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APPRÉHENSIONS. ADELMAN.

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vangile. Jonas l'a nommé un homme qui pouvait ce qu'il voulait 1.

Sans doute il y eut d'autres âmes encore pour lesquelles les thèses de Luther furent le signal de la vie. Elles allumèrent une lumière nouvelle dans

bien des cellules, des cabanes, des palais. Le peuple même, qui ne comprenait pas trop la question théologique, mais qui savait seulement que cet homme s'élevait contre l'empire des moines, l'accueillit avec des éclats de joie. Une sensation immense fut produite en Allemagne par ces hardies propositions. Mais d'autres contemporains du réformateur prévirent les suites graves qu'elles pourraient avoir, et les nombreux obstacles qu'elles devaient rencontrer. Ils exprimèrent hautement leurs craintes et ne se réjouirent qu'en tremblant.

« Je crains bien, » écrivait à son ami Pirckheimer l'excellent chanoine d'Augsbourg, Bernard Adelman, « que le digne homme ne doive enfin céder << à l'avarice et au pouvoir des partisans des indul«gences. Ses représentations ont eu si peu d'effet, « que l'évêque d'Augsbourg, notre primat et mé<< tropolitain, vient d'ordonner au nom du pape << de nouvelles indulgences pour Saint-Pierre de «< Rome. Qu'il se hâte de chercher le secours des princes; qu'il se garde de tenter Dieu; car il fau

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<< drait être destitué de sens pour méconnaître le danger imminent dans lequel il se trouve.» Adel

1. Qui potuit quod voluit.

2. Totque uxorum vir, ajoute-t-il. Heumani Documenta litt., p. 167.

UN VIEUX PRÊTRE.

330 man se réjouit fort quand le bruit courut que Henri VIII avait appelé Luther en Angleterre.

11 pourra, pensa-t-il, y enseigner en paix la vé« rité. » Plusieurs s'imaginèrent ainsi que la doctrine de l'Évangile devait avoir pour appui le pouvoir des princes. Ils ne savaient pas qu'elle marche sans ce pouvoir, et que quand il est avec elle, souvent il l'entrave et il l'affaiblit.

Le fameux historien Albert Kranz se trouvait à Hambourg sur son lit de mort, lorsqu'on lui apporta les thèses de Luther: « Tu as raison, frère << Martin! s'écria le mourant, mais tu n'y parvien« dras pas.... Pauvre moine! va dans ta cellule et <«< crie: O Dieu! aie pitié de moi1!»>

Un vieux prêtre de Hexter en Westphalie, ayant reçu et lu les thèses dans son presbytère, dit en plat allemand, en branlant la tête « Cher frère

Martin! si tu parviens à jeter bas ce purgatoire <«< et tous ces marchands de papier, vraiment tu << es un grand monsieur!» Erbénius, qui vivait un siècle plus tard, écrivit ces rimes au-dessous de ces paroles:

Quid vero nunc si viveret,

« Bonus iste clericus diceret ? »

Non-seulement un grand nombre des amis de Luther concurent des craintes sur sa démarche, plusieurs encore lui témoignèrent leur désapprobation.

1. Frater, abi in cellam, et dic: Miserere meî. (Lindner in Luthers Leben, p. 93.)

2. Que si maintenant il vivait,

Qu'est-ce que le bon clerc dirait?

L'ÉVÊQUE. L'Électeur.

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L'évêque de Brandebourg, affligé de voir une si importante querelle s'engager dans son diocèse, eût voulu l'étouffer. Il résolut de s'y prendre par la douceur. « Je ne trouve, » lui fit-il dire par l'abbé de Lenin, « dans les thèses sur les indulgences, << rien qui soit contraire à la vérité catholique; je condamne moi-même ces indiscrètes proclamations; mais pour l'amour de la paix et par égard « pour votre évêque, cessez d'écrire à ce sujet. Luther fut confus de ce qu'un si grand abbé et un si grand évêque s'adressaient à lui avec tant d'humilité. Touché, entraîné par le premier mouvement de son cœur, il répondit : « Je suis content : j'aime << mieux obéir que faire même des miracles, si cela «< m'était possible 1. »

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L'électeur vit avec peine le commencement d'un combat, légitime sans doute, mais dont on ne pouvait prévoir la fin. Nul prince ne désirait plus que Frédéric de maintenir la paix publique. Or, quel immense incendie ce petit feu ne pouvait-il pas allumer? quelles grandes discordes, quel déchirement des peuples, cette querelle de moines ne pouvait-elle pas produire? L'électeur fit signifier à plusieurs reprises à Luther toute la peine qu'il ressentait 2.

