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l'appui de touts les siens, lui avait donné ce titre à son lit de mort, en recommandant à l'aîné (Joseph) de ne pas l'oublier; ce qui fit dire ensuite à Napoléon que c'était un vrai desheritage, la scène de Jacob et d'Esau.

Il dévait cette distinction remarquable au caractère grave et réfléchi, au sens droit et à la haute raison qu'il avait montrée de bonne heure.

Placé en 1777, à l'école militaire de Brienne, il s'y appliqua surtout à l'étude de l'histoire, de la géographie et des sciences exactes. Il y eut pour répétiteur Pichegru, et pour camarade M. de Bourrienne. Il réussit principalement dans les Mathématiques. Son goût pour les matières politiques fut des lors remarqué. Passionné pour l'indépendance de sa patrie, il voua une espéce de culte à Paoli, qu'il défendait avec chaleur contre l'opinion même de son père.

Il n'est point vrai qu'il fut au collège, comme on l'a imprimé souvent, solitaire et taciturne, sans égaux et sans amis. Il n'est pas plus exact, quoi qu'en ait dit M. de Bourrienne, en courtisan disgracié, qu'il se montrât aigre dans ses propos et très peu aimant. C'est sa gravité précoce et ses manières brusques et sévères qui l'ont fait accuser à tort de misanthropie et de sécheresse d'âme. Napoléon était au contraire naturellement doux et affectueux. Ce ne fut qu'à l'époque de sa puberté qu'il se manifesta quelque changement dans son caractère, et qu'il devint sombre et morose. Tel est du moins le témoignage qu'il a porté sur lui-même dans ses dictées à Sainte-Hélène.

On a prétendu aussi que son goût pour la rétraite, et son penchant aussi exclusif que précoce pour l'art militaire, l'avaient fait se relégue en quelque sorte dans son jardin, et s'y fortifier contre les attaques de ses camarades. L'un de ces derniers s'est chargé de démentir cette histoire, et de raconter ce qui a pu y donner lieu; c'est la fameuse anecdote de la forteresse construite en neige, et assiégée et défendue avec des boules de neige.

Au

Dans l'hiver de 1783 à 1784, dit-il, si mémorable par la quantité de neige qui s'amoncelait sur les routes, dans les cours, etc., Napoléon fut singulièrement contrarié; plus de petits jardins, plus de ces isolements heureux qu'il recherchait. moment de ses récréations, il était forcé de se mêler à la foule de ses camarades, et de se promener avec eux en long et en large dans une salle immense. Pour s'arracher à cette monotonie de promenade Napoléon sut remuer toute l'école, en fesant sentir à ses camarades qu'ils s'amuseraient bien autrement, s'ils voulaient, avec des pelles, se frayer différents passages au milieu des neiges, faire des ouvrages à cornes, creuser des tranchées, élever des parapets, des cavaliers, etc.- Le premier travail fini nous pourrons, dit-il, nous diviser en pelotons, faire une espèce de siège,

et, comme l'inventeur de ce nouveau plaisir, je me charge de diriger les attaques.

La troupe joyeuse accueillit ce projet avec enthousiasme; il fut exécuté, et cette petite guerre simulée dura l'espace de quinze jours; elle ne cessa que lorsque des graviers ou de petites pierres, s'étant mêlés à la neige dont on se servait pour faire des boules, il en résulta que plusieurs pensionnaires, soit assiégeants, soit assiégés, furent assez grièvement blessés. Je me rappèle même que je fus un des élèves les plus maltraités par cette mitraille.

Pour remuer ainsi toute l'école, il fallait bien que le jeune Bonaparte, malgré ses habitudes de méditation solitaire, eût conservé une certaine influence sur la masse des élèves; et qu'il n'eût pas donné à ses relations avec eux le caractère de sauvagerie, de rudesse ou d'aigreur qui on s'est plu à lui attribuer, sur la foi de quelques biographes prévenus ou mal informés.

XVII. LAMARTINE (Alphonse de).

Lamartine, Mitglied der Akademie, geboren im Mâcon 1792.
Werke: Méditations Poétiques; Jocelin; Voyage en Orient; La

Chute d'un Ange; &c.

