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NATURE IMPERISSABLE DU CHRISTIANISME.

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Comment ce qui devait être réformé eût-il pu devenir réformateur? Comment la plaie eût-elle pu trouver la guérison en elle-même?

Néanmoins, les moyens employés pour réformer l'Église, et que l'événement accusa d'impuissance, contribuèrent à affaiblir les obstacles, et préparérent le terrain aux réformateurs.

Les maux qui affligeaient alors la chrétienté, savoir, la superstition, l'incrédulité, l'ignorance, de vaines spéculations et la corruption des mœurs, fruits naturels du cœur de l'homme, n'étaient pas nouveaux sur la terre. Souvent ils avaient figuré dans l'histoire des peuples. Ils avaient attaqué, surtout dans l'Orient, diverses religions, qui avaient eu leurs jours de gloire. Ces religions énervées avaient succombé à ces maux, étaient tombées sous ces coups, et aucune ne s'en était jamais relevée.

Le christianisme doit-il maintenant subir le même sort? Serait-il perdu comme ces antiques religions des peuples? Le coup qui leur donna la mort, serait-il assez puissant pour lui ôter la vie? N'y aurait-il rien qui le sauve? Ces forces ennemies qui l'accablent, et qui ont déja renversé tant de cultes divers, pourraient-elles bien s'asseoir sans contradiction sur les ruines de l'Église de Jésus

Christ?

Non. Il y a dans le christianisme ce qui n'était dans aucune des religions des peuples. Il ne présente pas, comme elles, certaines idées générales, mêlées de traditions et de fables, destinées à suc

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pres

comber tôt ou tard sous les attaques de la raison humaine; mais il renferme une vérité pure, fondée sur des faits capables de soutenir l'examen de tout esprit droit et éclairé. Le christianisme ne se propose pas seulement d'exciter dans l'homme certains sentiments religieux vagues, dont le tige, une fois dissipé, ne saurait plus renaître; mais il a pour but de satisfaire, et il satisfait réellement tous les besoins religieux de la nature humaine, quel que soit le degré de développement auquel elle soit parvenue. Il n'est pas l'œuvre de l'homme, dont le travail passe et s'efface; mais il est l'ouvre de Dieu qui maintient ce qu'il crée; et il a pour gage de sa durée les promesses de son divin

chef.

il

Il est impossible que l'humanité se mette jamais au-dessus du christianisme. Et si même pendant quelque temps elle a cru pouvoir se passer de lui, lui apparaît bientôt avec une nouvelle jeunesse et une nouvelle vie, comme le seul moyen de guérison pour les âmes humaines; et les peuples dégénérés se retournent alors, avec une ardeur toute nouvelle, vers ces vérités antiques, simples et puissantes, qu'ils ont dédaignées à l'heure de leur étourdissement.

Le christianisme déploya en effet au seizième siècle le même pouvoir régénérateur qu'il avait exercé au premier. Après quinze siècles, les mêmes vérités produisirent les mêmes effets. Aux jours de la réformation comme aux temps de Paul et de Pierre, l'Évangile, avec une force invincible, renversa d'immenses obstacles. Sa puissance souve

DEUX LOIS DE DIEU.

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raine manifesta son efficace du nord jusqu'au midi, parmi les nations les plus opposées quant à leurs mœurs, à leur caractère, à leur développement intellectuel. Alors, comme aux temps d'Étienne et de Jacques, il alluma le feu de l'enthousiasme et du sacrifice dans des nations éteintes, et les éleva jusqu'au martyre.

Comment cette vivification de l'Église et du monde s'accomplit-elle ?

On put observer alors deux lois, par lesquelles Dieu gouverne en tout temps le monde.

D'abord il prépare lentement et de loin ce qu'il veut accomplir. Il a les siècles pour le faire.