Dans son ordre même et jusque dans son couvent de Wittemberg, Luther rencontra des désap

1. Bene sum contentus: malo obedire quam miracula facere, etiam si possem. (Epp. I, 71.)

2. Suumque dolorem sæpe significavit, metuens discordias majores. (Melancht. Vita Luth.)

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LES GENS D'Erfurt.

probateurs. Le prieur et le sous-prieur furent épouvantés des hauts cris que poussaient Tezel et tous ses compagnons. Ils se rendirent dans la cellule du frère Martin, émus et tout tremblants: « De grâce, lui dirent-ils, ne couvrez pas l'ordre << de honte! Déjà les autres ordres, et surtout les <«< Dominicains, sautent de joie, de ce qu'ils ne <«< sont pas seuls à porter l'opprobre. » Luther fut ému de ces paroles : mais se remettant bientôt, il répondit : « Chers Pères! si la chose n'est pas « faite au nom de Dieu, elle tombera; sinon lais<< sez-la marcher. » Le prieur et le sous-prieur se turent. « La chose marche encore maintenant, » ajoute Luther après avoir raconté ce trait, « et, « s'il plaît à Dieu, elle ira toujours mieux jusqu'à « la fin. Amen1. »

Luther eut bien d'autres attaques à soutenir. A Erfurt, on l'accusait de violence, d'orgueil dans la manière dont il condamnait les opinions des autres; reproche que l'on a fait d'ordinaire aux hommes qui ont cette force de conviction que donne la parole de Dieu. On lui reprochait de la précipitation, de la légèreté.

<<< Ils demandent de moi de la modestie, » répondit Luther, «<et ils la foulent eux-mêmes aux pieds << dans le jugement qu'ils portent de moi!... Nous « voyons toujours la paille dans l'oeil d'autrui, et << ne remarquons pas la poutre qui est dans le « nôtre.... La vérité ne gagnera pas plus par ma modestie, qu'elle ne perdra par ma témérité. Je

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1. L. Opp. (L.) VI, p. 518.

RÉPONSE DE LUTHER.

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« désire savoir, » continua-t-il, en s'adressant à Lange, « quelles erreurs vous, et vos théologiens, <«< vous avez trouvées dans mes thèses. Qui ne « sait que l'on met rarement en avant une idée <<< nouvelle, sans avoir une apparence d'orgueil et << sans être accusé de chercher des disputes? Si l'hu« milité elle-même voulait entreprendre quelque << chose de nouveau, ceux qui sont d'une autre opi<<nion crieraient qu'elle est une orgueilleuse1! Pourquoi Christ et tous les martyrs ont-ils été mis à « mort? Parce qu'ils ont paru d'orgueilleux contempteurs de la sagesse du temps, et qu'ils ont << avancé des nouveautés, sans avoir auparavant pris humblement conseil des organes de l'an<«< cienne opinion.

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«Que les sages d'aujourd'hui n'attendent donc << pas de moi assez d'humilité (ou plutôt d'hypocri« sie), pour demander leur avis, avant que de pu« blier ce que mon devoir m'appelle à dire. Ce que je fais ne se fera pas par la prudence des hom<< mes, mais par le conseil de Dieu. Si l'oeuvre est

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de Dieu, qui l'arrêtera? si elle n'est pas de lui, qui l'avancera?... Non pas ma volonté, ni la leur, « ni la nôtre, mais ta volonté, toi, Père saint, qui <<<< es dans le ciel! » Quel courage, quel noble enthousiasme, quelle confiance en Dieu! et surtout quelle vérité dans ces paroles, et quelle vérité de tous les temps!

Cependant les reproches et les accusations, qui

1. Finge enim ipsam humilitatem nova conari, statim superbiæ subjicietur ab iis qui aliter sapiunt. (L. Epp. I, p. 73.)

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