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style; de soi-disant prêtres de l'Église de Christ traduisaient les écrits des saints hommes inspirés par l'esprit de Dieu, en style de Virgile et d'Horace, afin de rendre leurs paroles agréables aux oreilles de la bonne société. Le cardinal Bembus, au lieu du Saint-Esprit, écrivait « le souffle du Zéphyre céleste; » au lieu de remettre les péchés, «fléchir les mânes et les dieux souverains, » et au « lieu de Christ, fils de Dieu, « Minerve sortie du << front de Jupiter.» Ayant trouvé un jour le respectable Sadolet occupé d'une traduction de l'épître aux Romains : « Laisse là ces enfantillages, lui << dit-il, de telles inepties ne conviennent pas à << un homme grave '. »

Voilà quelques-unes des conséquences du système qui pesait alors sur la chrétienté. Ce tableau montre sans doute avec évidence et la corruption de l'Église et la nécessité d'une réformation. C'est ce qu'on se proposait en l'esquissant. Les doctrines vitales du christianisme avaient presque entièrement disparu, et, avec elles, la vie et la lumière qui constituent l'essence de la religion de Dieu. Les forces du corps de l'Église s'étaient dissipées. Le corps était affaibli, épuisé, et se trouvait étendu, presque sans vie, sur cette partie du monde qu'avait occupée l'empire romain.

Qui lui rendra la vie? d'où le remède à tant de maux viendra-t-il?

Depuis des siècles, un cri universel demandait 1. Felleri, Mon. ined., p. 400.

EFFORTS DE RÉFORME. LES PRINCES.

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une réforme dans l'Église, et toutes les puissances humaines s'y étaient essayées. Mais Dieu seul vait la faire. Il commença donc par humilier toutes les puissances d'hommes, afin de mettre en évidence leur incapacité. Nous les voyons échouer successivement, et se briser aux pieds du colosse qu'elles prétendaient abattre.

Les princes de la terre luttèrent d'abord avec Rome. Toute la puissance des Hohenstaufen, ces héros dont la couronne impériale ceint la tête, semble engagée à abaisser, à réformer Rome, à délivrer les peuples, et l'Allemagne en particulier, de sa tyrannie. Mais le château de Canossa nous révèle ce que peut le pouvoir de l'Empire contre le chef usurpateur de l'Église. Un prince redoutable, l'empereur Henri IV, après avoir longtemps et inutilement lutte contre Rome, est réduit à passer trois jours et trois nuits dans les fossés de cette forteresse italienne, exposé à tous les frimas de l'hiver, dépouillé de ses vêtements impériaux, sans souliers, recouvert d'un peu de laine, implorant, avec des cris qu'étouffent ses larmes, la pitié d'Hildebrand, devant lequel il se prosterne, et qui veut bien à la fin, après trois lamentables nuits, faire fléchir son inflexibilité papale, et faire grâce au suppliant'. Voilà la puis

1. Voici comment le pape Hildebrand raconte lui-même cet événement : « Tandem rex ad oppidum Canusii in quo «< morati sumus, cum paucis advenit, ibique per triduum ante portam, deposito omni regio cultu, miserabiliter, utpote « discalceatus et laneis inductus, persistens, non prius cum multo fletu apostolicæ miserationis auxilium, et consolatio

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sance des grands de la terre, des rois et des empereurs du monde, contre Rome.

Vinrent ensuite des adversaires plus à craindre peut-être, les hommes du génie et du savoir. Les lettres se réveillent en Italie, et leur réveil est une énergique protestation contre la papauté. Le Dante, ce père de la poésie italienne, place hardiment dans son enfer les papes les plus puissants : il entend dans le ciel l'apôtre Pierre prononcer les paroles les plus dures et les plus humiliantes contre ses indignes successeurs, et il fait les plus horribles descriptions des moines et du clergé. Pétrarque, ce grand génie, d'un esprit si supérieur à tous les empereurs et à tous les papes de son temps, demande avec hardiesse le rétablissement de la constitution primitive de l'Église. Il invoque à cette fin le secours de son siècle et le pouvoir de l'empereur Charles IV. Laurent Valla, l'un des plus grands savants de l'Italie, attaque avec une grande énergie les prétentions des papes, et le prétendu héritage qu'ils tiennent de Constantin. Une légion de poètes, de savants et de philosophes marchent sur leurs traces. Le flambeau des lettres s'est partout rallumé, et prétend réduire en poudre cet échafaudage romain qui l'offusque. Mais tous ces efforts

