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RÉPLIQUE DE LUTHER.

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<< Eh bien! dit Luther, s'il peut être prouvé par «< cette constitution que le trésor des indulgen«< ces est le mérite même de Christ, je consens à << rétracter selon la volonté et le bon plaisir de << Votre Éminence... » Les Italiens ouvrent de grands yeux à ces paroles, et ne peuvent se contenir de joie de voir l'adversaire pris enfin dans le filet. Pour le cardinal, il est comme hors de lui, il rit tout haut, mais d'un rire où se mêlent l'indignation et la colère : il s'élance, il saisit le livre dans lequel est contenue la fameuse constitution, il la cherche, il la trouve, et, tout fier de sa victoire, il la lit à haute voix, avec fougue et tout haletant 1. Les Italiens triomphent; les conseillers de l'électeur sont inquiets et embarrassés ; Luther attend son adversaire. Enfin, quand le cardinal en vient à ces paroles : « Le Seigneur Jésus-Christ a acquis ce trésor par sa souffrance, » Luther l'arrête « Très-digne Père, lui dit-il, veuillez bien «< considérer et méditer avec soin cette parole : « Il <«< a acquis 2. » Christ a acquis un trésor par ses « mérites; les mérites ne sont donc pas le trésor; «< car, pour parler avec les philosophes, la cause <«< est autre chose que ce qui découle de cette cause« là. Les mérites de Christ ont acquis au pape le pouvoir de donner de telles indulgences au peuple; mais ce ne sont pas les mérites mêmes du Seigneur que la main du pontife distribue. Ainsi << donc ma conclusion est véritable, et cette con

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I.

Legit fervens et anhelans. (L. Epp. I, 2. Acquisivit. (Ibid.)

p. 145.)

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COLÈRE DU LÉGAT.

<«<stitution que vous invoquez à si grands cris, <«< rend témoignage avec moi à la vérité que je pro-<< clame. >>

De Vio tient encore le livre en mains; ses regards sont encore fixés sur le fatal passage : il n'y a rien à répondre. Le voilà pris lui-même dans le filet qu'il a tendu; et Luther l'y retient d'une main puissante, à l'inexprimable étonnement des courtisans italiens qui l'entourent. Le légat voudrait bien échapper; mais il n'y a pas moyen : il a déjà abandonné dès long-temps et les témoignages de l'Écriture et les témoignages des Pères ; il s'était réfugié dans cette extravagante de Clément VI, et l'y voilà pris. Cependant il est trop fin pour laisser paraître son embarras. Voulant cacher sa honte, le prince de l'Église change brusquement de sujet, et se jette avec violence sur d'autres articles. Luther, qui s'aperçoit de cette manoeuvre habile, ne lui permet pas de s'échapper: il serre et ferme de tous côtés le réseau où il a pris le cardinal, et rend l'évasion impossible: <«< Très-révérend Père, » dit-il avec une ironie revêtue de toutes les apparences du respect, « Votre Éminence ne doit pourtant pas penser que << nous autres Allemands nous ne sachions pas la grammaire: être un trésor et acquérir un trésor << sont deux choses très-différentes. »

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<< Rétracte ! lui dit de Vio, rétracte! ou si tu ne « le fais, je t'envoie à Rome pour y comparaître << devant les juges qui ont été nommés afin de prendre connaissance de ta cause. Je t'excommu«< nie, toi, tous tes partisans, tous ceux qui te sont <«<et te deviendraient favorables, et je les rejette

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«< de l'Église. Tout pouvoir m'a été donné à cet égard par le saint-siége apostolique 1. Penses-tu << que tes protecteurs m'arrêtent ? t'imagines-tu que <«<le pape se soucie de l'Allemagne ? Le petit doigt << du pape est plus fort que tous les princes alle« mands 2. »

« Daignez, répond Luther, envoyer au pape << Léon X, avec mes très-humbles prières, la réponse << que je vous ai remise par écrit. »

Le légat, à ces paroles, tout content de trouver un moment de relâche, s'enveloppe de nouveau dans le sentiment de sa dignité, et dit à Luther avec fierté et avec colère :

<< Rétracte-toi, ou ne reviens pas 31 >>

Cette parole saisit Luther; cette fois-ci il va répondre autrement que par des discours. Il s'incline et il sort. Les conseillers de l'électeur le suivent, et le cardinal et ses Italiens, demeurés seuls, se regardent tout confus d'une telle issue.

