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2. Discours.

Imprécations de Palmyre contre Mahomet
Qu'entends-je? quelles lois, ô Ciel! et quels bienfaits!
Imposteur teint de sang, que j'abhorre jamais,
Bourreau de touts les miens, va, ce dernier outrage
Manquait à ma misère, et manquait à ta rage.
Le voilà donc, grand Dieu! ce prophète sacré,
Ce roi que je servis, ce dieu que j'adorai!
Monstre, dont les fureurs et les complots perfides
De deux coeurs innocents ont fait deux parricides;
De ma faible jeunesse infâme séducteur,

Tout souillé de mon sang, tu prétends à mon coeur!
Mais tu n'as pas encore assuré ta conquête;
Le voile est déchiré, la vengeance s'apprête.
Entends-tu ces clameurs? entends-tu ces éclats?
Mon père te poursuit des ombres du trépas.
Le peuple se soulève; on s'arme en ma défense;
Leurs bras vont à ta rage arracher l'innocence.
Puissé-je de mes mains te déchirer le flanc,

Voir mourir touts les tiens, et nager dans leur sang!
Puissent la Mecque ensemble, et Médine et l'Asie,
Punir tant de fureur et tant d'hypocrisie!

Que le monde par toi séduit et ravagé,
Rougisse de ses fers, les brise et soit vengé!

Que ta religion, que fonda l'imposture,

Soit l'éternel mépris de la race future!

Que l'enfer, dont tes cris menaçaient tant de fois
Quiconque osait douter de tes indignes lois,
Que l'enfer, que ces lieux de douleur et de rage
Pour toi seul préparés, soient ton juste partage!
Voilà les sentiments qu'on doit à tes bienfaits,
L'hommage, les serments, et les voeux que je fais!

Lusignan à sa fille.

(Mahomet.)

Ma fille, tendre objet de mes dernières peines,

Songe au moin, songe au sang qui coule dans tes veines;
C'est le sang de vingt rois, touts chrétiens comme moi;
C'est le sang des héros, défenseurs de ma loi;

Cest le sang des martyrs... O fille encore trop chère!
Connais-tu ton destin? Sais-tu qu'elle est ta mère?
Sais-tu bien qu'à l'instant que son flanc mit au jour
Ce triste et dernier fruit d'un malheureux amour,

Je la vis massacrer par la main forcenée,

Par la main des brigands à qui tu t'es donnée?

Tes frères, ces martyrs égorgés à mes yeux,

T'ouvrent leurs bras sanglants tendus du haut des cieux, Ton Dieu que tu trahis, ton Dieu que tu blasphèmes,

Pour toi, pour l'univers, est mort en ces lieux mêmes;
En ces lieux où mon bras le servit tant de fois,
En ces lieux où son sang te parle par ma voix.
Vois ces murs, vois ce temple envahi par tes maîtres;
Tout annonce le Dieu qu'ont vengé nos ancêtres;
Tourne les yeux; sa tombe est près de ce palais;
C'est ici la montagne où, lavant nos forfaits,
Il voulut expirer sous les coups de l'impie;
C'est là que de sa tombe il rappela sa vie;
Tu ne saurais marcher dans cet auguste lieu,
Tu n'y peux faire un pas, sans trouver ton Dieu ;
Et tu n'y peux rester sans denier ton père,
Ton honneur qui te parle, et ton Dieu qui t'éclaire.
Je te vois dans mes bras et pleurer et frémir;
Sur ton front pâlissant Dieu met le répentir;
Je vois la vérité dans ton coeur descendue;
Je retrouve ma fille, après l'avoir perdu;
Et je reprends ma gloire et ma félicité,
En dérobant mon sang à l'infidélité.

La Conscience.

(Zaïre.)

Pourquoi l'Etre suprême

Mit-il dans notre coeur, à l'intérêt porté,

Un instinct qui nous lie à la société?

