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SÉJOUR A WEYMAR.

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Avec quels sentiments dut-il quitter Wittemberg et se diriger vers Augsbourg, où l'attendait le légat du pape! Le but de ce voyage n'était pas, comme à Heidelberg, une réunion amicale; il allait comparaître en présence du pouvoir de Rome, sans sauf-conduit, et la fin pouvait être la mort. Mais sa foi ne consistait pas en paroles; elle était une vérité. Aussi lui donna-t-elle la paix, et il s'avança sans crainte, au nom du Dieu des armées, pour rendre témoignage à l'Évangile.

11 arriva à Weimar le 28 septembre, et logea dans le couvent des Cordeliers. L'un des moines ne pouvait détacher de dessus lui ses regards; c'était Myconius. Il voyait Luther pour la première fois; il voulait s'approcher, lui dire qu'il lui devait la paix de son âme, que tout son désir était de travailler avec lui. Mais Myconius était gardé de près par ses chefs: on ne lui permit point de parler à Luther 1.

L'électeur de Saxe tenait alors sa cour à Weymar, et c'est probablement pour cette cause que les Cordeliers firent accueil au docteur. Le lendemain de son arrivée, on célébrait la fête de saint Michel. Luther dit la messe, et fut même invité à prêcher dans l'église du château. C'était une marque de faveur que son prince aimait à lui donner. Il prêcha d'abondance, en présence de la cour, sur le texte du jour, qui est dans l'Évangile selon

1. Ibi Myconius primum vidit Lutherum : sed ab accessu et colloquio ejus tunc est prohibitus. (M. Adami, Vita Myconii, p. 176.)

Tome 1.

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saint Matthieu, chap. 18, versets 1 à 11. Il parla avec force contre les hypocrites et contre ceux qui se vantent de leur propre justice. Mais il ne parla point des anges, quoique ce fût toujours la coutume le jour de Saint-Michel.

Ce courage du docteur de Wittemberg, qui se rendait tranquillement et à pied à un appel qui, pour tant d'autres avant lui, avait été un appel de mort, étonnait ceux qui le voyaient. L'intérêt, l'admiration, la compassion se succédaient dans les cœurs. Jean Kestner, proviseur des Franciscains, frappé d'épouvante à la pensée des dangers qui attendaient son hôte, lui dit : « Mon frère, vous « trouverez à Augsbourg des Italiens, qui sont de << savantes gens, de subtils antagonistes, et qui << vous donneront beaucoup à faire. Je crains que << vous ne puissiez défendre contre eux votre cause. « Ils vous jetteront au feu et leurs flammes vous <«< consumeront 1.» Luther répondit avec gravité : << Cher ami, priez notre Seigneur Dieu, qui est dans << le ciel, et présentez-lui un Pater noster pour moi << et pour son cher enfant Jésus, dont ma cause <«< est la cause, afin qu'il use de grâce envers lui. << S'il maintient sa cause, la mienne est maintenue. <«< Mais s'il ne veut pas la lui maintenir, certes ce <«< n'est pas moi qui la lui maintiendrai, et c'est lui «qui en portera l'opprobre. >>

Luther continua à pied son voyage et arriva à Nuremberg. Il allait se présenter devant un prince

1. Profecto in ignem te conjicient et flammis exurent. (Melch. Adam. Vit. Myc., p. 176. Myconis ref. hist., p. 3o.)

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de l'Église; il voulait paraître convenablement. L'habit qu'il portait était déjà vieux, et avait d'ailleurs beaucoup souffert dans le voyage. Il emprunta donc un froc à son fidèle ami Wenceslas Link, prédicateur à Nuremberg.

