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Sentant son coeur faillir, elle baissa la tête,
Et se prit à pleurer.

Ah, pleure, fille infortunée!
Ta jeunesse va se flétrir,

Dans sa fleur trop tôt moisonnée
Adieu, beau ciel, il faut mourir.

Ainsi qu'une source affaiblie,

Près du lieu même où naît son cours
Meurt en prodiguant ses secours

Au berger qui passe et l'oublie.

Ainsi dans l'âge des amours,
Finit ta chaste destinée,

Et tu péris abandonnée

Par ceux dont tu sauvas les jours.

Tu ne verras plus tes riantes montagnes,
Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs,
Ét ta chaumière et tes compagnes

Et ton père expirant sous le poids des douleurs.

Chevaliers, parmi vous qui combattra pour elle?
N'osez-vous entreprendre une cause si belle?
Quoi! vous restez muets! aucun ne sort des rangs!
Aucun pour la sauver ne descend dans la lice!

Puisqu'un forfait si noir les trouve indifférents,
Tonnez, confondez l'injustice,

Cieux, obscurcissez-vous de nuages épais;
Eteignez sous leurs flots les feux du sacrifice,
Ou guidez au lieu du supplice,

A défaut de tonnerre, un chevalier français.

Après quelques instants d'un horrible silence,
Tout à coup le feu brille, il s'irrite, il s'élance. . .
Le coeur de la guerrière alors s'est ranimé.
A travers les vapeurs d'une fumée ardente,
Jeanne encor menaçante,

Montre aux Anglais son bras à demi consumé?
Pourquoi reculer d'épouvante,

Anglais? son bras est désarmé;

La flamme l'environne, et sa voix expirante Murmure encore: 0 France! ô mon roi bien-aimé! Que faisait-il ce roi? Plongé dans la mollesse, Tandis que le malheur réclamait son appui,

L'ingrat, il oubliait aux pieds d'une maîtresse
La vierge qui mourrait pour lui!

Ah qu'une page si funeste
De ce règne victorieux,

Pour n'en pas obscurcir le reste

S'efface sous les pleurs qui tombent de nos yeux!
Qu'un monument s'elève aux lieux de ta naissance,
O toi, qui des vainqueurs renversas les projets !
La France y portera son deuil et ses regrets,
Sa tardive reconnaissance;

Elle y viendra gémir sous de jeunes cyprès;
Puissent croître avec eux ta gloire et sa puissance!

Que sur l'airain funèbre on grave des combats,
Des étendards anglais fuyant devant tes pas,
Dieu vengeant par tes mains la plus juste des causes.
Venez, jeunes beautés; venez, braves soldats,
Sémez sur son tombeau les lauriers et les roses!
Qu'un jour le voyageur en parcourant ces bois,
Cueille un rameau sacré, l'y dépose et s'écrie:
"A celle qui sauva le trône et la patrie,

"Et n'obtint qu'un tombeau pour prix de ses exploits!"
Notre armée au cercueil eut mon premier hommage;
Mon luth chante aujourd'hui les vertus d'un autre âge!
Ai-je trop présumé de ses faibles accents?

Pour célébrer tant de vaillance,

Sans doute il n'a rendu que des sons impuissants;
Mais, poète et Français, j'aime à vanter la France.
Qu'elle accepte entribut de périssables fleurs.
Malheureux de ses maux et fier de ses victoires,
Je dépose à ses pieds ma joie ou mes douleurs;
J'ai des chants pour toutes ses gloires,
Des larmes pour touts ses malheurs.

(Cinquième Messénienne.)

Le Jeune Diacre ou La Grèce Chrétienne. (A Mr. Pouqueville.)

De Messène au cercueil fille auguste et plaintive,
Muse des grands revers et des nobles douleurs,
Desertant ton berceau, tu pleuras nos malheurs;
Comme la Grèce alors la France était captive...
De Messène au cercueil fille auguste et plaintive,
Reviens sur ton berceau, reviens verser des pleurs.
Entre le mont Évan et le cap de Ténare.
La mer baigne les murs de la triste Coron,
Coron, nom malheureux, nom moderne et barbare,
Et qui de Colonis détrôna le beau nom.
Les Grecs ont tout perdu: la langue de Platon,

21

La palme des combats, les arts et leurs merveilles,
Tout, jusqu'aux noms divins qui charmaient nos oreilles.

Ces murs battus des eaux, à demi renversés
Par ce choc des boulets que Venise à lancés,
C'est Coron. Le croissant en dépeupla l'enceinte ;
Le Turc y règne en paix au milieu des tombeaux
Voyez-vous ces turbans errer sur les créneaux?
Du profane étendard qui chassa la croix sainte,
Voyez-vous, sur les tours, flotter les crins mouvants?
Entendez vous, de loin, la voix de l'infidèle,

Qui se mêle au bruit sourd de la mer et des vents?
Il veille, et le mousquet dans sa main étincelle.

Au bord de l'horizon le soleil suspendu,
Regarde cette plage, autrefois florissante,

Comme un amant en deuil, qui, pleurant son amante,
Cherche encore dans ses traits l'éclat qu'ils ont perdu,
Et trouve, après la mort, sa beauté plus touchante.
Que cet astre, à regret, s'arrache à ses amours!
Que la brise du soir est douce et parfumée!