Dieu.

Cet astre universel, sans déclin, sans aurore,

C'est Dieu; c'est ce grand tout, qui soi-même s'adore!
Il est; tout est en lui: l'immensité, les temps,

De son être infini sont les purs éléments;
L'espace est son séjour, l'éternité son âge;
Le jour est son regard, le monde est son image;
Tout l'univers subsiste à l'ombre de sa main;
L'être à flots éternels découlant dans son sein,
Comme un fleuve nourri par cette source immense,
S'en échappe, et revient finir où tout commence.
Sans bornes, comme lui, ses ouvrages parfaits
Bénissent en naissant la main qui les a faits.
Il peuple l'infini chaque fois qu'il respire;
Pour lui, vouloir c'est faire, exister c'est produire :
Tirant tout de soi seul, rapportant tout à soi,
Sa volonté suprême est sa suprême loi.
Mais cette volonté, sans ombre et sans' faiblesse,
Est à la fois puissance, ordre, équité, sagesse;
Sur tout ce qui peut être il l'exerce à son gré:
Le néant jusqu'à lui s'élève par degré:
Intelligence, amour, force, beauté, jeunesse,
Sans s'épuiser jamais il peut donner sans cesse,
Et comblant le néant de ses dons précieux,
Des derniers rangs de l'être il peut tirer des dieux.
Mais ces dieux de sa main, ces fils de sa puissance,

Mesurent d'eux à lui l'éternelle distance,
Tendant par leur nature à l'être qui les fit,
Il est leur fin à touts, et lui seul se suffit.

Voilà, voilà le Dieu que tout esprit adore,
Qu'Abraham a servi, que rêvait Pythagore,
Que Socrate annonçait, qu'entrevoyait Platon;
Ce Dieu que l'univers révèle à la raison,
Que la justice attend, que l'infortune espère,
Et que le Christ enfin vint montrer à la terre.
Ce n'est plus là ce Dieu par l'homme fabriqué,
Ce Dieu, par l'imposture à l'erreur expliqué,
Ce Dieu, défiguré par la main des faux prêtres,
Qu'adoraient en tremblant nos crédules ancêtres.
Il est seul, il est un, il est juste, il est bon:
La terre voit son oeuvre, et le ciel sait son nom!

Heureux qui le connaît, plus heureux qui l'adore!
Qui, tandis que le monde ou l'outrage ou l'ignore,
Seul, aux rayons pieux des lampes de la nuit,
S'élève au sanctuaire où la foi l'introduit,
Et consumé d'amour et de reconnaissance,
Brûle, comme l'encens, son âme en sa présence!
Mais pour monter à lui, notre esprit abattu
Doit emprunter d'en haut sa force et sa vertu.
Il faut voler au ciel sur des ailes de flamme:
Le désir et l'amour sont les ailes de l'âme.

L'Hymne de la Nuit.

Le jour s'éteint sur tes collines,
O terre, où languissent mes pas!

Quand pourrez-vous, mes yeux, quand pourrez-vous, hélas!
Saluer les splendeurs divines

Du jour qui ne s'éteindra pas?

Sont-ils ouverts pour les ténèbres
Ces regards altérés du jour?

De son éclat, ô Nuit! à tes ombres funèbres
Pourquoi passent-ils tour-à-tour?

Mon âme n'est point lasse encore
D'admirer l'oeuvre du Seigneur;

Les élans enflammés de ce sein qui l'adore
N'avaient pas épuisé mon coeur !

Dieu du jour! Dieu des nuits! Dieu de toutes les heures! Laisse-moi m'envoler sur les feux du soleil!

Où va vers l'Occident ce nuage vermeil?

Il va voiler le seuil de tes saintes demeures
Où l'oeil ne connaît plus la nuit ni le sommeil!
Cependant ils sont beaux à l'oeil de l'espérance
Ces champs du firmament ombragés par la nuit;
Mon Dieu! dans ces déserts mon oeil retrouve et suit
Les miracles de ta présence!

