Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

et à leurs frais. Chacun voulait donner une marque d'affection et d'estime à cet homme extraordinaire qui grandissait à chaque pas.

Il arriva le samedi après l'Ascension. Le voyage lui avait fait du bien, et ses amis le retrouvèrent plus fort et de meilleure mine qu'avant son départ'. Ils se réjouirent de tout ce qu'il avait vu et fait. Luther se reposa quelque temps des fatigues de sa course et du combat de Heidelberg. Mais ce repos ne fut qu'une préparation à de plus rudes

travaux.

1. Ita ut nonnullis videar factus habitior et corpulentior. (L. Epp. I, p. 111.)

EXPLICATIONS DES THÈSES.

LIVRE IV.

LUTHER DEVANT LE LÉGAT.

Mai - décembre (1518).

405

LA vérité avait enfin levé la tête au sein de la chrétienté. Victorieuse des organes inférieurs de la papauté, elle devait entrer en lutte avec le chef lui-même. Nous allons voir Luther aux prises avec Rome.

Ce fut à son retour de Heidelberg que Luther prit cet essor. Il avait vu que ses premières thèses sur les indulgences avaient été mal comprises. Il forma la résolution d'en exposer le sens avec clarté. Il avait reconnu, aux cris qu'une haine aveugle faisait pousser à ses ennemis, combien il était important de gagner en faveur de la vérité, la partie la plus éclairée de la nation : il résolut d'en appeler à son jugement, en lui présentant les bases sur lesquelles reposaient ses convictions nouvelles. Enfin il fallait bien une fois provoquer les décisions de Rome : il y enverra donc ces explications; et les présentant d'une main à tous les hommes impartiaux et éclairés de son peuple, il

[blocks in formation]

les posera de l'autre devant le trône du souverain pontife.

Ces explications de ses thèses, qu'il appela résolutions, étaient écrites avec beaucoup de modération. Luther cherchait à adoucir les passages qui avaient le plus irrité, et montrait une vraie modestie. Mais d'un autre côté il faisait voir une inébranlable décision, et défendait avec courage toutes les propositions que la vérité l'obligeait à maintenir. Il répétait avec fermeté que tout chrétien qui a une vraie repentance, possède sans indulgence la rémission des péchés ; que le pape, comme le moindre des prêtres, ne peut que déclarer simplement ce que Dieu a déjà pardonné; que le trésor des mérites des saints administré par te раре, était une chimère; et que l'Écriture sainte. était la seule règle de la foi. Mais entendons-le luimême sur quelques-uns de ces points.

Il commence par établir la nature de la vraie pénitence, et oppose cet acte de Dieu qui renouvelle l'homme, aux momeries de l'Église romaine. « Le mot grec μεtavaette, dit-il, signifie : revêtez <«< un nouvel esprit, un nouveau sentiment, ayez « une nouvelle nature, en sorte que, cessant d'être << terrestres, vous deveniez des hommes du ciel... << Christ est un docteur de l'esprit et non de la <«<lettre, et ses paroles sont esprit et vie. Il ensei<< gue donc une repentance selon l'esprit et la

vérité, et non ces pénitences du dehors dont peuvent s'acquitter sans s'humilier les pécheurs

1. L. Opp. Leipz. XVII, p. 29 à 113.

LE PAPE.

407 « les plus orgueilleux; il veut une repentance qui puisse s'accomplir dans toutes les situations de « la vie, sous la pourpre des rois, sous la soutane <«< des prêtres, sous le chapeau des princes, au « milieu de ces pompes de Babylone où se trouvait <«<< un Daniel, comme sous le froc des moines et « sous les haillons des mendiants 1. »

«

Plus loin on trouve ces paroles hardies : « Je ne << m'embarrasse pas de ce qui plaît ou déplaît au «< pape. Il est un homme comme les autres hommes. « Il y a eu plusieurs papes qui ont aimé non seu«<lement des erreurs et des vices, mais encore des «< choses plus extraordinaires. J'écoute le pape «< comme pape, c'est-à-dire quand il parle dans les «< canons, d'après les canons, ou qu'il arrête une <«< chose avec un concile, mais non quand il parle d'après sa tête. Si je faisais autrement, ne devrais-je << pas dire avec ceux qui ne connaissent pas Jésus<< Christ, que les horribles massacres de chrétiens, << dont Jules II s'est souillé, ont été les bienfaits << d'un pieux berger envers les brebis du Sei«gneur ?...>>

[ocr errors]
[ocr errors]

« Je dois m'étonner, continue-t-il, de la simpli« cité de ceux qui ont dit que les deux glaives de l'Évangile représentaient, l'un le pouvoir spirituel << et l'autre le pouvoir matériel. Oui, le pape tient " un glaive de fer; et il s'offre ainsi à la chrétienté, «< non comme un tendre père, mais comme un << tyran redoutable. Ah! Dieu irrité nous a donné

1. Sur la première thèse.

2. Thèse 26.

[blocks in formation]

<«<le glaive que nous avons voulu et nous a retiré «< celui que nous avons dédaigné. En aucun lieu du <«< monde il n'y a eu de guerres plus terribles que «< parmi les chrétiens... Pourquoi l'esprit habile qui a trouvé ce beau commentaire, n'a-t-il pas interprété l'histoire des deux clefs remises à saint <«< Pierre, d'une manière aussi subtile, et établi «< comme dogme de l'Église, que l'une sert à ouvrir « les trésors du ciel et l'autre les trésors du « monde ? »

[ocr errors]

<< Il est impossible, dit-il encore, qu'un homme «< soit chrétien sans avoir Christ; et s'il a Christ, il <«<a en même temps tout ce qui est à Christ. Ce qui <«< donne la paix à nos consciences, c'est que par <«< la foi nos péchés ne sont plus à nous, mais à <«< Christ, sur qui Dieu les a tous jetés; et que d'autre part toute la justice de Christ est à nous,

[ocr errors]
[ocr errors]

à qui Dieu l'a donnée. Christ pose sa main sur <«< nous et nous sommes guéris. I jette sur nous <«< son manteau, et nous sommes couverts; car il << est le Sauveur de gloire béni éternellement 2. »

Avec de telles vues de la richesse du salut de Christ, il n'y avait plus besoin d'indulgences.

Luther, tout en attaquant la papauté, parle honorablement de Léon X. « Les temps où nous som<«< mes sont si mauvais, dit-il, que même les plus << grands personnages ne peuvent venir au secours « de l'Église. Nous avons maintenant un très-bon « pape en Léon X. Sa sincérité, sa science, nous

[ocr errors]

1. Thèse 80.

2. Thèse 37.

« PreviousContinue »