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son éducation et de son pays, aussi terrible à ses sujets qu'admirable aux étrangers1 et trop adonné à des excès, qui ont même abrégé ses jours. Charles avait le titre d'Invincible, qu'un moment pouvait lui ôter; les nations avaient déjà donné à Pierre Alexiowicz le nom de Grand, qu'une défaite ne pouvait lui faire perdre, parcequ'il ne le devait pas à des victoires.

Charles XII.

1

1. Narrations.

Prise de Jérusalem par les Musulmans.
Seigneur, rémerciez le Ciel dont la clémence
A pour votre bonheur placé votre naissance
Longtems après ces jours à jamais détestés,
Après ces jours de sang et de calamités

Où je vis sous le joug de nos barbares maîtres
Tomber ces murs sacrés conquis par nos ancêtres.
Ciel! si vous aviez vu ce temple abandonné,
Du Dieu que nous servons le tombeau profané,
Nos pères, nos enfants, nos filles et nos femmes,
Au pied de nos autels expirant dans les flammes,
Et notre dernier roi, courbé du faix des ans,
Massacré sans pitié sur ses fils expirants!2
Lusignan, le dernier de cette auguste race,
Dans ces moments affreux ranimant notre audace,
Au milieu des débris des temples renversés,
Des vainqueurs, des vaincus, et des morts entassés,
Terrible, et d'une main reprenant cette épée
Dans le sang infidèle à tout moment trempée,
Et de l'autre à nos yeux montrant avec fierté
De notre sainte loi le signe redouté,

Criant à haute voix: Français, soyez fidèles...

Sans doute, en ce moment, le couvrant de ses ailes,
La vertu du Très-Haut, qui nous sauve aujourd'hui,
Aplanissait sa route et marchait dévant lui;

Et des tristes chrétiens la foule délivrée
Vint porter avec nous ses pas dans Césarée:
Là, par nos chevaliers, d'une commune voix,
Lusignan fut choisi pour nous donner des lois.
O mon cher Nérestan! Dieu qui nous humilie,
N'a pas voulu sans doute, en cette courte vie,
Nous accorder le prix qu'il doit à la vertu;
Vainement pour son nom nous avons combattu.
Ressouvenir affreux, dont l'horreur me dévore!
Jérusalem en cendre, hélas! fumait encore,
Lorsque dans notre asile attaqués et trahis,

Admirable. Diesem Adjektiv hat fälschlich Voltaire ein Objekt gegeben, denn man sagt nicht être admirable à. Er hätte admiré gebrauchen müssen.

2 Fils éxpirants (fiche Racine).

Et livrés par un Grec à nos fiers ennemis,
La flamme dont brûla Sion désésperée

S'étendit en fureur aux murs de Césarée:
Ce fut là le dernier de trente ans de revers;
Là je vis Lusignan chargé d'indignes fers:
Insensible à sa chute et grand dans ses misères,
Il n'était attendri que des maux de ses frères.
Seigneur, depuis ce temps, ce père des chrétiens,
Resserré loin de nous, blanchi dans ses liens,
Gémit dans un cachot, privé de la lumière,
Oublié de l'Asie et de l'Europe entière;

Tel est son sort affreux qui pourrait aujourd'hui,
Quand il souffre pour nous, se voir heureux sans lui?

Famine de Paris.

(Zaïre.)

Mais lorsqu'enfin les eaux de la Seine captive
Cessèrent d'apporter dans ce vaste séjour
L'ordinaire tribut des moissons d'alentour;
Quand on vit dans Paris la faim pâle et cruelle,
Montrant déjà la Mort qui marchait après elle;
Alors on entendit des hurlements affreux:
Ce superbe Paris fut plein des malheureux,
De qui la main tremblante et la voix affaiblie
Demandaient vainement le soutien de leur vie.
Bientôt le riche même, après de vains efforts,
Eprouva la famine au milieu des trésors.