Ces choeurs étincelants que ton doigt seul conduit,
Ces océans d'azur où leur foule s'élance;

Ces fanaux allumés de distance en distance,

Cet astre qui paraît, cet astre qui s'enfuit,

Je les comprends, Seigneur! tout chante, tout m'instruit
Que l'abîme est comblé par ta magnificence,
Que les cieux sont vivants, et que ta Providence
Remplit de sa vertu tout ce qu'elle a produit!
Ces flots d'or, d'azur, de lumière,

Ces mondes nébuleux que l'oeil ne compte pas,
O mon Dieu! c'est la poussière
Qui s'élève sous des pas!
L'Océan se joue

Au pieds de son roi;
L'aquilon secoue
Ses ailes d'effroi;
La foudre te loue
Et combat pour toi;
L'éclair, la tempête
Couronnent ta tête
D'un triple rayon;
L'aurore t'admire,
Le jour te respire,
La nuit te soupire,
Et la terre expire

D'amour à ton nom!

Et moi, pour te louer, Dieu des soleils, qui suis-je ? Atôme dans l'immensité,

Minute dans l'éternité,

Ombre qui passe et qui n'a plus été,

Peux-tu m'entendre sans prodige?
Ah! le prodige est ta bonté!

Je ne suis rien, Seigneur, mais ta soif me dévore;
L'homme est néant, mon Dieu, mais ce néant t'adore,
Il s'élève par son amour;

Tu ne peux mépriser l'insecte qui t'honore,
Tu ne peux repousser cette voix qui t'implore,
Et qui vers ton divin séjour,

Quand l'ombre s'évapore.

S'élève avec l'aurore,
Le soir gémit encore,
Renaît avec le jour.

Oui, dans ces champs d'azur que ta splendeur inonde,
Où ton tonnerre gronde,

Où tu veilles sur moi,

Ces accents, ces soupirs animés par la foi,

Vont chercher, d'astre en astre, un Dieu qui me réponde,
Et d'échos en échos, comme des voix sur l'onde,
Roulant de monde en monde,

Retentir jusqu'à toi.

(Harmonies poétiques.)

XVIII. LAMENNAIS (Robert Felicité de).

Lamennais, geboren den 19. Juni 1782, Priester der katholischen Kirche. Werke: Essais sur l'Indifférence; Paroles d'un Croyant; Affaires de Rome; Le Livre du Peuple; De l'Esclavage et de la Liberté; &c.

Etablissement du Christianisme.

On peut juger de la bonne foi des écrivains qui ont prétendu que le Christianisme s'était établi naturellement. En effet, il n'eut à surmonter que les intérêts; les passions et les opinions. Armé d'une croix de bois, on le voit tout-à-coup s'avancer au milieu des joies enivrantes et des religions dissolues d'un monde vieilli dans la corruption. Aux fêtes brillantes du paganisme, aux gracieuses images d'une mythologie enchanteresse, à la commode licence de la morale philosophique, à toutes les séductions des arts et des plaisirs, il oppose les pompes de la douleur, de graves et lugubres cérémonies, les pleurs de la pénitence, des menaces terribles, de redoutables mystères, le faste effrayant de la pauvreté, le sac, la cendre et touts les symboles d'un dépouillement absolu et d'une consternation profonde; car c'est là tout ce que l'univers païen aperçut d'abord dans le Christianisme. Aussitôt les passions s'élancent avec fureur contre l'ennemi qui se présente pour leur disputer l'empire. Les peuples, à grands flots, se précipitent sous leur bannière; l'avarire y conduit les prêtres des idoles, l'orgueil y amène les sages, la politique les empereurs. Alors commence une guerre effroyable; ni l'âge, ni le sexe ne sont épargnés; les places publiques, les routes, les champs même, et jusqu'aux lieux les plus déserts se couvrent d'instruments de torture, de chevalets, de bûchers, d'échafauds, les jeux se mêlent au carnage; de toutes parts on s'empresse pour jouir de l'agonie et de la mort des ignorants qu'on égorge; et ce cri barbare; Les chrétiens aux lions," fait tressaillir de joie une multitude ivre de sang. Mais dans ces épouvantables holocaustes, que l'on se hâte d'offrir à des divinités expirantes, il faut que chacun ait ses victimes choisies; et

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