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AVANT-PROPOS.

CE

Ce n'est pas l'histoire d'un parti que je me propose d'écrire, c'est celle de l'une des plus grandes révolutions qui se soient opérées dans l'humanité; c'est celle d'une impulsion puissante donnée, il y a trois siècles, au monde, et dont l'influence s'aperçoit encore partout de nos jours. L'histoire de la réformation est autre chose que l'histoire du protestantisme. Dans la première, tout porte la marque d'une régénération de l'humanité, d'une transformation religieuse et sociale qui émane de Dieu. Dans la seconde, on voit trop souvent une dégénération notable des principes primitifs, le jeu des partis, l'esprit de secte, l'empreinte de petites individualités. L'histoire du protestantisme pourrait n'intéresser que les protestants. L'histoire de la réformation est pour tous les chrétiens, ou plutôt pour tous les hommes.

L'historien peut choisir dans le champ qui s'offre à ses travaux ; il peut décrire les grands événements qui changent la face d'un peuple ou la face du monde : ou bien il peut raconter ce cours tranquille et progressif ou d'une nation, ou de l'Église, ou de l'humanité, qui succède d'ordinaire à de puissantes mutations sociales,

Tome I.

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Ces deux champs de l'histoire sont d'une haute importance. Mais l'intérêt a paru se porter de préférence sur ces époques qui, sous le nom de révolutions, enfantent un peuple ou la société tout entière, à une nouvelle ère et à une nouvelle vie.

C'est une telle transformation qu'avec de très-petites forces j'essaie de décrire, espérant que la beauté du sujet suppléera à mon insuffisance. Le nom de révolution que je lui donne est discrédité de nos jours auprès de plusieurs, qui le confondent presque avec révolte. C'est à tort. Une révolution est un changement qui s'opère dans les choses du monde. C'est quelque chose de nouveau qui se déroule (revolvo) du sein de l'humanité; et même ce mot, avant la fin du dernier siècle, a été pris plus souvent en un bon qu'en un mauvais sens : une heureuse, a-t-on dit, une merveilleuse révolution, La réformation étant le rétablissement des principes du christianisme primitif, est le contraire d'une révolte. Elle a été un mouvement régénérateur pour ce qui devait revivre, mais conservateur pour ce qui doit toujours subsister. Le christianisme et la réformation tout en établissant le grand principe de l'égalité des âmes devant Dieu, tout en renversant les usurpations d'un sacerdoce superbe qui prétendait s'établir entre le Créateur et sa créature, posent comme principe primitif de l'ordre social, qu'il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et crient à tous les hommes: «Aimez tous vos frères: Craignez << Dieu : Honorez le roi.

La réformation se distingue éminemment des révolutions de l'antiquité, et de la plupart de celles des temps modernes. Dans celles-ci, c'est de changements

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politiques qu'il est question, c'est d'établir ou de renverser la domination d'un seul ou celle de plusieurs. L'amour de la vérité, de la sainteté, de l'éternité, fut le ressort simple et puissant qui opéra celle que nous avons à décrire. Elle signale une marche progressive dans l'humanité. En effet, si l'homme, au lieu de ne rechercher que des intérêts matériels, temporels, terrestres, se propose un but plus élevé, et recherche des biens immatériels et immortels, il avance, il progresse. La réformation est l'un des plus beaux jours de cette marche glorieuse. Elle est un gage que la lutte nouvelle qui maintenant s'accomplit, se terminera pour la vérité, par un triomphe plus pur, plus spirituel, et plus magnifique encore.

Le christianisme et la réformation sont les deux plus grandes révolutions de l'histoire. Elles ne s'opérèrent pas seulement chez un peuple, comme les divers mouvements politiques que l'histoire nous raconte, mais chez plusieurs peuples, et leurs effets doivent se faire ressentir jusqu'au bout du monde.

Le christianisme et la réformation sont la même révolution, mais opérée à des époques et au milieu de circonstances différentes. Elles sont dissemblables dans des traits secondaires; elles sont une dans les lignes premières et principales. L'une est une répétition de l'autre. L'une finit le monde ancien, l'autre commença le monde nouveau; entre elles est l'âge moyen. L'une est la mère de l'autre, et si la fille, à quelques égards, porte des marques d'infériorité, elle a d'un autre côté des caractères qui lui sont tout à fait propres.

La promptitude de son action est l'un de ces caractères. Les grandes révolutions qui ont amené la chute

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IV

AVANT-PROPOS.

d'une monarchie, le changement de tout un système politique, ou qui ont lancé l'esprit humain dans une nouvelle carrière de développements, ont été lentement, graduellement préparées; l'ancien pouvoir a été long-temps miné, et l'on en a vu les principaux appuis peu à peu disparaître. Il en fut même ainsi lors de l'introduction du christianisme. Mais la réformation semble au premier premier coup d'œil nous présenter un autre aspect. L'église de Rome paraît sous Léon X dans toute sa force et sa gloire. Un moine parle, et dans la moitié de l'Europe, cette puissance et cette gloire s'écroulent. Cette révolution rappelle les paroles par lesquelles le fils de Dieu annonce son second avénement. « Comme l'éclair sort de l'Orient et se fait voir jusqu'à l'Occident, il en sera de même de l'avénement du Fils de l'homme. >>

Cette promptitude est inexplicable pour ceux qui ne voient dans ce grand événement qu'une réforme, qui en font simplement un acte de critique, lequel consista à faire un choix parmi les doctrines, à laisser les unes, à garder les autres, et à coordonner celles qu'on avait retenues, de manière à en faire un ensemble nouveau.

Comment tout un peuple, comment plusieurs peuples eussent-ils fait si promptement un si pénible travail? Comment cet examen critique eut-il allumé ce feu de l'enthousiasme, qui est nécessaire à de grandes et surtout à de promptes révolutions? Mais la réformation fut tout autre chose; et c'est ce que son histoire montrera. Elle fut une nouvelle effusion de cette vie que le christianisme a apportée au monde. Elle fut le triomphe de la plus grande des doctrines, de celle qui anime ceux qui l'embrassent de l'enthou

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