<«< nem implorare destitit, quam omnes qui ibi aderant, ad << tantam pietatem et compassionis misericordiam movit, ut pró eo multis precibus et lacrymis intercedentes, omnes qui<< dem insolitam nostræ mentis duritiam mirarentur, nonnulli « vero non apostolicæ severitatis gravitatem, sed quasi tyran<< nicæ feritatis crudelitatem esse clamarent. » (Lib. IV, ep. 12, ad Germanos.)

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sont inutiles. Le pape Léon X engage parmi les soutiens et les officiers de sa cour, la littérature, la poésie, les sciences et les arts, qui viennent baiser humblement les pieds d'un pouvoir que, dans leur superbe enfantine, ils avaient prétendu détruire... Voilà la puissance des lettres et de la philosophie contre Rome.

Enfin parut un adversaire qui semblait devoir être plus capable de réformer l'Église, ce fut l'Église elle-même. Aux cris de réforme, répétés de toutes parts, et qui retentissent depuis des siècles, se réunit la plus imposante des assemblées ecclésiastiques, le concile de Constance. Un nombre immense de cardinaux, d'archevêques, d'évêques, dix-huit cents docteurs en théologie et prêtres, l'empereur avec une suite de mille personnes, l'électeur de Saxe, l'électeur Palatin, les ducs de Bavière et d'Autriche, des ambassadeurs de toutes les puissances, donnent à cette assemblée une autorité telle, qu'il n'y en avait jamais eu de semblable dans la chrétienté. Par dessus tout, il faut signaler les illustres et immortels docteurs de l'université de Paris, les d'Ailly, les Gerson, les Clémangis, ces hommes pieux, savants et forts, qui, par la vérité de leurs écrits et la puissance de leurs paroles, donnaient au concile une énergique et salutaire impulsion. Tout plia devant cette assemblée d'une main elle renversa trois papes à la fois, tandis que de l'autre elle livra Jean Hus aux flammes. Une commission composée de députés de toutes nations, est nommée pour proposer une réforme fondamentale. L'empereur Sigismond appuie ce dessein

Tome I.

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de tout le poids de son pouvoir. Il n'y a qu'une voix dans le concile. Tous les cardinaux jurent que celui d'entre eux qui sera élu pape ne congédiera pas l'assemblée, et ne quittera point Constance, avant que la réforme tant demandée se soit accomplie. Colonne est choisi, sous le nom de Martin V. Voici le moment qui va décider de la réformation de l'Église. Tous les prélats, l'empereur, tous les princes et les peuples de la chrétienté l'attendent avec un inconcevable désir.... « Le concile est clos,» s'écrie Martin V, dès qu'il a posé la tiare sur sa tête. Sigismond et l'Église poussent un. cri de surprise, d'indignation et de douleur; mais ce cri s'évanouit dans les airs. Et le 16 mai 1418, recouvert de tous les ornements pontificaux, le pape monte sur une mule richement caparaçonnée. L'empereur est à sa droite, l'électeur de Brandebourg est à sa gauche, tenant chacun les rênes de son coursier; quatre comtes élèvent sur la tête papale un dais magnifique, plusieurs princes tout à l'entour soutiennent le caparaçon; une suite à cheval de quarante mille personnes, dit un historien, composée de nobles, de chevaliers, d'ecclésiastiques de tout rang, accompagne solennellement le pontife hors des murs de Constance. Et Rome, seule, sur sa mule, se moque intérieurement de la chrétienté qui l'entoure, et lui apprend que son charme est tel, qu'il faut pour la vaincre un autre pouvoir que des empereurs, des rois, des évêques, des docteurs, toute la science et toute la puissance de ce siècle et de l'Eglise.

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