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ou à l'avenir, viendraient tous les cent ans à Rome, y obtiendraient une indulgence plénière. D'Italie, de Sicile, de Sardaigne, de Corse, de France, d'Espagne, d'Allemagne, de Hongrie, de toutes parts, on accourut. Des vieillards de soixante et soixantedix années se mettaient en chemin ; et l'on compta à Rome dans un mois jusqu'à deux cent mille pèlerins. Tous ces étrangers apportaient de riches offrandes. Le pape et les Romains virent se remplir leurs trésors.

Bientôt l'avidité romaine plaça chaque jubilé à cinquante, plus tard à trente-trois, et enfin à vingtcinq années. Puis, pour la plus grande commodité des acheteurs, et le plus grand profit des marchands, on transporta de Rome sur toutes les places de la chrétienté, et le jubilé et ses indulgences. Il n'était plus besoin de sortir de chez soi. Ce que d'autres avaient été chercher au-delà des Alpes, chacun pouvait l'acheter à sa porte.

Le mal ne pouvait devenir plus grand.

Alors le réformateur se leva.

Nous avons vu ce qu'était devenu le principe qui devait dominer l'histoire du christianisme; nous venons de voir ce que devint celui qui devait en dominer la doctrine : tous deux s'étaient perdus.

Établir une caste médiatrice entre l'homme et Dieu, et faire acheter par des œuvres, par des pénitences et à prix d'argent, le salut que Dieu donne, voilà la papauté.

Ouvrir à tous, par Jésus-Christ, sans médiateur humain, sans ce pouvoir qui s'appelle l'Église,

LA PAPAUTÉ ET LE CHRISTIANISME.

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un accès libre au grand don de la vie éternelle que Dieu fait à l'homme, voilà le christianisme et la réformation.

La papauté est un mur immense, élevé par le travail des siècles, entre l'homme et Dieu. Si quelqu'un veut le franchir, qu'il paie ou qu'il souffre. Et encore ne le franchira-t-il

pas.

Le réformation est la puissance qui a renversé cette muraille, a rendu Christ à l'homme, et lui a fait ainsi un sentier uni pour venir à son créateur. La papauté interpose l'Église entre Dieu et

l'homme.

Le christianisme et la réformation font rencontrer Dieu et l'homme face à face.

La papauté les sépare. L'Evangile les unit.

Après avoir ainsi tracé l'histoire de la décadence et de l'anéantissement des deux grands principes qui devaient distinguer la religion de Dieu de toutes les religions des hommes, voyons quels furent les résultats de cette immense transformation.

L'histoire nous montre que les faits les plus grands, les révolutions les plus signalées, découlent souvent d'une cause unique. C'est ce que nous trouvons ici. Toutes les erreurs et tous les abus

de l'Église peuvent se rapporter à une grande erreur primitive, celle que nous avons signalée, et à laquelle la papauté elle-même a dû son pouvoir.

Mais avant que d'esquisser quelques traits de l'état de la chrétienté à l'époque de la réformation, rendons quelque honneur à cette Église du moyen àge, qui succéda à celle des Apôtres et des Pères,

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ÉTAT DE LA CHRÉTIENTÉ. THÉOLOGIE.

et qui précéda celle des réformateurs. L'Église demeura l'Église, bien que déchue et toujours plus captive. C'est dire qu'elle fut toujours l'amie la plus puissante de l'homme. Ses mains, quoique liées, purent encore bénir. De grands serviteurs de Jésus-Christ répandirent, durant ces siècles, une lumière bienfaisante; et dans le plus humble couvent, dans la plus obscure paroisse, il se trouva de pauvres moines et de pauvres prêtres pour soulager de grandes douleurs. L'Église catholique ne fut pas la papauté. Celle-ci eut le rôle d'oppresseur, et celle-là d'opprimée. La réformation, qui déclara la guerre à l'une, vint délivrer l'autre. Et il faut le dire, la papauté elle-même fut quelquefois, dans les mains de Dieu, qui fait sortir le bien du mal, un contre-poids nécessaire à la puissance et à l'ambition des princes.

Maintenant jetons un coup d'oeil sur l'état de la chrétienté.

La théologie et la religion étaient alors bien distinctes. La doctrine des docteurs, et la pratique des prêtres, des moines et du peuple, offraient deux sphères très-différentes. Elles influaient pourtant l'une sur l'autre, et la réformation eut affaire avec l'une et avec l'autre. Parcourons-les toutes deux, et prenons d'abord un aperçu de l'école ou de la théologie.

La théologie se trouvait encore sous l'influence du moyen âge. Le moyen âge s'était réveillé et avait produit de grands docteurs. Mais leur science ne s'était tournée ni vers l'interprétation des saintes

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écritures, ni vers l'examen des faits de l'Église. L'exégèse et l'histoire, ces deux grandes sources de la science théologique, continuèrent à dormir.

Une nouvelle science prit leur place : ce fut la dialectique. L'art de raisonner devint la mine féconde de la nouvelle théologie. Le moyen âge fit la découverte d'Aristote. On apprit à le connaître, soit par de vieilles traductions latines, soit par des traductions arabes. Aristote ressuscité apparut dans l'Occident comme un géant qui se soumit les esprits et presque les consciences. Sa méthode philosophique vint fortifier le penchant que cette époque avait pour la dialectique. Cette méthode était trèspropre, en effet, à de subtiles recherches et d'argutieuses distinctions. L'obscurité des traductions du philosophe grec favorisait aussi la subtilité dialectique qui s'était emparée des occidentaux. L'Église alarmée combattit quelque temps cette tendance nouvelle. Elle craignait que cette humeur raisonneuse n'enfantât des hérésies. Mais la dialectique se montra de bonne composition. Des moines l'employèrent contre les hérétiques, et dès lors son triomphe fut assuré.

Le caractère de cette méthode fut d'inventer une multitude de questions sur toutes les matières théologiques, et de les décider ensuite par une résolution. Souvent ces questions roulaient sur les sujets les plus inutiles. On demandait si toutes les bêtes avaient été dans l'arche de Noé, et si un homme mort peut dire la messe', etc. Mais ne jugeons

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pas les scolastiques seulement par de tels exemples. Souvent, au contraire, nous devons reconnaître la profondeur et l'étendue de leur esprit.

Plusieurs d'entre eux distinguaient les vérités théologiques et les vérités philosophiques, affirmant que quelque chose pouvait être vrai théologiquement et faux philosophiquement. On pensait de cette manière concilier l'incrédulité avec une froide et morte adhésion aux formes de l'Église. Mais d'autres docteurs, et Thomas d'Aquin à leur tête, maintenaient que la doctrine révélée n'était nullement en contradiction avec une raison éclairée, et que de même que la charité dans le christianisme n'anéantit pas les affections naturelles de l'homme, mais les redresse, les sanctifie, les ennoblit et les domine, de même aussi la foi n'anéantit pas la philosophie, mais peut l'employer en la sanctifiant et l'éclairant de sa lumière.

La doctrine de la Trinité exerça fort la dialectique de ces théologiens. A force de distinctions et de raisonnements, on les vit tomber dans des erreurs opposées. Les uns distinguèrent les trois personnes de manière à en faire trois dieux : c'est ce que firent Roscelin de Compiègne et ses adhérents. Les autres les confondirent de manière à n'en faire qu'une simple distinction d'idées c'est ce que firent Gilbert de Poitiers et les siens. Mais la doctrine orthodoxe fut maintenue avec force par d'autres docteurs.

La subtilité dialectique de ces temps ne s'en prit pas moins à la doctrine de la volonté divine. Comment mettre en accord la volonté de Dieu avec sa

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