Que des feux d'un beau jour la mer brille enflammée!
Mais pour un peuple esclave il n'est plus de beaux jours.

Qu'entends-je? c'est le bruit de deux rames pareilles,
Ensemble s'élevant, tombant d'un même effort,
Qui de leur chute égale ont frappé mes oreilles.
Assis dans un esquif, l'oeil tourné vers le bord,
Un jeune homme, un chrétien, glisse sur l'onde amère.
Il remplit dans le temple un humble ministère:
Ses soins parent l'autel: debout sur les degrés,
Il fait fumer l'encens, répond aux mots sacrés,
Et présente le vin durant le saint mystère.

Les rames de sa main s'échappent à la fois;
Un luth qui les remplace, a frémi sous ses doigts.
Il chante... Ainsi chantaient David et les prophètes;
Ainsi, troublant le coeur des pâles matelots,
Un cri sinistre et doux retentit sur les flots,
Quand l'Alcyon gémit, au milieu des tempêtes.

"Beaux lieux, où je n'ose m'asseoir,
Pour vous chanter, dans ma nacelle,
„Au bruit des vagues, chaque soir,
"J'accorde ma lyre fidèle;

„Et je pleure sur nos revers,

"

„Comme les Hébreux dans les fers,
Quand Sion descendit du trône,
Pleuraient au pied des saules verts,
Près les fleuves de Babylone.

Mais dans les fers, Seigneur, ils pouvaient t'adorer; „Du tombeau de leur père ils parlaient sans alarmes; "Souffrant ensemble, ensemble ils pouvaient espérer; Il leur était permis de confondre leurs larmes, Et je m'exile pour pleurer.

„Le ministre de ta colère
„Prive la veuve et l'orphelin
„Du dernier vêtement de lin

Qui sert de voile à leur misère.
De leurs mains il reprend encor,
Comme un vol fait à son trésor,
Un épi glané dans nos plaines;
„Et nous ne buvons qu'à prix d'or
"L'eau qui coule de nos fontaines.

„De l'or! ils l'ont ravi sur nos autels en deuil;
Ils ont brisé des morts la pierre sépulcrale,
Et de la jeune épouse écartant le linceuil,
Arraché de son doigt la bague nuptiale,
"Qu'elle emporta dans le cercueil.

"O nature, ta voix si chère
S'éteint dans l'horreur du danger;
"Sans accourir pour le venger,
Le frère voit frapper son frère;
„Aux tyrans qu'il n'attendait pas,
"Le veillard livre le repas
"Qu'il a dressé pour sa famille ;
„Et la mère, au bruit de leurs pas,
Maudit la beauté de sa fille.

„Le lévite est en proie à leur férocité;

Ils flétrissent la fleur de son adolescence, „Ou, si d'un saint courroux son coeur s'est révolté, „Chaste victime, il tombe avec son innocence Sous le bâton ensanglanté!

„Les rois, quand il faut nous défendre,
,,Sont avares de leurs soldats.

,,Ils se disputent des états,

"Des peuples, des cités en cendre;
„Et tandis que, sous les couteaux,
Le sang chrétien, à longs ruisseaux,
„Inonde la terrre où nous sommes:
,,Comme on partage des troupeaux,
"Les rois se partagent des hommes.

„Un récit qui s'efface, où quelques vains discours,
„A des indifférents parlent de nos misères,
„Amusent de nos pleurs l'oisiveté des cours:

„Et nous sommes chrétiens, et nous avons des frères, ,,Et nous expirons sans secours !

L'oiseau des champs trouve un asile
Dans le nid qui fut son berceau,
"Le chevreuil sous un arbrisseau,
„Dans un sillon le lièvre agile;
„Effrayé par un léger bruit
„Le ver qui serpente et s'enfuit
,,Sous l'herbe ou la feuille qui tombe,
,,Echappe au pied qui le poursuit...
Notre asile à nous, c'est la tombe!

„Heureux qui meurt chrétien! Grand Dieu, leur cruauté Veut convertir les coeurs par le glaive et les flammes, „Dans le temple où tes saints prêchaient la vérité, „Où de leur bouche d'or descendaient dans nos ames L'espérance et la charité.

"Sur ce rivage, où des idoles
S'éleva l'autel réprouvé,
„Ton culte pur s'est élevé
„Des semences de leurs paroles.
Mais cet arbre, enfant des déserts,
"Qui doit ombrager l'univers,
„Fleurit pour nous sur des ruines,
Ne produit que des fruits amers,
„Et meurt tranché dans ses racines.

„O Dieu, la Grèce libre en ses jours glorieux, ,,N'adorait pas encore ta parole éternelle,

,,Chrétienne, elle est aux fers, elle invoque les cieux. „Dieu vivant, seul vrai Dieu, feras-tu moins pour elle. "Que Jupiter et ses faux dieux ?"

Il chantait, il pleurait, quand d'une tour voisine
Un musulman se lève, il court, il est armé.
Le turban du soldat, sur son mousquet s'incline,
L'étincelle jaillit, le salpêtre a fumé,

L'air siffle, un cri s'entend... l'hymne pieux expire.
Ce cri, qui l'a poussé? vient il de ton esquif?
Est-ce toi qui gémis, Lévite? est-ce ta lyre
Qui roule de tes mains avec ce bruit plaintif?
Mais de la nuit déjà tombait le voile sombre;
La barque, se perdant sous un épais brouillard,

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