Ce n'étaient plus ces jeux, ces festins et ces fêtes,
Où de myrte et de rose ils couronnaient leurs têtes;
Où parmi des plaisirs toujours trop peu goûtés,
Les vins les plus parfaits, les mets les plus vantés,
Sous des lambris dorés qu'habite la mollesse,
De leur goût dédaigneux irritaient la paresse.
On vit avec effroi touts ces voluptueux,
Pâles, défigurés et la mort dans les yeux,
Périssant de misère au sein de l'opulence,
Détester de leurs biens l'inutile abondance.
Le vieillard, dont la faim va terminer les jours,
Voit son fils au berceau, qui périt sans secours.
Ici meurt dans la rage une famille entière.

Plus loin des malheureux, couchés sur la poussière,
Se disputaient encor à leurs derniers moments,

Les restes odieux des plus vils aliments.
Ces spectres affamés, outrageant la nature,

Vont aux sein des tombeaux chercher leur nourriture.
Des morts épouvantés les ossements poudreux,
Ainsi qu'un pur froment, sont préparés par eux.
Que n'osent point tenter les extrêmes misères!

On les voit se nourrir des cendres de leurs pères.
Ce détestable mets avança leurs trépas,

Et ce repas pour eux fut le dernier repas.
Trop heureux, en effet, d'abandonner la vie!
D'un ramas d'étrangers la ville était remplie;
Tigres, que nos aïeux nourrissaient dans leur sein,
Plus cruels que la mort et la guerré et la faim.
Les uns étaient venus des campagnes belgiques;
Les autres des rochers et des monts helvétiques;
Barbares, dont la guerre est l'unique métier,
Et qui vendent leur sang à qui veut le payer.
De ces nouveaux tyrans les avides cohortes
Assiègent les maisons, en enfoncent les portes,
Aux hôtes effrayés présentent mille morts,
Non pour leur arracher d'inutiles trésors;
Non pour aller ravir, d'une main adultère,
Une fille éplorée à sa tremblante mère:
De la cruelle faim le besoin consumant
Fait expirer en eux tout autre sentiment;
Et d'un peu d'aliment la découverte heureuse
Etait l'unique but de leur recherche affreuse.

Il n'est point de tourment, de supplice et d'horreur,
Que, pour en découvrir n'inventa leur fureur.
Une femme (grand Dieu, faut-il à la mémoire
Conserver le récit de cette horrible histoire?)
Une femme avait vu par ces coeurs inhumains
Un reste d'aliment arraché de ses mains.
Des biens que lui ravit la fortune cruelle,
Un enfant lui restait, près de périr comme elle:
Furieuse, elle approche, avec un coutelas,
De ce fils innocent, qui lui tendait les bras;
Son enfance, sa voix, sa misère et ses charmes,
A sa mère en fureur arrache mille larmes;
Elle tourne sur lui son visage effrayé,
Plein d'amour, de regret, de rage, de pitié,
Trois fois le fer échappe à sa main défaillante,
La rage enfin l'emporte, et d'une voix tremblante,
Detéstant son hymen et sa fécondité:

Cher et malheureux fils, que mes flancs ont porté,"
Dit-elle, c'est en vain que tu reçus la vie;
Les tyrans ou la faim l'auront bientôt ravie.
Et pourquoi vivrais-tu? Pour aller dans Paris,
Errant et malheureux, pleurant sur ses débris?
Meurs avant de sentir mes maux et ta misère;
Rends-moi le jour, le sang, que t'a donné ta mère;
Que mon sein, malheureux, te serve de tombeau,
Et que Paris du moins voie un crime nouveau!"
En achevant ces mots, furieuse, égarée,

Dans les flancs de son fils sa main désespérée
Enfonce, en frémissant, le parricide acier;
Porte le corps sanglant auprès de son foyer,
Et d'un bras que poussait sa faim impitoyable,
Prépare avidement ce repas effroyable.
Attirés par la faim, les farouches soldats

Dans ces coupables lieux reviènent sur leurs pas:
Leur transport est semblable à la cruelle joie
Des ours et des lions qui fondent sur leur proie:
A l'envie l'un de l'autre ils courent en fureur:
Ils enfoncent la porte. O surprise! ô terreur!
Près d'un corps tout sanglant à leurs yeux se présente
Une femme égarée, et de sang dégouttante.

