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DIVERTISSEMENTS ET DÉBAUCHES.

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l'affaire la supputation des deniers. Pour échapper à tout danger, le coffre avait trois clefs : l'une était dans les mains de Tezel, l'autre dans celles du trésorier délégué de la maison Fugger d'Augsbourg, à qui, nous l'avons vu, l'on avait commis l'entreprise de cette vaste spéculation, et la troisième était confiée à l'autorité civile. Quand le temps était venu, les caisses étaient ouvertes en présence d'un notaire public, et le tout dûment compté et enregistré. Christ ne devait-il pas se lever pour chasser du sanctuaire ces profanes vendeurs?

La mission terminée, les marchands se délassaient de leurs peines. L'instruction du commissaire général leur défendait, il est vrai, de fréquenter les cabarets et les lieux suspects. Mais ils se souciaient peu de cette interdiction. Les péchés devaient paraître bien peu redoutables à des gens qui en faisaient un si facile trafic. « Les quê<< teurs menaient une mauvaise vie, dit un histo<< rien catholique romain; ils dépensaient dans les cabarets, dans les brelans et les lieux infames, << tout ce que le peuple retranchait de ses néces«sités2. » On assure même que lorsqu'ils étaient dans les cabarets il leur arrivait de jouer aux dés le salut des âmes 3.

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Mais voyons à quelles scènes cette vente du pardon des péchés donnait alors lieu en Allemagne.

1. Instr. 4.

2. Sarpi, Conc. de Trente, p. 5.
3. Schröck, R. G. v. d. R. I, 116.

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LE DIACRE DE SMIEdberg.

Il est des traits qui tout seuls peignent les temps. Nous aimons à laisser parler les hommes dont nous faisons l'histoire.

Le curé de Smiedberg était venu à Wittemberg pour recevoir son traitement. C'était le mercredi après la Fête-Dieu. Le diacre, nommé Jacques Prynau, et le sacristain Séverin Weissen, après que le service fut fini, renfermèrent avec soin le sacrement dans le lieu ordinaire. Mais le lendemain, quand ils ouvrirent la porte fermée si soigneusement la veille, hélas ! l'hostie n'était plus là. La serrure cependant était demeurée intacte. Les voilà stupéfaits et tremblants. Le curé, à son retour, s'irrite et leur défend de rentrer dans l'église, jusqu'à ce qu'ils aient pu recevoir l'absolution épiscopale. Heureusement Tezel était à quelque distance. Les deux malheureux courent vers lui, lui racontent feur aventure, et Tezel les tire de peine 1. L'indulgence qu'il leur donna nous a été conservée. La voici : « Vous nous avez demandé de trouver quel« que moyen de sauver votre pauvre âme. C'est pourquoi, nous qui cherchons le salut de tous <«< les hommes, nous vous absolvons vous qui avez «< contribué selon vos petits moyens.... et nous dé«< fendons à tous ceux que cela regarde de vous inquiéter de quelque manière que ce soit.... & Donné à Wurtzen, l'an 1516, le 1er juin, dans la quatrième année du gouvernement de notre très« saint seigneur le Pape Léon X. »

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A Magdebourg, Tezel refusait d'absoudre une

1. Seckendorf, p. 46.

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L'AME DU CIMETIÈRE.

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femme riche, à moins, lui disait-il, qu'elle ne lui payât à l'avance cent florins. Celle-ci demanda conseil à son confesseur ordinaire qui était Franciscain: «< Dieu donne gratuitement la rémission des péchés, lui répondit cet homme, il ne la vend << pas. » Cependant il la pria de ne point dire à Tezel l'avis qu'elle avait reçu de lui. Mais le marchand ayant pourtant entendu rapporter une parole si contraire à son profit, « Un tel conseiller, s'écria-t-il, mérite qu'on le chasse ou qu'on le « brûle 1. >>

