une grande beauté un caractère ferme et indépendant. Elle se nommait Charlotte Corday d'Armans. Ses moeurs étaient pures, mais son esprit était actif et inquiet. Elle avait quitté la maison paternelle pour aller vivre avec plus de liberté chez une de ses amies à Caen. Son père avait autrefois, par quelques écrits, reclamé les priviléges de sa province, à l'époque où la France était réduite encore à réclamer des priviléges de villes et de provinces. La jeune Corday s'était emflammée pour la cause de la révolution, comme beaucoup de femmes de son temps, et, de même que madame Roland elle était énivrée d'une république soumise aux lois et féconde en vertus. Les girondins lui paraissaient vouloir réaliser son rève; les montagnards semblaient seuls y apporter des obstacles; et, à la nouvelle du 31 mai, elle résolut de venger ses orateurs. La guerre du Calvados commençait; elle crut que la mort du chef des anarchistes, concourant avec l'insurrection des départements, assurerait la victoire de ces derniers; elle résolut donc de faire un grand acte de devouement, et de consacrer à sa patrie une vie dont un époux, des enfants, une famille, ne faisaient ni l'occupation ni le charme. Elle trompa son père, et lui écrivit que, les troubles de la France devenant touts les jours plus effrayants, elle allait chercher le calme et la sécurité en Angleterre. Tout en écrivant cela, elle s'acheminait vers Paris. Avant son départ, elle voulut voir à Caen les députés, objets de son enthousiasme et de son dévouement. Pour parvenir jusqu'à eux, elle imagina un prétexte, et demanda à Barbaroux une lettre de recommandation aupres du ministre de l'interieur, ayant, disait elle, des papiers à réclamer pour une amie, ancienne chanoinesse. Barbaroux lui en donna une pour le député Duperret, ami de Garat. Ses collègues qui la virent comme lui, et comme lui l'entendirent exprimer sa haine contre les montagnards, et son enthousiasme pour une république pure et régulière, furent frappés de sa beauté et touchés de ses sentiments. Touts ignoraient ses projets.

Arrirée à Paris, Charlotte Corday songea à choisir sa victime. Danton et Robespierre étaient assez célèbres dans la Montagne pour mériter ses coups, mais Marat était celui qui avait paru le plus effrayant aux provinces, et qu'on regardait comme le chef des anarchistes. Elle voulait d'abord frapper Marat au

« PreviousContinue »