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ou du moins elle eût tenté de le faire. Déguisée, comme elle le fut, par les théologiens du temps, sous des subtilités et des distinctions sans fin, les papes ne l'aperçurent pas, ou comprirent qu'en cet état elle ne pouvait leur nuire. Ils prirent sous leur protection les ouvriers et leur œuvre. Mais le printemps pouvait venir, où la vérité cachée lèverait la tête, et jetterait loin d'elle tous les fils qui la recouvraient. Ayant pris dans sa tombe apparente de nouvelles forces, on la verrait, aux jours de sa résurrection, remporter la victoire sur Rome et ses erreurs. Ce printemps arriva. En même temps que les absurdes enveloppes des scolastiques tombaient l'une après l'autre, sous des attaques habiles et aux rires moqueurs de la nouvelle génération, la vérité s'en échappait, toute jeune et toute belle.

Ce n'était pas seulement des écrits des scolastiques que sortaient de puissants témoignages rendus à la vérité. Le christianisme avait mêlé partout quelque chose de sa vie à la vie des peuples. L'Église de Christ était un bâtiment dégradé; mais en creusant on retrouvait en partie dans ses fondements le roc vif sur lequel il avait été primitivement construit. Plusieurs institutions qui dataient des beaux temps de l'Église, subsistaient encore, et ne pouvaient manquer de faire naître dans bien des âmes, des sentiments évangéliques opposés à la superstition dominante. Les hommes inspirés, les anciens docteurs de l'Église, dont les écrits se trouvaient déposés dans plusieurs bibliothèques, faisaient entendre çà et là une voix solitaire. Elle fut

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DEVELOPPEMENT DE L'ESPRIT HUMAIN.

sans doute écoutée en silence par plus d'une oreille attentive. Les chrétiens, n'en doutons pas ( et cette pensée est si douce!), eurent bien des frères et des sœurs dans ces monastères, où trop facilement l'on ne voit autre chose que l'hypocrisie et la dissolution.

Ce n'étaient pas seulement des choses anciennes qui préparaient le réveil religieux, il y avait quelque chose de nouveau qui devait puissamment le favoriser. L'esprit humain croissait. Ce seul fait devait amener son affranchissement. L'arbuste en grandissant renverse les murailles près desquelles il avait été planté, et substitue són ombrage au leur. Le grand-prêtre de Rome s'était fait le tuteur des peuples. Sa supériorité d'intelligence le lui avait rendu facile. Long-temps il les tint dans un état de minorité, et sut les maintenir sous son obéissance. Mais ils grandissaient et le débordaient de toutes parts. Cette tutelle vénérable, qui avait pour cause première les principes de vie éternelle et de civilisation que Rome avait communiqués aux nations barbares, ne pouvait plus s'exercer sans opposition. Un redoutable adversaire s'était posé vis-à-vis d'elle pour la contrôler. La tendance naturelle de l'esprit humain à se développer, à examiner, à connaître, avait donné naissance à ce nouveau pouvoir. Les yeux de l'homme s'ouvraient il demandait compte de chaque pas à ce conducteur long-temps respecté, sous la direction duquel on l'avait vu marcher sans mot dire, tant que ses yeux avaient été fermés. L'âge de l'enfance était passé pour les peuples de la nouvelle Europe :

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RENAISSANCE DES LETTRES.

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l'âge mûr commençait. A la naïve simplicité, disposée à tout croire, avaient succédé un esprit curieux, une raison impatiente de connaître les fondements des choses. On se demandait dans quel but Dieu avait parlé au monde, et si des hommes avaient le droit de s'établir médiateurs entre Dieu et leurs frères. Une seule chose aurait pu sauver l'Église c'était de s'élever encore plus haut que les peuples. Marcher à leur niveau n'était pas assez. Mais il se trouva au contraire qu'elle leur fut grandement inférieure. Elle se mit à descendre, en même temps qu'ils se mirent à monter. Quand les hommes commencèrent à s'élever vers le domaine de l'intelligence, le sacerdoce se trouva absorbé dans des poursuites terrestres et des intérêts humains. C'est un phénomène qui s'est souvent renouvelé dans l'histoire. Les ailes avaient crû à l'aiglon; et il n'y eut personne qui eût la main assez haute pour l'empêcher de prendre son vol.

