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comprenait tout l'éclat que ce jeune helléniste répandrait sur une institution qui lui était si chère. L'électeur s'adressa à Reuchlin qui, ravi de voir s'ouvrir un si beau champ pour son jeune ami, lui écrivit ces paroles de l'Éternel à Abraham : « Sors << de ton pays et d'avec ta parenté et de la maison de << ton père, et je rendrai ton nom grand, et tu seras « béni. » Oui, continue le vieillard, j'espère qu'il en sera ainsi de toi, mon cher Philippe, << mon œuvre et ma consolation. » Mélanchton reconnut dans cette vocation un appel de Dieu. A son départ, toute l'université fut dans la douleur. Il quitta sa patrie en s'écriant : « Que la volonté du Seigneur s'accomplisse! » Il avait alors vingt et

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un ans.

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Mélanchton fit le voyage à cheval. A Nuremberg, il se lia avec l'excellent Pirckheimer; à Leipsig, avec le savant helléniste Mosellanus. L'université donna dans cette dernière ville un festin à son honneur. C'était un repas vraiment académique. Les plats se succédaient en abondance, et à chaque plat nouveau, l'un des professeurs se levait et adressait à Mélanchton un discours latin préparé. Celui-ci improvisait aussitôt une réponse. A la fin : « Hommes très-illustres, leur dit-il, permettez-moi a de répondre une fois pour toutes à vos harangues, <«< car n'étant point préparé, je ne saurais mettre <«< dans mes réponses autant de variété que vous « dans vos allocutions. » Dès lors les plats arriverent sans l'accompagnement d'un discours 1.

1. Camer. Vit. Mel. 26.

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Le jeune parent de Reuchlin arriva à Wittemberg le 25 août 1518, deux jours après que Léon X eût signé le bref adressé à Cajetan, et la lettre à l'électeur.

Les professeurs de Wittemberg ne reçurent pas Mélanchton avec autant de faveur que l'avaient fait ceux de Leipsig. La première impression ne répondit point à leur attente. Ils virent un jeune homme qui semblait plus jeune encore que son âge ne l'indiquait, d'une stature peu apparente, d'un air faible et timide. Est-ce là cet illustre docteur que les plus grands hommes du temps, Érasme et Reuchlin, élèvent si haut?... Ni Luther, dont il fit d'abord la connaissance, ni ses collègues, ne conçurent de grandes espérances, en voyant sa jeunesse, son embarras, et ses manières.

Quatre jours après son arrivée, le 29 août, il prononça son discours d'inauguration. Toute l'université était assemblée. Le jeune garçon, comme l'appelle Luther', parla en une latinité si élégante, et montra tant de science, un esprit si cultivé, un jugement si sain, que tous ses auditeurs furent dans l'admiration.

Le discours terminé, tous s'empressèrent de le féliciter; mais personne ne ressentait plus de joie que Luther. Il se hâta de communiquer à ses amis les sentiments qui remplissaient son cœur. « Mé<«< lanchton, écrivit-il à Spalatin le 31 août, a pro« noncé, quatre jours après son arrivée, une si

1. Puer et adolescentulus, si ætatem consideres. (L. Epp. I,

JOIE DE LUTHER.

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<«< belle et si savante harangue, que tous l'ont écouté « avec approbation et avec étonnement. Nous som<< mes bientôt revenus des préjugés qu'avaient fait « naître sa stature et sa personne; nous louons et << nous admirons ses paroles; nous rendons grâces << au prince et à vous, pour le service que vous <«< nous avez rendu. Je ne demande pas d'autre <«< maître de grec. Mais je crains que son corps dé<«<licat ne puisse supporter nos aliments, et que << nous ne le gardions pas long-temps à cause de la << modicité de son traitement. J'apprends que les << gens de Leipsig se vantent déjà de nous l'enlever. << O mon cher Spalatin, prenez garde de ne pas mépriser son âge et sa personne. Cet homme est digne de tout honneur 1. »