Luther ne se contenta pas sans doute de voir Link; il vit ses autres amis de Nuremberg, le secrétaire de la ville Scheurl, l'illustre peintre Albert Durer, auquel cette ville élève maintenant unė statue, et d'autres encore. Il se fortifia dans le commerce de ces excellents de la terre. Mais il trouvait aussi parmi les moines et les laïques bien des gens qui s'effrayaient de son passage et le conjuraient de rebrousser chemin. Des lettres qu'il écrivit de cette ville montrent l'esprit qui animait alors ce courageux témoin de la vérité : « J'ai ren«contré, dit-il, des hommes pusillanimes qui veu<«< lent me persuader de ne pas me rendre à Augs<«<bourg; mais je suis déterminé à le faire. Que la « volonté du Seigneur s'accomplisse! Même à Augsbourg, même au milieu de ses ennemis, Jésus« Christ règne. Que Christ vive; que Luther meure, « et tout pécheur, selon ce qui est écrit! Que le « Dieu de mon salut soit exalté! Portez-vous bien, « persévérez, demeurez debout; car il est nécessaire « d'être réprouvé ou par les hommes ou par Dieu : << mais Dieu est véritable et l'homme est men<< teur I. >>

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1. Vivat Christus; moriatur Martinus.... (Weismanni Hist. sacr. novi Test., p. 1465.) Weismann avait lu cette lettre en manuscrit. Elle n'existe pas dans le recueil de M. De Wette.

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ARRIVÉE A AUGSBOURG.

Link et un moine augustin, nommé Léonard, ne purent se décider à laisser Luther marcher seul à la rencontre des dangers qui le menaçaient. Ils connaissaient son caractère et ils savaient que, plein d'abandon et de courage, il aurait peut-être peu de prudence. Ils partirent donc tous trois ensemble à pied. Mais comme ils étaient environ à cinq lieues d'Augsbourg, Luther, que la fatigue du voyage et les agitations diverses de son coeur avaient sans doute éprouvé, fut saisi de violentes douleurs d'estomac. Il crut en mourir. Ses deux amis, trèsinquiets, louèrent un char sur lequel on transporta le docteur. Ils arrivèrent à Augsbourg le vendredi 7 octobre au soir, et descendirent au couvent des Augustins. Luther était très-fatigué. Mais il se remit bientôt, et sans doute sa foi et la vivacité de son esprit relevèrent promptement son corps.

A peine à Augsbourg, et avant même d'avoir vu personne, Luther, voulant rendre au légat toutes sortes d'honneurs, pria Wenceslas Link d'aller chez lui pour lui annoncer son arrivée. Link le fit, et déclara très-humblement au cardinal de la part du docteur de Wittemberg, que celui-ci était prêt à comparaître devant lui, quand il l'ordonnerait. De Vio se réjouit à cette nouvelle. Il tenait donc enfin le fougueux hérétique; il se promettait bien qu'il ne ressortirait pas des murailles d'Augsbourg comme il y était entré. En même temps que Link se rendit vers le légat, le moine Léonard partit pour annoncer à Staupitz l'arrivée

DE VIO.

453 de Luther à Augsbourg. Le vicaire-général avait écrit au docteur qu'il viendrait certainement aussitôt qu'il le saurait arrivé. Luther ne voulait pas tarder un instant à lui faire connaître sa présence'.

La diète était terminée. L'empereur et les électeurs s'étaient déjà séparés. L'empereur, il est vrai, n'était pas parti; mais il se trouvait à la chasse dans les contrées voisines. L'ambassadeur de Rome restait donc seul à Augsbourg. Si Luther y avait paru pendant la diète, il y eût trouvé de puissants défenseurs; mais tout maintenant semblait devoir plier sous le poids de l'autorité papale.

Le juge devant lequel Luther devait comparaître n'était pas bien propre à le rassurer. Thomas de Vio, qui tenait le surnom de Cajetan, de la ville de Gaëte dans le royaume de Naples, où il était né en 1469, avait donné dès sa jeunesse de grandes espérances. A seize ans il était entré dans l'ordre des Dominicains, contre la volonté expresse de ses parents. Plus tard il était devenu général de son ordre et cardinal de l'Église romaine. Mais ce qui était pis pour Luther, ce savant docteur était l'un des plus zélés défenseurs de cette théologie scolastique que le réformateur avait toujours si impitoyablement traitée. Sa science, la sévérité de son caractère et la pureté de ses mœurs, lui assuraient d'ailleurs en Allemagne une influence et une autorité que d'autres courtisans romains n'eussent pas facilement obtenues. Ce fut sans doute à cette réputation de sainteté qu'il dut

1. L. Epp. I, p. 144.

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