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LA VIEILLE CHAPELLE.

196 défendre de cette vocation. Enfin le chef des Augustins continuant toujours son attaque : « Ah! << monsieur le docteur, dit Luther, en faisant cela << vous m'ôtez la vie. Je ne pourrai pas y tenir trois <«< mois. >>-<«< A la bonne heure, » répondit le vicairegénéral; «qu'il en soit ainsi au nom de Dieu! Car << notre Seigneur Dieu a aussi besoin là haut d'hom« mes dévoués et habiles. » Luther dut se rendre.

Au milieu de la place de Wittemberg se trouvait une vieille chapelle en bois, de trente pieds de long sur vingt de large, dont les cloisons, soutenues de tous côtés, tombaient en ruine. Une vieille chaire, faite de planches et haute de trois pieds, recevait le prédicateur. C'est dans cette misérable chapelle que commença la prédication de la réforme. Dieu voulut que ce qui devait rétablir sa gloire eût les commencements les plus humbles. On venait seulement de poser les fondements de l'église des Augustins, et en attendant qu'elle fût achevée, on se servait de ce temple chétif. « Ce « bâtiment, » ajoute le contemporain de Luther, qui nous rapporte ces circonstances, « peut bien être comparé à l'étable où Christ naquit. C'est dans «< cette misérable enceinte que Dieu a voulu, pour « ainsi dire, faire naître une seconde fois son fils « bien aimé. Parmi ces milliers de cathédrales et d'églises paroissiales, dont le monde est rempli, il <«< n'y en eut alors aucune que Dieu choisît pour la << prédication glorieuse de la vie éternelle. »>

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Luther prêche : tout frappe dans le nouveau pré

1. Myconius.

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dicateur. Sa figure pleine d'expression, son air noble, sa voix pure et sonore, captivent les auditeurs. Avant lui, la plupart des prédicateurs avaient cherché plutôt ce qui pouvait amuser leur auditoire que ce qui pouvait le convertir. Le grand sérieux qui domine dans les prédications de Luther, et la joie dont la connaissance de l'Évangile a rempli son coeur, donnent à la fois à son éloquence une autorité, une chaleur et une onction que n'eurent point ses devanciers. « Doué d'un esprit « prompt et vif, dit l'un de ses adversaires 1, d'une «< mémoire heureuse, et se servant avec une facilité remarquable de sa langue maternelle, Luther ne «<le céda en éloquence à aucun de son âge. Péro<<< rant du haut de la chaire comme s'il eût été agité de quelque forte passion, accommodant. <«< son action à ses paroles, il frappait d'une manière << surprenante les esprits de ses auditeurs, et comme « un torrent i les entraînait où il voulait. Tant « de force, de grâce et d'éloquence, ne se voient <«< que rarement chez les peuples du nord.» « Il « avait, dit Bossuet, une éloquence vive et impé<< tueuse, qui entraînait les peuples et les ravis

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<< sait 2. >>

Bientôt la petite chapelle ne put plus contenir les auditeurs qui s'y pressaient en foule. Le conseil de Wittemberg choisit alors Luther pour son prédicateur, et l'appela à prècher dans l'église de la ville. L'impression qu'il y produisit fut encore

1. Florimond Raymond. Hist. hæres., cap. 5. 2. Hist. des variat., 1. 1er.

VOYAGE A ROME.

198 plus grande. La force de son génie, l'éloquence de sa diction et l'excellence des doctrines qu'il annon.. çait, étonnaient également ses auditeurs. Sa réputation se répandit au loin, et Frédéric le Sage vint lui-même une fois à Wittemberg pour l'entendre.

Ainsi Luther enseignait à la fois dans la salle académique et dans le temple, lorsqu'il fut arrêté dans ces travaux. En 1510, selon quelques-uns seulement en 1511 ou 1512, son ordre l'envoya à Rome, probablement à l'occasion de quelques dissentiments intérieurs. Cette dispensation divine était nécessaire à Luther. Il fallait qu'il connût Rome. Plein des préjugés et des illusions du cloître, il se l'était toujours représentée comme le siége de la sainteté.