Tezel ne trouvait que rarement des hommes assez éclairés, et plus rarement encore des hommes assez courageux pour lui résister. D'ordinaire il avait bon marché de la foule superstitieuse. Il avait érigé à Zwickau la croix rouge des indulgences, et les bons paroissiens s'étaient hâtés de faire sonner au fond de la caisse l'argent libérateur. Il s'en allait la bourse pleine. La veille de son départ, les chapelains et leurs acolytes lui demandent un repas d'adieu. La demande était juste. Mais comment faire? l'argent était déjà compté et scellé. Le lendemain matin il fait sonner la grosse cloche. La foule se précipite dans le temple; chacun pense qu'il est arrivé quelque chose d'extraordinaire, puisque la station était terminée. « J'étais résolu, « dit-il, à partir ce matin; mais la nuit dernière « je suis réveillé par des gémissements : je prête « l'oreille.... c'est du cimetière qu'ils viennent.... Hé<«< las! c'est une pauvre âme qui m'appelle et me

1. Scultet Annal. evangel., p. IV.

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LE CORDONNIER D'HAGENAU.

supplie ardemment de la délivrer du tourment qui la consume! Je suis donc resté un jour de plus afin d'émouvoir à compassion les cœurs <«< chrétiens en faveur de cette âme misérable. Moi<«< même je veux être le premier; mais qui ne suivra << pas mon exemple sera digne de toute condamna<< tion. >> Quel cœur dans Zwickau n'eût pas répondu à un tel appel? Qui sait, d'ailleurs, quelle est cette âme qui crie dans le cimetière? On donne en abondance, et Tezel avec les chapelains et les acolytes mangent joyeusement l'offrande présentée en faveur de l'âme de Zwickau !....

Les marchands d'indulgences s'étaient établis à Hagenau en l'an 1517. La femme d'un cordonnier, profitant de l'autorisation que donnait l'instruction du commissaire général, s'était procuré, malgré la volonté de son mari, une lettre d'indulgence, et l'avait payée un florin d'or. Bientôt elle mourut, et le veuf ne fit point dire de messe pour son âme. Là-dessus le curé l'accusa comme un contempteur de la religion, et le juge d'Hagenau le somma de paraître. Le cordonnier prit en poche l'indulgence de sa femme et se rendit à la citation. - << Votre femme est-elle morte? » lui dit le juge. « Oui, répondit-il. Qu'avez-vous fait d'elle?« J'ai enseveli son corps et j'ai recommandé son âme « à Dieu. Mais avez-vous fait lire une messe pour <«< le salut de son âme? - Je ne l'ai point fait; c'é<< tait inutile; elle est entrée dans le ciel au moment « de sa mort. D'où savez-vous cela? En voici

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1. Löschers Ref. Acta, I, 404. L. Opp. XV, 443, etc.

LES ÉTUDIANTS. MYCONIUS.

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« le témoignage. » Le veuf alors tire l'indulgence de sa poche, et le juge, en présence du curé, y lit en autant de mots, qu'au moment de sa mort, la femme qui l'a reçue n'ira pas dans le purgatoire, mais entrera tout droit au ciel. << Si monsieur le « curé, reprend alors l'accusé, prétend qu'une << messe est encore nécessaire, ma femme a été « trompée par notre très-saint Père le Pape; mais « si elle ne l'a pas été, c'est alors monsieur le curé « qui me trompe. » Ainsi le bon sens du peuple faisait justice de ces escobarderies. Il n'y avait rien à répondre; l'accusé fut renvoyé absous 1.

Un jour que Tezel prêchait à Leipsig, et qu'il mêlait à sa prédication quelques-unes de ces histoires dont nous avons donné un échantillon, deux étudiants indignés sortirent de l'église, en s'écriant: « Il nous est impossible d'entendre plus long<< temps les facéties et les puérilités de ce moine2.» L'un d'eux, assure-t-on, était le jeune Camérarius, qui fut plus tard l'intime ami de Mélanchton, et qui écrivit sa vie,

Mais celui de tous les jeunes gens de l'époque sur lequel Tezel fit le plus d'impression fut sans doute Myconius, célèbre plus tard comme réformateur et comme historien de la réformation. Il avait reçu une éducation chrétienne. « Mon fils, lui « disait souvent son père, homme pieux de la Franconie, prie fréquemment, car toutes choses << nous sont données gratuitement de Dieu seul.

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1. Musculi Loci communes, p. 362.

2. Hoffmann's Reformationsgesch. v. Leipz., p. 32.

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