Les lois que nous fesons, fragiles, inconstantes,
Ouvrages du moment, sont partout différentes.
Sous le fer du méchant le juste est abattu;

Eh bien! conclurez-vous qu'il n'est point de vertu?
Touts les divers fléaux dont le poids nous accable,
Du choc des éléments effet inévitable,

Des biens que nous goûtons corrompent la douceur;
Mais tout est passager, le crime et le malheur.
De nos désirs fougueux la tempête fatale
Laisse au fond de nos coeurs la règle et la morale.
C'est une source pure: en vain dans ces canaux
Les vents contagieux en ont troublé les eaux;
En vain sur sa surface une fange étrangère
Apporte, en bouillonnant, un limon qui l'altère;
L'homme le plus injuste et le moins policé
S'y contemple aisément quand l'orage est passé.
Touts ont reçu du Ciel, avec l'intelligence,
Ce frein de la justice et de la conscience.
De la raison naissante elle est le premier fruit;
Dès qu'on la peut entendre, aussitôt elle instruit.
Contrepoids toujours prompt à rendre l'équilibre
Au coeur plein de désir, asservi, mais né libre,
Arme que la nature a mise en notre main,

Qui combat l'intérêt par l'amour du prochain:
De Socrate, en un mot, c'est là l'heureux génie ;
C'est là le Dieu secret qui dirigeait sa vie;
Ce Dieu qui jusqu'au bout présidait à son sort,
Quand il but, sans pâlir, la coupe de la mort.
Quoi! cet esprit divin n'est-il que pour Socrate?
Tout mortel a le sien qui jamais ne le flatte.

(La Religion Naturelle.)

3. Dialogues.
Mahomet, Zopyre.

MAHOMET.

Approche, et puis qu'enfin le Ciel veut nous unir,
Vois Mahomet sans crainte, et parle sans rougir.

ZOPYRE.

Je rougis pour toi seul, pour toi dont l'artifice
A traîné ta patrie au bord du précipice;
Pour toi de qui la main sème ici les forfaits.
Et fait naître la guerre au milieu de la paix.
Ton nom seul parmi nous divise les familles,
Les époux, les parents, les mères et les filles;
Et la trève pour toi n'est qu'un moyen nouveau
Pour venir dans nos coeurs enfoncer le couteau.
La discorde civile est partout sur ta trace.
Assemblage inouï de mensonge et d'audace,
Tyran de ton pays, est-ce ainsi qu'en ce lieu
Tu viens donner la paix et m'annoncer un Dieu?

MAHOMET.

Si j'avais à répondre à d'autres qu'à Zopyre
Je ne ferais parler que le Dieu qui m'inspire;
Le glaive et l'Alcoran dans mes sanglantes mains
Imposeraient silence au reste des humains;

Mais je te parle en homme, et, sans rien déguiser,
Je me sens assez grand pour ne pas t'abuser.
Vois quel est Mahomet: nous sommes seuls, écoute:
Je suis ambitieux; tout homme l'est sans doute;
Mais jamais roi, pontife, ou chef, ou citoyen,
Ne couçut un projet aussi grand que le mien.
Chaque peuple a son tour a brillé sur la terre,
Par les lois, par les arts, et surtout par la guerre;
Le temps de l'Arabie est à la fin venu.

1 Das Verb steht hier im Singular, weil nach mehreren auf einander folgenden Sub. ftantiven der Begriff oft auf das lezte fällt, das deßhalb betont wird. In diesen Fällen kongruirt das Verb stets mit diesem lesten Substantiv: Une parole, un sourire gracieux, un seul regard suffit. (Siebe Rémy, Science de la Langue Française, p. 144. No. 1038.)

Ce peuple généreux trop longtemps inconnu,
Laissait dans ses déserts ensevelir sa gloire;
Voici les jours nouveaux marqués pour sa victoire.
Vois du Nord au Midi l'univers désolé,

La Perse encor sanglante et son trône ébranlé,
L'Inde esclave et timide, et l'Egypte abaissée.
Des murs de Constantin la splendeur éclipsée;
Vois l'Empire romain tombant de toutes parts,1
Ce grand corps déchiré, dont les membres épars
Languissent dispersés sans honneurs et sans vie:
Sur ces débris du monde élevons l'Arabie.

Il faut un nouveau culte, il faut de nouveaux fers,
Il faut un nouveau dieu pour l'aveugle univers.
En Egypte, Osiris, Zoroastre en Asie,

Chez les Crétois Minos, Numa dans l'Italie,

A des peuples sans moeurs, et sans culte, et sans rois,
Donnèrent aisément d'insuffisantes lois.