Tandis que la lumière sortait en Europe des prisons où elle avait été retenue captive, l'Orient envoyait à l'Occident de nouvelles lueurs. L'étendard des Osmanlis, planté en 1453 sur les murs de Constantinople, en avait fait fuir les savants. Ils avaient transporté en Italie les lettres de la Grèce. Le flambeau des anciens ralluma les esprits éteints depuis tant de siècles. L'imprimerie, récemment inventée, multipliait les voix énergiques qui réclamaient contre la corruption de l'Église, et celles non moins puissantes qui appelaient l'esprit humain dans de nouveaux sentiers. Il y

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eut alors comme un grand jet de lumière. Les erreurs et les vaines pratiques furent manifestées. Mais cette lumière, propre à détruire, ne l'était pas à édifier. Ce n'est ni à Homère ni à Virgile qu'il pouvait être donné de sauver l'Église.

Le réveil des lettres, des sciences et des arts, ne fut point le principe de la réformation. Le paganisme des poètes, en reparaissant en Italie, ramena plutôt le paganisme du cœur. De futiles superstitions étaient attaquées; mais c'était l'incrédulité, au ris dédaigneux et moqueur, qui s'établissait à leur place. Se rire de tout, même de ce qu'il y a de plus saint, était alors de mode et la marque d'un esprit fort. On ne voyait dans la religion qu'un moyen de gouverner le peuple. « J'ai une crainte, << s'écriait Érasme en 1516, c'est qu'avec l'étude << de la littérature ancienne, ne reparaisse le paga

<< nisme ancien. »

On vit alors, il est vrai, comme après les moqueries du temps d'Auguste, et comme, de nos jours, après celles du siècle dernier, percer et paraître une nouvelle philosophie platonicienne, qui attaqua cette impudente incrédulité, et chercha, comme la philosophie actuelle, à inspirer quelque respect pour le christianisme, et à ranimer dans les cœurs le sentiment religieux. Les Médicis favorisèrent à Florence ces efforts des Platoniciens. Mais ce ne sera jamais une religion philosophique qui régénérera l'Église et le monde. Orgueilleuse, dédaignant la prédication de la croix, prétendant ne voir dans les dogmes chrétiens que des figures et des symboles, incompréhensible pour

LETTRES EN ALLEMAGNE.

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la majorité des hommes, elle pourra se perdre dans un enthousiasme mystique, mais elle sera toujours impuissante pour réformer et pour sau

ver.

Que fut-il donc arrivé si le vrai christianisme n'eût pas reparu dans le monde, et si la foi n'eût pas rempli de nouveau les coeurs de sa force et de sa sainteté ? La réformation sauva la religion et avec elle la société. Si l'Église de Rome avait eu à cœur la gloire de Dieu et la prospérité des peuples, elle eût accueilli la réformation avec joie. Mais que faisait cela à un Léon X?

L'étude de la littérature ancienne eut, en Allemagne, des effets tout différents de ceux qu'elle eut en Italie et en France. Cette étude fut mêlée avec la foi. Ce qui n'avait produit chez les uns qu'un certain raffinement d'esprit, minutieux et stérile, pénétra toute la vie des autres, échauffa leurs cœurs, et les prépara à une meilleure lumière. Les premiers restaurateurs des lettres, en Italie et en France, se signalèrent par une conduite légère, souvent même immorale. En Allemagne, leurs successeurs, animés d'un esprit grave, recherchèrent avec zèle tout ce qui est vrai. On vit se former dans cette contrée une réunion remarquable d'hommes libres, savants et généreux, au milieu desquels brillaient des princes, et qui s'efforçaient de rendre la science utile à la religion. Les uns apportaient à l'étude la foi humble des enfants; d'autres un esprit éclairé, pénétrant, porté peutêtre à dépasser les bornes d'une liberté et d'une critique légitimes: mais les uns et les autres conTome 1.

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