Ensuite, quand le temps est venu, il opère les plus grandes choses par les plus petits moyens. Il agit ainsi dans la nature et dans l'histoire. Quand il veut faire croître un arbre immense, il dépose un petit grain dans la terre; quand il veut renouveler son Église, il se sert du plus chétif instrument pour accomplir ce que les empereurs, les savants et les principaux même de l'Église n'ont pu faire. Bientôt nous chercherons et découvrirons cette petite semence, qu'une main divine plaça dans la terre aux jours de la réforme. Nous devons maintenant discerner et reconnaître les divers moyens par lesquels Dieu prépara cette grande révolution.

Nous jetterons d'abord un coup d'œil sur l'état. de la papauté elle-même; et, partant de là, nous passerons en revue les diverses influences que Dieu fit concourir à ses desseins.

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FORCE APPARENTE DE ROME.

A l'époque où la réformation était près d'éclater, Rome paraissait en paix et en sûreté. On eût dit que rien ne pouvait plus la troubler dans son triomphe; de grandes victoires avaient été remportées par elle. Les conciles généraux, ces chambres hautes et basses de la catholicité, avaient été soumis. Les Vaudois, les Hussites avaient été comprimés. Aucune université (excepté peut-être celle de Paris, qui élevait quelquefois la voix quand ses rois lui en donnaient le signal) ne doutait de l'infaillibilité des oracles de Rome. Chacun semblait avoir pris son parti de sa puissance. Le haut clergé préférait donner à un chef éloigné la dixième partie de ses revenus, et consumer tranquillement les neuf autres, plutôt que de tout hasarder pour une indépendance qui lui coûterait cher et lui rapporterait peu. Le bas clergé, amorcé par la perspective de places brillantes que l'ambition lui faisait imaginer et découvrir dans le lointain, achetait volontiers par un peu d'esclavage l'attente flatteuse qu'il chérissait. D'ailleurs il était presque partout tellement opprimé par les chefs ́de la hiérarchie, qu'il pouvait à peine se débattre sous leurs mains puissantes, et bien moins encore se relever hardiment et leur tenir tête. Le peuple fléchissait le genou devant l'autel romain; et les rois eux-mêmes, qui commençaient en secret à mépriser l'évêque de Rome, n'eussent osé porter sur son pouvoir une main que le siècle eût appelée sacrilége.

Mais si l'opposition semblait au dehors s'être ralentie, ou même avoir cessé, quand-la réformation

OPPOSITION CACHÉE. DECADENCE.

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éclata, sa force avait crù intérieurement. Si nous considérons de plus près l'édifice, nous découvrons plus d'un symptôme qui en présageait la ruine. Les conciles généraux, en tombant, avaient répandu leurs principes dans l'Église et porté la division dans le camp de leurs adversaires. Les défenseurs de la hiérarchie s'étaient partagés en deux partis : ceux qui soutenaient le système de la domination papale absolue, d'après les principes d'Hildebrand, et ceux qui voulaient un gouvernement papal constitutionnel, offrant des garanties et des libertés aux Églises.

Mais il y avait plus encore dans tous les partis, la foi à l'infaillibilité de l'évêque romain était fortement ébranlée. Si nulle voix ne s'élevait pour l'attaquer, c'est que chacun cherchait plutôt à retenir avec anxiété le peu de foi qu'il avait encore. On craignait la moindre secousse, parce qu'elle devait renverser l'édifice. La chrétienté retenait son souffle; mais c'était pour prévenir un désastre, au milieu duquel elle eût craint de périr. Dès le moment où l'homme tremble d'abandonner une persuasion long-temps vénérée, c'est que déjà il ne la possède plus. Et il ne gardera pas long-temps encore l'apparence même qu'il veut maintenir.

Voyons ce qui avait amené ce singulier état de choses.

L'Église en était elle-même la première cause. Les erreurs et les superstitions qu'elle avait introduites dans le christianisme, n'étaient pas proprement ce qui lui avait porté un coup fatal. Il eût fallu que la chrétienté fût placée au-dessus de

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