Luther et de Vio ne se virent plus; mais le réformateur avait fait sur le légat une impression puissante qui ne s'effaça jamais entièrement. Ce que Luther avait dit sur la foi, ce que de Vio lut dans des écrits postérieurs du docteur de Wittemberg, modifia considérablement les sentiments du cardinal. Les théologiens de Rome virent avec surprise et mécontentement ce qu'il avança sur la justification, dans son commentaire sur l'épître aux Romains. La réformation ne recula pas et ne se ré

1. L. Opp. (L.) XVII, p. 197.

2. Disc. de table, p. 1331.

3. Revoca aut non revertere. (L. Opp. (L.) XVII, p. 202.)

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DE VIO ET STAUPITZ.

tracta pas; mais son juge, celui qui n'avait cessé de s'écrier Rétracte! changea de vues, et rétracta ses erreurs. Ainsi fut couronnée l'inébranlable fidélité du réformateur.

Luther retourna dans le monastère où il avait trouvé l'hospitalité. Il était demeuré ferme; il avait rendu témoignage à la vérité; il avait fait ce qu'il lui appartenait de faire; Dieu fera le reste. Son cœur était rempli de paix et de joie.

Cependant les nouvelles qu'on lui annonçait n'étaient pas rassurantes; le bruit courait dans toute la ville que, s'il ne voulait pas se rétracter, on devait le saisir et le plonger dans un cachot. Le vicaire-général de l'ordre, Staupitz même, assuret-on, devait y avoir consenti1. Luther ne peut croire ce qui regarde son ami. Non! Staupitz ne le trahira pas! Quant aux desseins du cardinal, à en juger d'après ses propres paroles, il est difficile d'en douter. Cependant il ne fuira pas devant le péril; sa vie, comme la vérité elle-même, est en des mains puissantes, et malgré ce qui le menace, il ne quittera point Augsbourg.

Le légat se repentit bientôt de sa violence, il sentit qu'il était sorti de son rôle : il voulut tâcher d'y rentrer. A peine Staupitz avait-il terminé son dîner (c'était le matin que l'entrevue avait eu lieu, et l'on dînait à midi), qu'il reçut un message cardinal, l'invitant à se rendre chez lui. Staupitz y alla, accompagné de Wenceslas Link 2. Le vicaire

1. L. Opp. (L.) XVII, p. 21 0.

2. Ibid., p. 204.

du

DE VIO ET STAUPITZ.

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général trouva le légat seul avec Serra-Longa. De Vio s'approcha aussitôt de Staupitz et lui adressa les plus douces paroles. « Tachez donc, lui dit-il, de persuader votre moine et de l'engager à faire une rétractation. Vraiment, je suis d'ailleurs content de lui, et il n'a pas de meilleur ami que moi1.

STAUPITZ.

Je l'ai déjà fait, et je lui conseillerai encore maintenant de se soumettre en toute humilité à l'Église.

DE VIO.

Il vous faut répondre aux arguments qu'il tire de la sainte Écriture.

STAUPITZ.

Je dois vous avouer, Monseigneur, que cela est au-dessus de mes forces; car le docteur Martin m'est supérieur et en esprit et en connaissance des saintes Écritures. >>

Le cardinal sourit sans doute à cette franchise du vicaire-général. Il savait du reste lui-même à quoi s'en tenir sur la difficulté de convaincre Luther. Il continua et dit à Staupitz et à Link:

<< Savez-vous bien que comme partisans d'une doctrine hérétique, vous êtes vous-mêmes exposés aux peines de l'Église.

* STAUPITZ.

Daignez reprendre la conférence avec Luther; instituez une dispute publique sur les points con

troversés.

1. L. Opp. (L.) XVII, p. 185.

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