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PREDESTINATION. ÉTAT PRIMITIF.

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toute-puissance et sa sainteté? Les scolastiques trouvaient là nombre de difficultés, et cherchaient à les faire disparaître par des distinctions dialectiques. « On ne peut dire que Dieu veuille le mal, disait « Pierre Lombard; mais on ne peut dire aussi qu'il « ne le veuille pas. »

La plupart de ces théologiens cherchèrent à affaiblir par leurs travaux dialectiques la doctrine de la prédestination qu'ils trouvèrent dans l'Église. Alexandre de Hales se servit pour cela de cette distinction d'Aristote, que chaque action suppose deux facteurs, savoir : une cause agissante et une matière qui doit recevoir l'action de cette cause. La prédestination divine, dit-il, agit sans doute pour le salut de l'homme; mais il doit aussi se trouver une réceptibilité pour cette grâce dans l'ame de l'homme. Sans ce second facteur, le premier ne peut rien; et la prédestination consiste en ce que Dieu, connaissant par sa prescience ceux dans lesquels ce second facteur se trouverą, a arrêté de leur communiquer sa grâce.

Quant à l'état primitif de l'homme, ces théologiens distinguaient les dons naturels et les dons gratuits. Les premiers consistaient dans la pureté des forces primitives de l'âme humaine. Les seconds étaient les dons de la grâce que Dieu accordait à cette âme pour qu'elle pût accomplir le bien. Mais ici ces docteurs se séparaient de nouveau. Les uns prétendaient que l'homme n'avait eu primitivement que les dons naturels, et avait dû, par l'usage qu'il en ferait, mériter ceux de la grâce. Mais Thomas d'Aquin, que l'on trouve en général du côté de la

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REDEMPTION. GRACE.

saine doctrine, prétendait que les dons de la grâce avaient été intimement unis, dès le commencement, avec les dons de la nature, puisque le premier homme se trouvait dans une parfaite santé morale. La chute, disaient les premiers, qui inclinaient vers le libre arbitre, a enlevé à l'homme les dons de la grâce, mais elle ne lui a point entièrement ôté les forces primitives de la nature, car toute sanctification eût été impossible, s'il ne se fût plus trouvé en l'homme aucune force morale; tandis que les théologiens les plus stricts pensaient que la chute avait non-seulement ôté la grâce, mais aussi corrompu la nature.

Tous reconnaissaient l'œuvre de réconciliation que Christ a accomplie par ses souffrances et par sa mort. Mais les uns prétendaient que la rédemption ne pouvait virtuellement être opérée que par la satisfaction expiatoire de la mort de Jésus-Christ, tandis que d'autres cherchaient à prouver que Dieu avait simplement attaché à ce prix la rédemption et la grâce. D'autres encore, et parmi eux Abeilard, faisaient consister les suites salutaires de la rédemption, en ce qu'elle faisait naître dans le cœur de l'homme la confiance et l'amour de Dieu.

La doctrine de la sanctification ou de la grâce nous manifeste de nouveau, dans toute sa richesse, la subtilité dialectique de ces théologiens. Tous, admettant la distinction d'Aristote dont nous avons parlé, établissent la nécessité de l'existence dans l'homme, d'une matière disposée à recevoir la grâce: materia disposita. Mais Thomas d'Aquin en attribue la disposition à la grâce même. La grâce, disent-ils,

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était formatrice pour l'homme avant sa chute : maintenant, qu'il y a en lui quelque chose à détruire, elle est grâce réformatrice. Ils distinguent encore la grâce donnée gratuitement, gratia gratis data; et la grâce qui rend agréable, gratia gratum faciens, et bien d'autres encore.