Je viens après mille ans changer ces lois grossières.
J'apporte un joug plus noble aux nations entières,
J'abolis les faux dieux, et mon culte épuré

De ma grandeur naissante est le premier degré.
Ne me reproche point de tromper ma patrie;
Je détruis sa faiblesse et son idolâtrie;
Sous un roi, sous un dieu, je viens la réunir;
Et pour la rendre illustre il la faut asservir.

ZOPYRE.

Voilà donc tes desseins! C'est donc toi dont l'audace
De la terre à ton gré prétend changer la face!
Tu veux, en apportant le carnage et l'effroi,
Commander aux humains de penser comme toi:
Tu ravages le monde, et tu prétends l'instruire.
Ah! si par des erreurs il s'est laissé séduire,
Si la nuit du mensonge a pu nous égarer,
Par quels flambeaux affreux veux-tu nous éclairer?
Quel droit as-tu reçu d'enseigner, de prédire,
De porter l'encensoir, et d'affecter l'empire?

MAHOMET.

Le droit qu'un esprit vaste et ferme en ses desseins
A sur l'esprit grossier des vulgaires humains.

1 Man schreibt toute part und toutes parts. Obgleich mehrere Grammatiker nur den Singular gestatten, so hat sich doch der allgemeine Gebrauch gegen ihre Meinung ausgesprochen, und dieses mit Recht, denn im Singular bedeutet tout (chaque), jedes, im Plural alle. Es ist dasselbe wie im Deutschen nach jeder Seite, nach allen Seiten. In den besten Klassikern findet man Beispiele der beiden Schreibarten: Des arbres pliant sous le poids de leur impénétrable feuillage, reposaient de toute part la vue de l'éclat des rayons du soleil. (A. de Montémont.) Ils se forment aussitôt et attaquent les Grecs de toutes parts. Leonidas tombe sous une grêle de traits (Barthélémy)

ZOP YRE.

Hé quoi! tout factieux qui pense avec courage
Doit donner aux mortels un nouvel esclavage?
Il a droit de tromper, s'il trompe avec grandeur?

MAHOMET.

Oui; je connais ton peuple, il a besoin d'erreur;
Ou véritable ou faux, mon culte est nécessaire.

Que t'ont produit des dieux? Quel bien l'ont-ils pu faire?
Quels lauriers vois-tu croître aux pieds de leurs autels?
Ta secte obscure et basse avilit les mortels,
Enerve le courage et rend l'homme stupide;
La mienne élève l'ame et la rend intrépide.
Ma loi fait des héros.

ZOPYRE.

Dis plutot des brigands.

Porte ailleurs tes leçons, l'école des tyrans.

Va vanter l'imposture à Médine où tu règnes,
Où tes maîtres séduits marchent sous tes enseignes,
Où tu vois tes égaux à tes pieds abattus.

MAHOMET.

Des égaux! Dès longtemps Mahomet n'en a plus.
Je fais trembler la Mecque, et je règne à Médine;
Crois-moi, reçois la paix, si tu crains ta ruine.1

ZOPYRE.

La paix est dans ta bouche, et ton coeur en est loin:
Penses-tu me tromper?

MAHOMET.

Je n'en ai pas besoin.

1

C'est le faible qui trompe, et le puissant commande.
Demain j'ordonnerai ce que je te demande;

Demain je puis te voir à mon joug asservi;
Aujourd'hui Mahomet veut être ton ami.

ZOPYRE.

Nous amis! nous, cruel! ah! quel nouveau prestige!
Connais-tu quelque Dieu qui fasse un tel prodige?

Jedesmal wenn craindre in einem untergeordneten Bedingungssaße steht, erfordert es nach sich das Adverb des Modus ne; ist aber das Verb craindre in verneinte Wirklichkeit gestellt, so ist dieses nicht der Fall. Voltaire, der wohl wußte, daß die Auslassung von ne ein Sprachfehler wäre, entschuldigte sich dadurch, daß er sagte: on peut en poésie se dispenser de cette règle. Man findet in Corneille: Seigneur, je crains pour vous qu'un Romain vous écoute. (Ne vous écoute.) in Molière: Qui rit d'autrui, doit craindre qu'en revanche on rie aussi de lui (on ne rie). Die heutigen Dichter sind im Ausdruck korrekter, denn ich wüßte kein Beispiel der Art anzuführen.

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