Oui, c'est mon propre fils; oui, monstres inhumains,
C'est vous qui dans son sang avez trempé mes mains;
Que la mère et le fils vous servent de pâture:
Craignez-vous plus que moi d'outrager la nature?
Quelle horreur à mes yeux semble vous glacer touts!
Tigres, de tels festins sont préparés pour vous."
Ce discours insensé, que sa rage prononce,

Est suivi d'un poignard qu'en son coeur elle enfonce.
De crainte, à ce spectable, et d'horreur agités,
Ces monstres confondus courent épouvantés.
Ils n'osent regarder cette maison funeste:
Ils pensent voir tomber sur eux le fer funeste:
Et le peuple effrayé de l'horreur de son sort,
Levait les mains au ciel, et demandait la mort.

(Henriade.)

Mort de Coligny.
Coligny languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots.
Soudain de mille cris le bruit épouvantable
Vient arracher ses sens à ce calme agréable.
Il se lève, il regarde; il voit de touts côtés
Courir des assassins à pas précipités;

Il voit briller partout les flambeaux et les armes;
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes;
Ses serviteurs sanglants, dans la flamme étouffés;
Les meurtriers en foule au carnage échauffés,
Criant à haute voix: Qu'on n'épargne personne;
C'est Dieu, c'est Médicis, c'est le Roi qui l'ordonne!"
Il entend retentir le nom de Coligny:

Il aperçoit de loin le jeune Téligny,

Téligny dont l'amour a mérité sa fille,
L'éspoir de son parti, l'honneur de sa famille,
Qui, sanglant, déchiré, traîné par des soldats,
Lui demandait vengance, et lui tendait les bras.

Le héros malheureux, sans armes et sans défense,
Voyant qu'il faut périr et périr sans vengeance,
Voulut mourir du moins comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.
Déjà des assassins la nombreuse cohorte
Du salon qui l'enferme allait briser la porte;
Il leur ouvre lui même, et se montre à leurs yeux,
Avec cet oeil serein, ce front majestueux,

Tel que, dans les combats, maître de son courage,
Tranquille, il arrêtait où pressait le carnage.

A cet air vénérable, à cet auguste aspect,
Les meurtriers surpris sont saisis de respect;
Une force inconnu a suspendu leur rage.
"Compagnons," leur dit-il, achevez votre ouvrage,
Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs,
Que le sort des combats respecta quarante ans.
Frappez, ne craignez rien: Coligny vous pardonne;
Ma vie est peu de chose et je vous l'abandonne:
J'eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous."
Ces tigres, à ces mots tombent à ses genoux:
L'un, saisi d'épouvante abandonne ses armes;
L'autre embrasse ses pieds qu'il trempe de ses larmes;
Et de ses assassins ce grand homme entouré
Semblait un roi puissant, par son peuple adoré.
Besme, qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime;
Des assassins trop lents il veut hâter les coups:
Aux pieds de se héros il les voit trembler touts.
A cet objet touchant lui seul est inflexible;
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible,
Aurait cru faire un crime et trahir Médicis,
Si du moindre remords il se sentait surpris.
A travers des soldats il court d'un pas rapide:
Coligny l'attendait d'un visage intrépide;
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux
Lui plonge son épée en détournant les yeux,
De peur que d'un coup-d'oeil cet auguste visage
Ne fit tembler son bras, et glaçât son courage.

Du plus grand des Français tel fut le triste sort:
On l'insulte, on l'outrage encore après sa mort,
Son corps, percé des coups, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorants fut l'indigne pâture;
Et l'on porta sa tête aux pieds de Médicis
Conquête digne d'elle et digne de son fils!
Médicis la reçut avec indifférence,

Sans paraître jouir les fruits de sa vengeance,
Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens,

Et comme accoutumée à de pareils présents. (Henriade.)

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