Il partit. Il traversa les Alpes. Mais à peine étaitil descendu dans les plaines de la riche et voluptueuse Italie, qu'il trouva sur tous ses pas des sujets d'étonnement et de scandale. Le pauvre moine allemand fut reçu dans un riche couvent des Bénédictins, situé sur le Pô, en Lombardie. Ce couvent avait trente-six mille ducats de rente; douze mille ducats étaient consacrés à la table, douze mille aux édifices, et douze mille aux autres besoins des moines '. La richesse des appartements, la beauté des habits, la recherche des mets frappèrent également Luther. Le marbre, la soie, le luxe sous toutes ses formes, quel nouveau spectacle pour l'humble frère du pauvre couvent de Wittemberg!

1. Discours de table, p. 1468.

UN COUVENT DU PÔ.

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Il s'étonna, et il se tut; mais le vendredi étant arrivé, quelle surprise! des viandes abondantes couvraient encore la table des Bénédictins. Alors il se résolut à parler. L'Église, leur dit-il, le pape « défendent de telles choses. » Les Bénédictins s'indignèrent de cette réprimande du grossier Germain. Mais Luther ayant insisté et les ayant peutêtre menacés de faire connaître leurs désordres, quelques-uns crurent que le plus simple était de se défaire de leur hôte importun. Le portier du couvent l'avertit qu'il courait des dangers en restant davantage. Il se sauva donc de ce monastère épicurien, et arriva à Bologne, où il tomba malade'. On a voulu voir dans cette maladie les suites d'un empoisonnement. Il est plus simple de supposer que le changement de vie affecta le moine frugal de Wittemberg, accoutumé à avoir pour principale nourriture des harengs et du pain. Etant guéri, il se remit en route pour Rome, s'attendant à y trouver une tout autre vie que celle des couvents lombards, et impatient d'effacer par la vue de la sainteté romaine les tristes impressions qu'avait laissées dans son esprit son séjour sur le Pô.

Enfin, après un pénible voyage sous le soleil brùlant de l'Italie, au commencement de l'été, il approchait de la ville aux sept montagnes. Son cœur était ému ses yeux cherchaient la reine du monde et de l'Église. Dès qu'il découvrit de loin la cité éternelle, la ville de saint Pierre et de saint Paul, la

1. Matth. Dresser. Hist. Lutheri.

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SOUVENIRS DANS ROME.

métropole de la catholicité, il se prosterna en terre en s'écriant : « Rome sainte, je te salue!»

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Luther est dans Rome; le professeur de Wittemberg est au milieu des ruines éloquentes de la Rome des consuls et des empereurs, et de la Rome des confesseurs de Christ et des martyrs. Là se sont trouvés ce Plaute et ce Virgile dont il emportait avec lui les œuvres dans son cloître, et tous ces grands hommes dont l'histoire a si souvent fait battre son cœur. Il retrouve leurs statues, les décombres des monuments qui attestent leur gloire. Mais toute cette gloire, toute cette puissance a passé il en foule aux pieds la poussière. Il se rappelle à chaque pas les tristes pressentiments de Scipion, versant des larmes à la vue de Carthage en ruine, de ses palais brûlés, et de ses murs détruits, et s'écriant : « Il en sera de même de Rome! « Et en effet, dit Luther, la Rome des Scipion et des « César a été changée en un cadavre. Il y a tant de « décombres, que les fondements des maisons re<< posent à cette heure où se trouvaient jadis les toits. « C'est là, ajoutait-il, en jetant un regard mélancolique sur ses ruines, c'est là qu'ont été les richesses et les trésors du monde 1. » Tous ces débris contre lesquels sés pas viennent se heurter, disent à Luther, dans les murs de Rome même, que ce qui ést le plus fort aux yeux des hommes, peut être facilement détruit par le souffle du Seigneur.

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Mais à des cendres profanes se mêlent des cendres saintes il s'en souvient. Le lieu de sépulture

1. Discours de table, p. 2374 et 2377.

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