La doctrine de la pénitence et des indulgences, que nous avons déja exposée, venait couronner tout ce système et gâter ce qu'il y avait de bon. Pierre Lombard avait le premier distingué trois genres de pénitence: la pénitence du cœur, ou la componction; la pénitence de la bouche, ou la confession; et la pénitence des œuvres, ou la satisfaction extérieure. Il distingua, il est vrai, une absolution devant Dieu et une absolution devant l'Église. Il dit même que la repentance intérieure suffisait pour procurer le pardon des péchés. Mais il sut rentrer, d'un autre côté, dans l'erreur de l'Église. Il admit que pour les péchés commis après le baptême, il fallait ou endurer le feu du purgatoire ou se soumettre à la pénitence ecclésiastique, en en exceptant celui qui aurait une repentance intérieure si parfaite, qu'elle pourrait remplacer toutes les autres douleurs. Puis il se pose des questions que, malgré toute sa dialectique, il se trouve embarrassé à résoudre. Si deux hommes égaux dans leur état spirituel, mais l'un pauvre et l'autre riche, meurent à la fois, que l'un n'ait d'autres secours que les prières ordinaires de l'Église, et que pour l'autre, au contraire, on puisse célébrer beaucoup de messes et faire beaucoup d'oeuvres, qu'arrivera-t-il? Le scolastique se tourne et retourne de tous côtés; à la fin il dit: Tome I.

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Ils auront le même sort, mais non par les mêmes causes. Le riche ne sera pas délivré plus parfaitement du purgatoire, mais il le sera plus promptement.

Voilà quelques traits de la théologie qui régnait dans les écoles à l'époque de la réformation. Des distinctions, des idées, quelquefois justes, souvent fausses, mais rien que des idées. La doctrine chrétienne avait perdu ce parfum du ciel, cette force et cette vie pratique qui viennent de Dieu, et qui la caractérisèrent au temps des Apôtres. Elles devaient redescendre d'en haut.

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Cependant la science des écoles était pure, la compare à l'état réel de l'Église. La théologie des savants était florissante, si on la compare à la religion, aux mœurs, à l'instruction des prêtres, des moines et du peuple. Si la science avait besoin d'un renouvellement, l'Église avait encore plus besoin d'une réforme.

Le peuple de la chrétienté (et dans ce peuple il faut à peu près tout comprendre) n'attendait plus d'un Dieu vivant et saint le don gratuit de la vie éternelle. Il devait donc, pour l'obtenir, recourir à tous les moyens que pouvait inventer une imagination superstitieuse, craintive et alarmée. Le ciel se remplit de saints et de médiateurs, qui devaient solliciter cette grâce. La terre se remplit d'œuvres pies, de sacrifices, de pratiques et de cérémonies, qui devaient la mériter. Voici le tableau que nous fait de la religion à cette époque, un homme qui fut long-temps moine, et plus tard compagnon d'œuvre de Luther, Myconius :

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« Les souffrances et les mérites de Christ étaient traités comme une vaine histoire ou comme les fables d'Homère. Il n'était pas question de la foi, par laquelle on s'assure la justice du Sauveur et l'héritage de la vie éternelle. Christ était un juge sévère prêt à condamner tous ceux qui ne recourraient à l'intercession des saints ou aux indulgences des papes. A sa place figuraient comme intercesseurs, d'abord la Vierge Marie, semblable à la Diane du paganisme; et puis des saints dont les papes augmentaient sans cesse le catalogue. Ces médiateurs n'accordaient leurs prières que si l'on avait bien mérité des ordres fondés par eux. Pour cela il fallait faire non pas ce que Dieu commande dans sa parole, mais un grand nombre d'œuvres inventées par les moines et par les prêtres, et qui rapportaient beaucoup d'argent. C'étaient des Ave-Maria, des prières de sainte Ursule, de sainte Brigitte. Il fallait chanter, crier jour et nuit. Il y avait autant de lieux de pèlerinage que de montagues, de forêts ou de vallées. Mais l'on pouvait avec de l'argent racheter ces peines. On apportait donc aux couvents et aux prêtres de l'argent et tout ce qui pouvait avoir quelque valeur, des poulets, des oies, des canards, des oeufs, de la cire, du chaume, du beurre, du fromage. Alors les chants retentissaient, les cloches sonnaient, les parfums remplissaient le sanctuaire, les sacrifices étaient offerts, les cuisines regorgeaient, les verres se heurtaient, et les messes terminaient et recouvraient toutes ces œuvres pies. Les évêques ne prêchaient pas, mais ils consacraient les prêtres, les cloches,

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