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Mélanchton se mit aussitôt à expliquer Homère et l'épître de saint Paul à Tite. Quatre jours après l'inauguration, Luther écrivait encore à Spalatin :

« Je vous recommande très-particulièrement le « très-savant et très-aimable grec Philippe. Son auditoire est toujours plein. Tous les théologiens << surtout viennent l'entendre. Il fait que tous, de << haut, de bas, et de moyen étage, se mettent à apprendre le grec 2. »

Mélanchton répondit de son côté à toute cette affection de Luther. Il découvrit bientôt en lui une bonté de caractère, une force d'esprit, un courage, une sagesse, qu'il n'avait trouvés jus

1. L. Epp. I, 135.

2. Summos cum mediis et infimis, studiosos facit græcitatis. (L. Epp. I, 140.)

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qu'alors chez aucun homme. Il le vénéra, il l'aima par-dessus tous. « S'il est quelqu'un, disait-il, que j'aime avec force, et que mon esprit tout entier << embrasse, c'est Martin Luther 1. »

«

Ainsi se rencontrèrent Luther et Mélanchton, et ils furent amis jusqu'à la mort. On ne peut assez admirer la bonté et la sagesse de Dieu qui réunissait deux hommes si différents et pourtant si nécessaires l'un à l'autre. Ce que Luther était en chaleur, en élan, en force, Mélanchton l'était en clarté, en sagesse, en douceur. Luther animait Mélanchton, Mélanchton modérait Luther. Ils étaient comme ces couches de matière électrique, l'une en plus, l'autre en moins, qui se tempèrent mutuellement. Si Mélanchton avait manqué à Luther, peut-être le fleuve se fût-il débordé. Lorsque Luther manqua à Mélanchton, Mélanchton hésita, céda même, là où il n'aurait pas dû céder 2. Luther fit beaucoup avec puissance. Mélanchton ne fit pas moins peutêtre en suivant une voie plus lente et plus tranquille. Tous deux étaient droits, ouverts, généreux; tous deux, pleins d'amour pour la parole de la vie éternelle, la servirent avec une fidélité et un dévouement qui dominèrent toute leur vie.

Au reste, l'arrivée de Mélanchton opéra une révolution, non seulement dans Wittemberg, mais en

1. Martinuin, si omnino in rebus humanis quidquam, vehementissime diligo et animo integerrimo complector. (Mel. Epp. I, 411.)

2. Calvin écrit à Sleidan: Dominus eum fortiore spiritu instruat, ne gravem ex ejus timiditate jacturam sentiat posteritas.

RÉVOLUTION DANS L'
L'ENSEIGNEMENT.

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core dans toute l'Allemagne et tout le monde savant. L'étude qu'il avait faite des classiques grecs et latins et de la philosophie lui avait donné un ordre, une clarté, une précision d'idées, qui répandaient sur tous les sujets qn'il traitait une nouvelle lumière, une inexprimable beauté. Le doux esprit de l'Évangile fécondait, animait toutes ses méditations, et les sciences les plus arides se trouvaient revêtues dans ses expositions d'une grâce infinie qui captivait tous les auditeurs. La stérilité que la scolastique avait répandue sur l'enseignement prit fin. Une nouvelle manière d'enseigner et d'étudier commença avec Mélanchton. «Grâces à lui, » dit un illustre historien allemand, « Wittemberg devint « l'école de la nation. »

L'impulsion que Mélanchton donna à Luther pour la traduction de la Bible, est l'une des circonstances les plus marquantes de l'amitié de ces deux grands hommes. Déjà en 1517 Luther avait commencé quelques essais de traduction. Il se procurait autant de livres grecs et latins qu'il pouvait en acquérir. Maintenant avec son cher Philippe, son travail prit un nouvel essor; Luther obligeait Mélanchton à prendre part à ses recherches; il le consultait sur les passages difficiles; et cette œuvre, qui devait être l'un des grands bienfaits du réformateur, avançait plus sûrement et plus rapide

ment.

Sans doute l'arrivée de Mélanchton procura une douce distraction à Luther, dans un moment si

1. Plank.

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